Seulement 4 jours après que la faiseuse de rois, Dame Marie-Madeleine Mborantsuo l’eut élevé, contre le cours de l’histoire et dans la réprobation générale, à la dignité de prince régnant dans la dynastie des Bongo, Ali Bongo Odimba (ABO) a été couronné. De mémoire d’homme, sur le continent, jamais investiture n’avait été si précipitée, si fait que ABO ravit la palme des couronnements en catimini et à la hussarde, à Laurent Gbagbo, Pierre N’Kurunziza et autres Denis Sassou Nguesso. A défaut donc d’entrer dans le livre Guinness des records des élections transparentes, il figurera dans celui des intronisations hâtives. Officiellement, pour le gouvernement, cette hâte s’explique par le fait qu’il n’y a pas de temps à perdre, tant les urgences sont pressantes. « Il faut mettre en place rapidement une équipe gouvernementale qui va conduire les discussions avec l’opposition qui accepterait de venir. Et donc, il est important que le chef de l’Etat mette en place tout de suite un gouvernement pour conduire les affaires de la Nation et faire en sorte que ce dialogue ait lieu, et continuer ensuite à développer le pays. C’est ça l’urgence ». Et par conséquent, « attendre le 16 octobre [l’échéance du mandat d’Ali Bongo], ça aurait été perdre trois semaines dans un contexte d’urgence politique et sociale. »
Cette cérémonie à la dérobée fait la preuve de l’illégitimité d’Ali Bongo
Si l’on ne peut nier l’urgence de la situation nationale qui baigne dans une atmosphère pour le moins sulfureuse, il faut trouver ailleurs les raisons de cette hâte pour le moins suspecte. L’explication la plus évidente, est qu’ABO, à l’image du voleur, se précipite pour sécuriser le fruit de sa rapine, de peur de se faire alpaguer par le propriétaire du bien. Peut-être a-t-il eu vent de ce que prépare Ping dans le secret de son silence pour se rendre justice et par la même occasion, rendre justice au peuple gabonais spolié au vu et au su de tous. Il entend ainsi mettre tout le monde devant le fait accompli. Par ailleurs, cette précipitation est aussi destinée à ne pas trop user les nerfs de l’armée et des forces de sécurité et ainsi permettre leur retour en caserne. Car, en plus du fait que leur présence dans la rue, peut susciter de la part des mécontents, des actes de provocation et de défiance qui peuvent à nouveau mettre le feu aux poudres, cette paix armée a un coût. Enfin, il ne faut pas perdre de vue que la crise électorale a eu pour effet d’asphyxier l’économie et il devenait urgent de desserrer l’étau pour que la vie reprenne son cours normal afin d’éviter de joindre à la contestation électorale, des revendications d’ordre social.
Quoi qu’il en soit, cette cérémonie à la dérobée fait la preuve de l’illégitimité d’Ali Bongo qui, d’ailleurs, savait, après sa forfaiture, que quels que soient le temps et les moyens mis, son investiture n’aurait pas connu l’éclat habituel qui caractérise les prises de fonction des chefs d’Etat sur le continent. « Sa victoire », à la Pyrrhus, a été saluée du bout des lèvres par ses pairs sur le continent, à l’exception des présidents malien et sénégalais, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) et Macky Sall. Si fait que la plupart d’entre eux se sont faits représenter. Même le président tchadien Idriss Déby, président en exercice de l’Union africaine, s’est dérobé à la tâche et s’est fait représenter par son Premier ministre, tout comme ses homologues du Congo-Brazzaville, du Maroc et du Sénégal. Le Cameroun, quant à lui, n’a dépêché qu’un ministre d’Etat et le Rwanda, son président du Sénat. Seuls quatre chefs d’Etat africains étaient présents à la cérémonie. Il s’agit de celui de Sao Tomé et Principe, Evaristo Carvalho, du Nigérien Mahamadou Issoufou, du Malien Ibrahim Boubacar Keïta et du Togolais Faure Gnassingbé. Hors du continent, la Communauté internationale fait aussi la moue et aucun ministre français n’a fait le déplacement de Libreville, une attitude d’ailleurs partagée par toute l’Union européenne qui a critiqué vertement cette réélection des plus controversées.
Le Gabon est désormais le symbole de cette Afrique qui reste l’éternelle demeurée
C’est donc finalement une triste image que renvoie au reste du monde, cette cérémonie qui, en pareilles circonstances, devait donner lieu à des effluves de joie. Au-delà du Gabon, c’est sans aucun doute, toute l’image d’un continent qui est ternie. Le Gabon est désormais le symbole de cette Afrique qui refuse de grandir et qui reste l’éternelle demeurée, comme si le destin en avait ainsi définitivement décidé.
Cela dit, maintenant qu’il semble tenir des deux mains les rênes du pouvoir, ABO passera à l’acte 2 de son scénario : diviser pour mieux régner. C’est sans conteste l’ultime but du gouvernement d’union nationale dont l’urgence de la formation a servi de prétexte à la précipitation de la cérémonie d’investiture. Il espère ainsi désorganiser l’opposition en appelant à la soupe les plus fébriles et ainsi en clairsemer les rangs. Mais quelle que soit l’issue de ce casting, ABO sait que durant tout son mandat, à l’image du voleur, il aura un sommeil difficile. On peut en effet douter que les Gabonais puissent accepter la réconciliation précipitée qu’il prône au moment où ils pleurent encore leurs morts. Si ABO est capable d’enjamber les cadavres de ses compatriotes pour s’installer au pouvoir, il est difficilement imaginable que l’opposition et les parents des victimes aillent s’asseoir à la même table que leurs bourreaux, sans même avoir fait leur deuil.
C’est en cela qu’il est indécent, que faisant bande à part, les présidents malien et sénégalais aient adressé de chaleureuses félicitations à un président qui s’est enivré du sang de ses compatriotes pour assouvir son inextinguible soif du pouvoir. IBK a bien plus de problèmes dans son pays où l’orgie sanguinaire des assassinats ciblés par les terroristes, endeuille les familles, que « d’acheter une bagarre» qui ne le concerne pas. Quant à Macky Sall, on peut le dire, il n’apprend pas de ses erreurs. Après l’intermède burkinabè, il ne semble toujours pas avoir appris la leçon. Sa politique de faire ailleurs ce qu’il ne peut faire au Sénégal, lui vaudra encore bien des déconvenues. Les deux donc auraient dû simplement se taire à défaut de s’apitoyer sur le sort des Gabonais qui ploient depuis un demi-siècle, sous la dynastie des Bongo.
« Le Pays »