L’information a été rendue publique dans la nuit de ce vendredi à samedi par la Cour constitutionnelle gabonaise. La victoire d’Ali Bongo a été confirmée. Mieux, son score a connu une hausse. Il atteint maintenant 50,66% contre 47,24% à Jean Ping. Pour en arriver-là, Dame Marie Madeleine Mbotansuo et les autres juges ont rectifié les résultats de la province du Haut-Ogooué et annulé ceux de 21 bureaux de vote du deuxième arrondissement de Libreville où Jean Ping était en tête. Au terme donc de ce mic-mac arithmétique dont seuls les membres de la Cour constitutionnelle connaissent les règles, la victoire du président Bongo a été validée. Ce verdict était attendu. Car, en Afrique, à l’exception du Niger et plus récemment des Iles Comores, les Cours constitutionnelles ont toujours pris des décisions en faveur des princes régnants. De ce point de vue, la Cour constitutionnelle n’a pas dérogé à la règle. Et c’est regrettable. Car, ce qui a manqué le plus dans les travaux de l’institution que pilote Dame Marie Madeleine Mbotansuo, c’est la transparence. Et cela, bien des observateurs l’ont reconnu. L’Union européenne (UE), la France et dans une certaine mesure les Etats-Unis, sont de ceux-là. Les deux premiers ont, dans des termes explicites, mis en doute l’intégrité des opérations qui ont abouti au score d’Ali Bongo.
Le calme que l’on observe pourrait être celui qui précède la tempête
Ces sorties viennent apporter de l’eau au moulin de Jean Ping. Ce dernier, en effet, dans une déclaration à la presse, a déploré la décision de la Cour constitutionnelle validant la victoire d’Ali Bongo, prise selon lui, « envers et contre tous, foulant aux pieds la souveraineté du peuple ». Et l’opposant de poursuivre : « Aucune décision d’aucune instance ne pourra jamais changer cette réalité ». Les choses sont claires. Jean Ping n’est pas prêt à plier l’échine devant le verdict de la Cour constitutionnelle. En se référant à la précédente élection, entachée de soupçons, qui avait porté Ali Bongo au pouvoir, Jean Ping a laissé entendre, sur un ton ferme, que « 2016 ne sera pas 2009 ». L’on peut donc dire que le calme que l’on observe actuellement au Gabon, pourrait être celui qui précède la tempête. Et sans prendre parti par l’un ou l’autre camp, l’on peut dire que l’attitude de Jean Ping peut se justifier. Car, la Cour constitutionnelle avait toute la latitude de démontrer par A+B et ce, dans la transparence totale, que son verdict est fondé sur la réalité des urnes et rien d’autre. Au lieu d’aller dans ce sens, elle a préféré s’enfermer dans son bunker, en présence seulement d’experts dépêchés, in extremis, par la plus que suspecte et sulfureuse Union africaine (UA), pour concocter les résultats que l’on sait. Et comme si les choses étaient préparées à l’avance, le président en exercice de cette structure, Idriss Deby Itno, qui est lui-même loin d’être un exemple en matière de démocratie, s’est précipité, à la manière d’un diarrhéique, pour emprunter l’expression de l’écrivain ivoirien Amadou Kourouma, pour prendre acte de la validation des résultats de la présidentielle gabonaise par la Cour constitutionnelle et ce, sans la moindre réserve. Et l’organisation panafricaine est pratiquement la seule structure à être dans cette posture. L’UA apporte ainsi, s’il en était encore besoin, la preuve qu’elle se comporte comme un syndicat des chefs d’Etat. C’est d’ailleurs pour cette raison que ses représentants ont été acceptés par le pouvoir gabonais pour prendre part aux travaux de la Cour constitutionnelle, tout en refusant fermement cette possibilité à l’UE. Cela dit, la Cour constitutionnelle, par le verdict qu’elle vient de rendre, a rendu un mauvais service, en complicité avec l’UA et le pouvoir, à la démocratie au Gabon. En tout cas, le moins que l’on puisse dire est qu’elle a raté l’occasion de montrer que l’on peut compter sur elle pour apporter une pierre à l’édification de la démocratie, dans ce pays qui traîne la triste réputation de n’avoir jamais pu organiser d’élections propres. Hier, elle s’est illustrée négativement avec le père. Aujourd’hui, elle rebelote avec le fils. C’est pourquoi l’on peut se permettre de dire que le verdict qu’elle vient de rendre, s’apparente à une sorte d’euthanasie de la démocratie. Et cette image nous a été inspirée par les avocats d’Ali Bongo. L’on se souvient, en effet, que ces derniers avaient qualifié la Cour constitutionnelle de « médecin des élections ». Et bien, l’on peut à présent rétorquer que ce médecin-là est loin d’être à la hauteur du serment d’Hippocrate.
C’est un leurre que de croire à une alternance démocratique par les urnes, au pays des Bongo
Dès lors, l’on peut comprendre pourquoi Ali Bongo a eu le triomphe modeste après la validation des résultats. L’on peut aussi comprendre pourquoi il s’est empressé de se montrer disponible pour partager le butin du très vraisemblable hold-up électoral. L’on peut croire qu’il l’a arraché des mains de son propriétaire légitime, à coups d’instrumentalisation de toutes les institutions du Gabon, y compris l’institution militaire qu’il a eu le temps de phagocyter depuis l’époque de son père où il dirigeait le ministère de la Défense. Dans ces conditions, c’est un leurre que de croire à une alternance démocratique par les urnes, au pays des Bongo. C’est également un leurre que de croire que la Communauté internationale que Jean Ping vient d’inviter « à prendre toute la mesure de la situation au Gabon aujourd’hui », peut installer la démocratie dans ce pays, à la place des Gabonais. La Communauté internationale ne peut que dénoncer, mais n’ira pas jusqu’à faire le boulot en lieu et place du peuple gabonais. Et ce dernier serait mal inspiré de croire Bongo fils sur parole, quand il prend l’engagement de prendre langue avec l’opposition et les forces vives à l’effet de revenir sur le mode de scrutin et le caractère illimité du mandat présidentiel. Car, l’on peut avoir l’impression que c’est une stratégie pour éteindre l’incendie du moment. De la même manière, l’appel du pied qu’il lance aux opposants pour les impliquer dans la gestion du pouvoir, est un véritable piège. Jean Ping et ses camarades sauront-ils l’éviter ? L’avenir nous le dira. Déjà, Ali Bongo a laissé entendre qu’il a entrepris des contacts. Et au regard de l’attitude de bien des opposants sous nos tropiques, prompts qu’ils sont à accourir à la soupe, l’on peut craindre que certains opposants gabonais ne soient pas disposés à cracher sur l’offre de Bongo. Mais ce dernier doit se convaincre de la chose suivante, et c’est une des grandes leçons de cette présidentielle : les Gabonais commencent à être lassés par la dynastie des Bongo. De ce point de vue, on peut dire que la nuit a beau être longue, le jour finira par se lever.
« Le Pays »