Les avantages accordés aux magistrats ; l’affaire dite des parcelles de Ouaga 2000 ; le sort du général Yacouba Isaac Zida ; les conditions de détention de l’ancien Premier ministre Luc Adolphe Tiao à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO). Tous ces sujets, nous les avons abordés avec le ministre de la Justice, René Bagoro, dans son cabinet lorsque nous nous sommes entretenus avec lui le 20 septembre dernier afin d’évoquer cette journée fatidique du 16 septembre 2015 quand le général Gilbert Diendéré et ses hommes ont tenté un coup d’Etat. A l’époque, ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme dans le gouvernement de la Transition, René Bagoro, avait été retenu en otage par les putschistes durant trois jours. Entretien !
Un an après le putsch manqué, racontez-nous brièvement cette fameuse journée du 16 septembre 2015
Je voudrais, avant d’évoquer ces événements, m’incliner devant la mémoire de toutes ces personnes qui ont trouvé la mort en défendant la démocratie. Je fais également un clin d’œil aux blessés de cette situation en leur souhaitant prompt rétablissement.
Comme vous le savez déjà, il faut dire que nous étions en Conseil des ministres et presque à la fin lorsque, peu après 14 heures, un groupe de 5 à 7 militaires a fait irruption dans la salle et nous a ordonnés de nous mettre debout. Sur le champ, trois d’entre eux ont amené le chef de l’Etat, le président Michel Kafando, le premier ministre, Yacouba Isaac Zida, ainsi que le ministre de la Fonction publique, le professeur Augustin Loada.
Après cela, on nous a ordonnés de nous asseoir en nous donnant instruction de n’envoyer ni SMS ni d’émettre un appel. Les militaires ont interdit aux dames de mettre les mains dans leurs sacs.
Nous sommes restés dans cette situation jusqu’à ce qu’un des militaires demande qui est Bagoro. J’ai levé la main et il m’a dit ceci : «votre tour viendra». Nous sommes restés assis jusqu’à ce qu’on nous fasse descendre. Je rappelle que lorsque je descendais, les autres militaires disaient que Bagoro est là. Nous sommes descendus, ils nous ont demandé de rentrer, bien sûr à pied, puisque nous n’avions pas nos véhicules. Nous avons marché vers la porte de sortie et une fois à ce niveau, la porte a été fermée et on nous a ordonnés de faire demi-tour et c’est lorsque nous nous sommes arrêtés sous un arbre dans la cour de la présidence qu’un véhicule V8 est arrivé. Un militaire a demandé qui est le ministre Bagoro. Je me suis présenté et j’ai été embarqué pour être amené vers l’endroit où étaient déjà détenus le président du Faso, le Premier ministre et le professeur Loada.
Quand les militaires sont entrés dans la salle du Conseil, ils vous ont dit qu’il s’agissait d’un coup d’Etat ou quelque chose d’autre de particulier ?
Non, il n’y a pas vraiment un mot particulier qui a été dit. Que ce soit au moment où ils ont fait irruption dans la salle ou lorsqu’ils ont emmené le chef de l’Etat et les deux autres ministres, ils ne nous ont jamais dit qu’il s’agissait d’un coup d’Etat…
…Mais vous aviez deviné qu’il s’agissait bien d’un putsch ou de ses prémices ?
Vous savez que cette situation est arrivée après une série d’événements où les éléments de l’ex-RSP ont tenté de perturber le fonctionnement de la Transition. Mais c’était la première fois qu’ils venaient dans la salle du Conseil des ministres. Les autres fois, c’était des convocations qu’ils donnaient au Premier ministre, ou alors que ce dernier avait des informations et prenait les devants pour se mettre à l’abri. Mais pour ce cas, c’est un groupe de militaires qui est entré dans la salle de conférences et quand on amène le président du Faso et le Premier ministre, même si on ne nous le dit pas, nous avons compris qu’il y a quelque chose qui se tramait contre la Transition et qui pouvait s’analyser comme un arrêt du processus.
Avez-vous su pourquoi vous avez été désigné dans le groupe restreint retenu plus longuement en otage ?
Je me pose toujours cette question et je crois que je ne peux y répondre, seule l’issue du procès pourrait nous permettre de savoir, entre autres choses, pourquoi certaines personnalités ont été prises et gardées plus longtemps que d’autres.
Vous n’avez pas eu un début de réponse par vos « geôliers », ils ne vous ont rien dit de particulier à ce sujet ?
C’est vrai qu’à un moment donné ceux qui nous gardaient, notamment un officier qui venait nous voir souvent, a déclaré que ma présence en ce lieu serait liée au fait qu’on me reproche d’être contre les gens du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) et d’avoir certainement fait remplacer des personnes, notamment du monde judiciaire qui avait été nommées par l’ancien pouvoir. Mais comme je l’ai dit, tout cela reste à confirmer et il est bon d’attendre que la justice puisse nous situer sur toutes ces questions.
Quelles étaient les conditions de votre détention ?
En ce qui me concerne personnellement, parce que j’ai été amené après les autres, c’est vrai que j’ai été arrêté avec de la violence verbale, un véhicule qui a démarré en trombe alors que je n’avais pas mis la ceinture de sécurité, qui m’a balancé dans la voiture, des propos insultants… On m’a dépouillé de tout ce que j’avais comme téléphone y compris mon stylo. Après cet intermède, lorsque j’ai rejoint le président du Faso, le Premier ministre et le professeur Loada, nous n’avons pas été maltraités.
Par la suite, j’ai été séparé pour être avec le président Kafando, nous n’avons pas été maltraités mais il faut reconnaître que nous étions confinés dans une salle où la climatisation ne marchait pas bien, avec un seul lit et nous sommes restés là pendant longtemps sans manger mais il n’y a pas eu une attitude d’hostilité en dehors de ce qui s’est passé au début.
Vous avez été détenu durant combien de temps ?
Durant pratiquement 72 heures puisque j’ai été arrêté le 16 septembre autour de 14h-15h et c’est le 18 vers 21 heures que le professeur Loada et moi avons été libérés.
Mais cette session du Conseil des ministres avait-elle oui ou non la question de la dissolution du RSP dans son ordre du jour ?
A ce conseil, nous devrions effectivement adopter un rapport qui avait été demandé et qui avait fait des recommandations. Dans ce rapport, entre autres recommandations, cela avait été demandé mais l’adoption du rapport n’impliquait pas ipso facto la dissolution du RSP.
Est-ce vrai qu’un de vos collègues avait informé les éléments du RSP sur ce point précis de l’ordre du jour ?
C’est difficile à dire, ça également, il faut attendre que l’issue du procès puisse nous situer. Mais il faut dire que le moment où ils sont venus nous arrêter alors que nous nous apprêtions à terminer le Conseil des ministres donne à penser que quelqu’un a pu les informer du déroulement du conseil et ils sont venus à ce moment précis ; mais je ne peux pas affirmer, je ne peux pas accuser qui que ce soit, je préfère attendre les résultats de la procédure judiciaire qui est en cours.
Quand les militaires sont entrés dans la salle, aviez-vous déjà vidé la question de ce rapport ?
Bien sûr, ce rapport était adopté et nous allions vers la fin du conseil.
Et ce rapport tel qu’adopté préconisait la dissolution du RSP ?
Tout à fait. On sait les soubresauts qu’il y a eu entre le Premier ministre et le RSP et, par ricochet, entre l’exécutif et le RSP.
A quelques jours de la fin de la Transition, vous attendiez-vous à un coup d’Etat ou pensiez-vous que vous alliez pouvoir conduire la barque jusqu’aux élections ?
Nous n’étions pas naïfs. Nous savions que la gestion de la Transition n’allait pas être un long fleuve tranquille. Nous savions que tout pouvait arriver mais nous avons été surpris surtout par le moment où les choses sont arrivées. Sinon que nous savions que beaucoup de forces rétrogrades auront envie de rétablir l’ordre ancien. Mais au moment où le coup d’Etat est intervenu, nous avons pensé que Dieu aidant, nous avons, tant bien que mal, pu ramer pour arriver à bon port. Vous n’ignorez pas que cela s’est produit à quelques jours de l’ouverture de la campagne électorale. Mais cela n’a pas été du tout facile, chaque jour nous avons côtoyé la mort.
Au sujet des casseroles de la Transition, votre nom est revenu dans l’affaire dite des parcelles de Ouaga 2000. Avez-vous oui ou non une parcelle à Ouaga 2000 ?
Je me suis suffisamment exprimé sur cette question mais quand vous parlez de parcelles de Ouaga 2000, il s’agit de quoi concrètement ?
Du terrain de la SONATUR qui a été parcellarisé…
Je dis et je réaffirme que je n’ai aucune parcelle relevant de la zone SONATUR. J’ai fait ma déclaration de bien, j’ai déclaré une parcelle acquise à Ouaga 2000 mais qui n’a rien avoir avec la zone SONATUR. Je le réaffirme une bonne fois pour toutes et je pense que c’est la dernière fois que je m’exprime sur cette question, je n’ai aucune parcelle au niveau de la zone SONATUR.
Mais votre parcelle à Ouaga 2000 a bien été acquise sous la Transition ?
Bien sûr c’était sous la Transition. Mais il n’était pas interdit à quelqu’un de la Transition d’avoir une parcelle, je l’ai intégrée dans la déclaration de mes biens et j’y ai mis tout ce qu’il y a comme référence, ce n’est pas une parcelle de la zone SONATUR.
Vous êtes un des rares rescapés à passer de la Transition au gouvernement de Paul Kaba Thiéba. Doit-on croire que vous étiez dans la Transition au titre du MPP ?
Je n’aime pas tellement le terme rescapé mais ce que je veux simplement dire, c’est que le gouvernement actuel n’est pas composé que de militants du MPP, il y a des représentants d’autres partis, il y a tellement d’autres personnalités que je pense que cette question n’est pas tellement importante. Ce qui importe est que des citoyens burkinabè ont été appelés à occuper des responsabilités, l’essentiel, c’est de les juger sur ce qu’ils font. Pour moi, je suis un citoyen qui a été appelé à servir sa Nation et j’ai donné mon accord, sinon je n’étais pas dans le gouvernement de la Transition pour le compte du MPP, j’y ai été appelé en tant que personne-ressource…
… Donc dans le gouvernement de Paul Kaba Thiéba, c’est la même chose, puisqu’on ne connaît pas votre appartenance politique…
Ceux qui m’ont appelé à ce poste, notamment le Premier ministre, avec l’accord du chef de l’Etat, m’ont confié une mission, ils ne m’ont pas dit que j’ai été choisi pour telle ou telle appartenance.
Un an après le putsch manqué, le procès se fait toujours attendre. Est-ce normal que pour un dossier de ce genre qui confine au flagrant délit avec des aveux publics ça traîne tant ?
J’ai en effet suivi dans les médias des gens qui théorisent sur le fait que comme il y a eu des aveux, on devrait donc aller rapidement parce que c’est des flagrants délits, etc.
Avant de répondre à la question proprement dite, vous savez qu’il y a trois types d’infractions. Les contraventions qui sont des infractions de moindre importance tel que « brûler les feux tricolores », tirer des pétards, etc. Ce sont des infractions qui ne font l’objet que de condamnation d’amende. Deuxième catégorie d’infractions, vous avez les délits qui sont des infractions graves qui peuvent porter atteinte à l’intégrité physique, à l’honneur et qui sont sanctionnées par des peines de prison allant de 11 jours à 5 ans et qui peuvent donner lieu à des condamnations d’amende en outre. Ce sont des condamnations qui ne peuvent pas aller au-delà de 5 ans sauf disposition contraire. La troisième catégorie d’infraction, ce sont les crimes. Il s’agit d’infractions graves qui portent atteinte soit aux bonnes mœurs, soit à la sûreté de l’Etat, soit à l’intégrité physique tel que les cas d’assassinat et de coup d’Etat.
Si j’ai tenu à faire ce rappel, c’est que la notion de flagrant délit, qui est de constater une infraction au moment où elle est en train de se commettre ou le fait de prendre quelqu’un avec des indices suffisants pour pouvoir avoir des éléments et le poursuivre, appartient à la fois au délit comme au crime.
Ce que les gens pensent, c’est qu’il y a eu des aveux et autres qu’on devrait rapidement juger sans saisir un juge d’instruction, ce n’est pas juste. Parce que dans les flagrants délits et les crimes flagrants, seuls les flagrants délits font l’objet de la procédure de flagrant délit qui permet de saisir le procureur facilement pour faire juger cette affaire.
Mais les crimes flagrants, je touche du bois, c’est lorsque vous prenez quelqu’un en train de commettre un assassinat, ou vous prenez quelqu’un qui reconnaît qu’il a fait un coup d’Etat, ce crime bien que flagrant ne peut pas être jugé selon la procédure de flagrant délit parce que notre loi, notre code de procédure pénale dit que lorsqu’il s’agit d’un crime, l’instruction préparatoire, le fait de saisir un juge d’instruction est obligatoire. Je voudrais que les gens le comprennent, ce n’est pas de gaieté de cœur que nous avons fait saisir des juges d’instruction mais tant que c’est un crime, on ne peut pas appliquer la procédure de flagrant délit. Donc, il n’est pas exact de dire que parce qu’il y a eu des aveux dans le cadre du coup d’Etat, on aurait pu aller vite. Maintenant notre souhait est qu’en mettant les moyens à la disposition des différentes juridictions elles puissent aller vite pour qu’on ait une issue rapide. S’il y a quelqu’un qui est tant aussi intéressé par ce jugement, c’est le gouvernement parce qu’on a besoin de tout cela pour aller à la réconciliation.
Dans ce procès à venir, vous serez partie civile ?
Bien évidemment, j’ai été enlevé et séquestré, tout comme les anciens membres du gouvernement, à ce titre je me suis constitué partie civile. Mais rassurez-vous, le fait que je sois ministre de la Justice n’aura aucun impact sur ce fait, je suis un citoyen qui s’est senti agressé et qui veut faire valoir ses droits.
En tant que partie civile, vous êtes aussi impatient que le procès se tienne ?
Bien sûr, doublement d’ailleurs, en tant que partie civile et membre du gouvernement, ministre de la Justice.
On sait que récemment des poursuites ont été ordonnées contre l’ancien Premier ministre Yacouba Isaac Zida qui vit au Canada. Un mandat d’arrêt pourrait être émis à son encontre. Mais ce mandat pourrait-il aboutir ? Y a-t-il un accord d’extradition entre le Burkina Faso et le Canada ?
Les informations en ma possession ne me disent pas qu’il y a eu un mandat d’arrêt contre Yacouba Isaac Zida. Ce que je sais, c’est qu’il y a eu un ordre donné par le ministre de la Défense, de le poursuivre relativement à son statut d’officier.
Oui mais est-ce qu’il y a un accord d’extradition entre le Burkina et le Canada ?
Non, en l’état actuel, nous n’avons pas une convention d’extradition avec le Canada.
Selon vous, pourquoi l’ex-Premier ministre refuse de rentrer au pays ?
Je ne sais pas s’il refuse de rentrer. Pour répondre à cette question, il faut que je sois convaincu qu’il refuse de rentrer, je n’ai aucun élément pour apprécier cette question.
Est-ce qu’il ne rechignerait pas à rentrer pour des raisons de sécurité par peur de ses collègues de l’ex-RSP ?
Je n’ai vraiment pas d’informations pour apprécier cette question.
Il y a quelques mois, des propos du président du Faso et du président de l’Assemblée nationale ont mis en émoi les magistrats (Ndlr : en effet, le président du Faso Roch Kaboré déclarait que «La séparation des pouvoirs n’est pas la Grande Muraille de Chine» tandis que le président de l’Assemblée nationale, Salif Diallo, lui, affirmait que «nous n'allons pas quitter le pouvoir des armes pour le pouvoir des juges»). Etait-ce une remise en cause de l’indépendance de la magistrature ?
Malgré les propos auxquels vous faites allusions, vous remarquez qu’aucun acte n’a été posé pour remettre en cause l’indépendance de la Justice, donc il faut situer ces propos dans leur contexte, l’essentiel est que nous sommes sur une lancée où il faut renforcer l’indépendance de la Justice.
En tant que ministre, comment avez-vous ressenti cela ?
Quand j’ai été appelé au gouvernement comme ministre de la Justice j’ai reçu une feuille de route et dans celle-ci, le premier ministre me demande de poursuivre le renforcement, l’efficacité à travers l’indépendance de la Justice et jusqu’à présent, je n’ai pas reçu d’instruction contraire que le travail qui m’a été demandé.
Ancien syndicaliste vous l’êtes et aujourd’hui ministre de la Justice. Voit-on les choses de la même manière selon qu’on est Garde des sceaux ou leader syndical…
Qu’on soit ministre de la Justice ou leader syndical, on a la même vision pour la Justice : on veut une justice indépendante surtout quand le ministre est un ancien leader syndical. Maintenant dans la méthode, le processus ou les moyens pour y arriver, on peut ne pas avoir la même vision des choses. Quand on est un leader syndical, on peut penser qu’on peut avoir les moyens tout de suite mais quand on est ministre de tutelle, on cherche les moyens et on doit tenir compte aussi de tous les autres besoins du pays.
Pour ce que je sais de nos jours, c’est que les trois syndicats de la magistrature ont besoin du renforcement de la justice et c’est ce qui m’a été demandé aussi. La vision n’est pas différente, c’est peut-être la démarche et les moyens pour y arriver qui divergent. Quand on est syndicat, on pose des revendications et quand on est ministre on essaie de les résoudre. Cela peut créer une sorte d’incompréhension mais je répète qu’il n’y a pas de différence de vision entre leaders syndicaux et ministre que je suis.
Vos relations avec les syndicats de magistrats qui semblaient délicates se sont-elles améliorées ?
Non je ne crois pas que j’ai eu des relations délicates avec les magistrats à travers leurs syndicats. Ils ont posé des revendications que nous avons trouvées, en son temps, objectives, mais elles n’avaient rien à voir avec le ministre que je suis. De là à dire qu’il y avait des relations tendues entre nous, je ne crois pas sauf si eux-mêmes vous disent le contraire. J’ai estimé que chacun jouait son rôle, l’essentiel est que de nos jours nous avons trouvé une issue qui va permettre à la justice de fonctionner normalement.
Les différents avantages arrachés par les magistrats font du bruit depuis un certain temps. Le gouvernement a-t-il tout concédé pour avoir la paix ?
On ne peut pas dire que le gouvernement à tout concédé. Ce sont des revendications, il faut le rappeler, qui ont été posées dans le cadre de la mise en œuvre du Pacte pour le renouveau de la justice adopté lors des états généraux. Le gouvernement, en y accédant, n’a fait que mettre en œuvre certaines recommandations de ce Pacte. N’oubliez pas que le diagnostic était arrivé au fait qu’il fallait aussi mettre les acteurs, à savoir les magistrats, les greffiers ou les Gardes de sécurité pénitentiaires (GSP) dans de meilleures conditions pour leur permettre d’être efficaces dans leurs activités. N’oubliez pas aussi que le Premier ministre, dans sa déclaration de politique générale, a dit que le gouvernement allait poursuivre la mise en œuvre du Pacte. La satisfaction de ces revendications entre donc en droite ligne dans sa mise en œuvre.
Il semble que, malgré tout, les intéressés n’étaient pas satisfaits et voulaient, en sus, des indemnités de domesticité ? Est-ce vrai et où en est-on avec cette revendication ?
Je ne sais pas si votre source d’information est bien renseignée, mais l’indemnité de domesticité est déjà prise en compte dans les décrets qui ont été signés. Par conséquent, ce n’est pas une revendication qui peut être posée. Nous n’avons pas eu vent de ça. Mais ce n’est pas un problème parce que si vous prenez les décrets, cette indemnité est prévue. Ce n’est donc pas une revendication qui peut donner lieu à quoi que ce soit parce qu’elle est prise en compte.
Mais expliquez-nous pourquoi une telle indemnité ?
Au regard de la sensibilité du rôle des magistrats, il s’agit de leur permettre d’avoir des gardiens à la maison et un personnel pour faire la cuisine et le blanchissage. Il s’agit de deux personnes qui vont être au domicile du magistrat pour l’aider évidemment à tenir dignement son rang.
Vous dites deux, pourtant quand on fait le calcul, ça donne trois. Nous imaginons que le cuisinier ne peut pas faire aussi du blanchissage ?
Ce qui est sûr, le texte prévoit deux personnes.
Le justiciable lambda trouve ces avantages d’autant plus exagérés qu’il ne constate pas dans le même temps une meilleure administration de la justice…
Je comprends l’impatience des populations parce que notre justice a beaucoup de défis à relever. C’est vrai que du point de vu matériel de travail, il y a un effort qui est fait par l’Etat et le citoyen voudrait sentir le résultat tout de suite. Je voudrais demander un peu plus de patience aux populations parce que nous sommes en train de mener un certain nombre de réformes notamment la redynamisation des services, la relecture de la loi portant organisation judiciaire pour essayer de l’adapter à nos réalités.
Nous sommes en train de vouloir créer des pôles de répression économique et financière qui vont nous permettre de lutter efficacement contre les questions de corruption et de faire recouvrer les avoirs volés par certaines personnes. De même, nous voulons mettre en place un pôle qui va lutter contre le terrorisme. Il y a également la relecture de la loi sur la chambre criminelle, car, comme vous le savez, c’est cette chambre qui juge les accusés lors des assises.
En somme, nous sommes en train de mener un certain nombre de réformes dont les résultats vont se sentir dans 1 ou 2 ans.
Nous sommes là il y a maintenant 9 mois, donc ce n’est pas suffisant pour qu’on mène des réformes qui puissent produire des effets tout de suite. Nous sommes conscients qu’autant l’Etat a accédé à certaines revendications, autant il nous faut travailler pour que la justice puisse jouer son rôle d’un des piliers fondamentaux de l’Etat de droit. Mais cela, nous ne pouvons pas l’avoir avec les textes actuels.
Aujourd’hui, les gens sont impatients parce que, pour l’affaire du coup d’Etat ou pour autre affaire, on n’arrive pas à juger ça rapidement. Peut-être qu’il faut revoir nos textes et nous sommes en train de mener cette réflexion. Nous voulons voir, si face à certaines situations, il ne faut pas revoir les textes pour que la procédure soit plus rapide. Mais vous conviendrez avec moi qu’en 9 mois il est difficile de faire des réformes qui produisent des résultats sur des sujets sensibles. Le Pacte est un tout et nous y travaillons.
Entre-nous, est-ce parce qu’on va octroyer un pactole aux magistrats qu’ils seront plus indépendants, moins corrompus et ne dormiront plus sur les dossiers ?
Les conditions de vie et de travail sont un facteur d’indépendance, mais ce n’est pas un facteur suffisant. L’indépendance est avant tout une question personnelle. Vous savez que l’indépendance doit s’entendre comme une absence de pression sur le juge lorsqu’il rend une décision. Mais encore faut-il que le juge lui-même ne se fasse pas pression où qu’il soit conscient qu’il a une responsabilité. Ce n’est pas parce qu’on a octroyé un certain nombre d’avantages à une catégorie d’agents donnée que ça doit tout de suite jouer sur l’indépendance, mais c’est au moins un facteur qui peut permettre à l’autorité de contrôle d’avoir des arguments pour demander à ce que les obligations puissent être respectées. Du reste, je vous ai dit que l’amélioration des conditions de vie et de travail des magistrats est un engagement qui a été pris dans le Pacte, mais sachez aussi que dans ce Pacte, il y a tout une série de réformes que nous allons faire et qui sont recommandées pour rendre le magistrat davantage responsable, notamment la réduction des délais des procédures en matière de sanction. L’un dans l’autre, je demande encore de la patience, car nous sommes en train de travailler et lorsque nous aurions mis en œuvre toutes ces réformes, je pense que nous aurons une justice qui rencontrera l’assentiment des populations.
En dehors du beurre sur les épinards des magistrats, qu’est-ce que le Pacte a changé dans le domaine la justice?
C’est parce que ce qui a été fait en termes d’améliorations des conditions de vie des magistrats, c’est ce qu’on pouvait faire le plus rapidement. Les réformes aussi doivent se faire. L’humanisation des centres pénitenciers, la sensibilisation des populations pour qu’elles acceptent les décisions de justice, la prise en compte des droits humains dans les procédures judiciaires... Nous sommes en train de mener tout ce travail. Donc c’est un tout. Quand nous sommes arrivés, il y a 9 mois maintenant, nous avons pu faire relire les lois sur les hautes juridictions notamment le conseil d’Etat, la cour de cassation et la cour des comptes. Nous avons présenté en Conseil des ministres les textes qui ont été adoptés à l’Assemblée nationale, notamment sur les cours administratifs d’appel, les tribunaux administratifs. Egalement, nous avons pu adopter la loi sur les commissions nationales des droits humains. Tout ça, ce sont des recommandations du Pacte. C’est dire que la mise en œuvre du Pacte continue et l’amélioration des conditions de vie des magistrats n’est pas le seul volet qui a été pris en compte. Bien évidemment, c’est le point le plus sensible et c’est pourquoi il fait beaucoup de bruit. Sinon nous sommes en plein dans le Pacte et je le répète, même le renforcement des capacités que ce soit des magistrats, des greffiers et des éléments de la garde de sécurité pénitentiaires est un des engagements pris en compte dans le Pacte pour le renouveau de la justice. Depuis un certain temps nous formons des magistrats sur la lutte contre la corruption, le terrorisme, etc.
Est-ce vrai qu’il est interdit aux magistrats de vivre dans ce qu’on appelle «cour commune»…
Non, aucun texte n’interdit cela. Maintenant on demande au magistrat, dans tout ce qu’il fait, de tenir compte de son rang. Sinon aucun texte n’interdit à un magistrat de vivre dans une cour commune. Ces cours sont habitées par des citoyens burkinabè et le magistrat est un citoyen de ce pays, donc on ne saurait prendre un tel texte.
Qu’est-ce qui est fait pour améliorer la sonorisation dans les palais de justice ? Parce que jusque-là c’est un calvaire pour suivre les procès ?
Vous avez tout à fait raison. C’est une réalité. Nous sommes en train de normaliser les Palais de justice et les maisons d’arrêt et de correction. Il s’agit de clôturer les maisons d’arrêt qui n’ont pas de mur et de résoudre le problème de l’éclairage. La question de sonorisation fait donc partie de ce que nous appelons la normalisation. Nous nous sommes dit qu’au lieu de continuer à construire, il faut améliorer l’existant avant de nous lancer dans de nouvelles constructions. Donc votre inquiétude trouvera une solution dans notre projet.
S’il y a un dossier qui a disparu des écrans radars depuis la fin de la Transition, c’est bien le dossier Norbert Zongo. Qu’est-ce qui se passe avec ce dossier ?
Vous le dites certainement parce que vous, les journalistes, n’avez pas d’informations pour en parler. Sinon le dossier n’a pas disparu. D’ailleurs, il n’était pas dans les radars, il était dans un cabinet d’instruction et continue d’y être. Je pense que si sous la Transition on a senti peut-être que le dossier bougeait c’est parce qu’il avait été bloqué à un moment donné. La période de la Transition a permis au dossier de ressortir et un certain nombre d’actes ont été posés. Aujourd’hui, le dossier Norbert Zongo continue d’être instruit et suffisamment de travail a été fait. Bien évidemment pour le secret de l’instruction et même pour l’efficacité de la procédure, on ne peut pas communiquer à tout moment sur le sujet. Il y a des gens qu’il faut entendre, il peut y avoir des interpellations. Je peux vous assurer que le dossier n’est pas resté au niveau où on l’avait pris dans la Transition. Sous la Transition le juge a fait son travail et continue de le faire actuellement. C’est un dossier qui est suffisamment avancé, mais très souvent pour l’efficacité des procédures, il est bon d’atteindre certaines étapes avant de communiquer. Sinon le dossier n’est pas mort, au contraire il progresse vers son aboutissement.
Parlons de l’actualité nationale avec le retour de l’ancien Premier ministre Luc Adolphe Tiao. Comment avez-vous appris qu’il rentrait au Burkina ?
Nous sommes un pays quand même organisé, et Dieu aidant, personne ne peut entrer et ressortir dans le pays sans que les autorités ne soient informées. Dans tous les cas, en tant que citoyen burkinabè, Luc Adolphe Tiao a toute la liberté de revenir au pays. On ne contrôle pas les entrées des Burkinabè quand ils reviennent ou même quand ils repartent. Ils sont libres. Ce n’est vraiment pas quelque chose sur lequel, il faut s’éterniser. Il est rentré au Burkina comme tout citoyen avec la liberté qui sied.
Pourquoi il a été mis sous mandat de dépôt ?
Moi, je ne sais pas. Je suis comme vous. Ce n’est pas le ministre de la Justice qui gère les dossiers devant le juge. Le juge a certainement ses motifs. Moi, je ne connais pas le fond du dossier, je constate seulement qu’il a été entendu et mis sous mandat de dépôt. Ce que nous pouvons faire, c’est de prendre des dispositions pour qu’il soit dans des conditions les meilleures possibles…
…Justement quelles sont ses conditions de détention à la MACO, car la toile diffuse des informations selon lesquelles ses conditions de détention ne seraient pas bonnes…
L’avantage de la toile, c’est de pouvoir affirmer des choses que l’on n’a jamais vues. L’ancien Premier ministre est dans le quartier d’amendement et c’est vraiment le meilleur des endroits dans la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou. Vous savez que cette maison ne peut pas donner mieux que ce qu’elle a. Le Premier ministre est détenu dans un des meilleurs compartiments de la MACO. Je connais la cellule dans laquelle il se trouve avec d’autres personnes et je peux vous assurer qu’il ne s’en plaint pas.
Bien évidemment quand vous êtes en détention, forcément vous ne pouvez plus avoir la même liberté, mais je démens catégoriquement les informations qui circulent sur la toile qui tendent à dire que l’ancien Premier ministre est détenu dans des conditions inhumaines et humiliantes. Depuis la gendarmerie jusqu’à sa détention à la MACO en passant par son audition devant les juges, je crois que si vous discutez avec l’intéressé, lui-même reconnaîtra qu’il a été traité avec la plus grande courtoisie. Nous prenons des dispositions pour le mettre dans les meilleures conditions que la maison d’arrêt et de correction peut offrir.
Vous confirmez qu’il n’est pas seul dans une cellule ?
Oui, je confirme. Il est avec d’autres détenus. On a des cellules individuelles mais ce sont des cellules disciplinaires où on a les détenus d’une certaine dangerosité.
Quels sont les commodités qu’il y a dans ce quartier d’amendement où se trouve Luc Adolphe Tiao ?
Ils ont par exemple accès à la télé. La maison d’arrêt n’a pas les moyens de leur offrir des journaux, mais en tant que citoyen libre s’ils ont les moyens de s’offrir les journaux, il n’y a aucun problème.
Comment ça se passe pour la restauration de ces personnalités ?
Quand vous êtes en détention, vous êtes libre de manger la nourriture que la maison d’arrêt offre où de vous faire servir de la nourriture. Je peux vous dire qu’il a reçu la garantie et la liberté de se faire servir par qui de droit. Ce n’est même pas au niveau de la maison d’arrêt qu’on désigne qui devra vous servir. C’est le détenu lui-même qui doit désigner les personnes qui peuvent le servir parce qu’il y a aussi des questions de sécurité. Aujourd’hui, l’ex-Premier ministre est nourri par sa famille.
On ne pouvait pas le mettre en résidence surveillée par exemple ?
Dans notre arsenal juridique, la notion de résidence surveillée n’existe pas pour le moment. Alors le faire serait une détention arbitraire, car aucun texte ne l’encadre.
Mais le fait qu’il soit revenu alors qu’il savait bien qu’il pouvait être inquiété judiciairement, comment analysez-vous son geste, son choix de rentrer ?
Je n’ai pas d’analyse ni de commentaire à faire là-dessus. Nous souhaitons que tous les Burkinabè qui ont des comptes à rendre à la justice puissent l’imiter.
Quel appel avez-vous pour les acteurs de la justice en cette veille de la rentrée judiciaire ?
Je voudrai assurer les acteurs de la justice que malgré les soubresauts du début qui sont inhérents à toute vie humaine, nous avons à cœur de travailler pour faire en sorte que tous les acteurs, à savoir les magistrats, les greffiers, les gardes de sécurité pénitentiaires et le personnel des droits humains, soient considérées comme des maillons importants de la chaîne justice et droits humains. Je profite de votre micro pour demander leur collaboration pour qu’ensemble nous puissions participer à la construction de notre pays à travers notre passion qui est de rendre la justice et de faire en sorte que les droits humains prospèrent au Burkina Faso.
Entretien réalisé par
San Evariste Barro