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Biram Dah Abeid: «Les autorités mauritaniennes ne luttent pas contre l’esclavage, elles luttent contre les antis esclavagistes»
Publié le vendredi 16 septembre 2016  |  FasoZine




Figure emblématique de la lutte contre l’esclavage dans son pays, le Mauritanien Biram Dah Abeid est le fondateur de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), non reconnue par les autorités de son pays. Parce qu’il espère rallier la société civile et politique africaine à sa lutte, le candidat malheureux aux élections présidentielles mauritaniennes de 2014 a entrepris une tournée qui l’a conduit dans plusieurs pays du continent dont le Mali, le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Alors qu’il séjournait à Ouagadougou dans le cadre de cette tournée, celui qui a récolté de nombreux prix* pour son combat -dont celui des Nations Unies des Droits de l’Homme en 2013- a brièvement évoqué avec Fasozine la situation des droits de l’homme dans son pays. Lui-même libéré en mai sur décision de la Cour suprême après environ 18 mois de prison, il appelle les africains à se mobiliser pour faire pression sur les autorités mauritaniennes.



Fasozine: Quand on parle de l’esclavage en Mauritanie, de quoi s’agit-il exactement ?

Biram Bah Abeid: Je vous renvoie d’abord aux index internationaux qui classent la Mauritanie comme étant le pays qui contient le plus fort taux d’esclaves dans le monde. Et ce sont des organisations internationales spécialisées qui n’ont rien à voir avec IRA Mauritanie qui le disent. Pour notre part, nous considérons qu’il y a 20% de la population mauritanienne qui sont des esclaves. Ce sont des personnes qui naissent esclaves, donc propriétaires d’autres personnes. Ce sont des Hartani (Maure noir, Ndlr), qui sont susceptibles d’être mis en gage, vendus, cédés ou loués. Ils n’ont pas de papiers d’Etat civil. Ils travaillent sans repos, sans salaire, sans soins. Ils subissent des châtiments corporels, des abus sexuels sacralisés par le code noir qui est le code d’esclavage en Mauritanie considéré par l’Etat mauritanien et les groupes arabo-berbère en Mauritanie comme étant la principale source de loi en Mauritanie. C’est un esclavage entretenu par l’Etat lui-même.

Il y a pourtant une loi faisant de l’esclavage en Mauritanie un crime contre l’humanité. Que font les autorités pour la faire appliquer?

Les autorités ne luttent pas contre l’esclavage. Au contraire, elles luttent contre les anti-esclavagistes. Elles ont certes édicté des lois anti-esclavagistes et ratifié des conventions internationales anti esclavagistes mais ces lois et conventions ne sont pas destinées à l’application interne mais à narguer la communauté internationale, à ruser avec elle et à éviter les stigmatisations dans les forums internationaux. Mais en vérité, aucun esclavagiste, parmi les nombreux que nous avons dénoncé, n’a écopé d’une quelconque condamnation. Au contraire, c’est le mouvement anti-esclavagiste qui est pris pour cible. Chaque année, IRA Mauritanie a droit à deux ou trois procès. Des dirigeants et membres de notre organisation sont envoyés en prison avec des peines lourdes. Les esclavagistes n’ont jamais été condamnés, jamais envoyés en prison. C’est toujours la complaisance, toujours une action des autorités qui vise à les soustraire à la loi. C’est parce que ceux qui dirigent le pays sont des esclavagistes. C’est comme cela que se manifeste cet apartheid non écrit implanté en Afrique de l’Ouest à la barbe des Africains et en face duquel les Africains sont restés silencieux, voire complices actifs. Je veux parler de l’Union africaine, de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) et des différents gouvernements africains qui continuent à fréquenter et à soutenir un gouvernement qui pérennise et renforce un apartheid en Afrique de l’Ouest.

Comment interprétez-vous ce silence de l’Union africaine et de la communauté internationale?

Bien que sa dénonciation reste théorique et du bout des lèvres, la communauté internationale est moins silencieuse que la communauté africaine. Mais ces dénonciations ne sont pas suivies d’actes qui doivent sanctionner ce déni de l’humanité dont se rend coupable un club de militaires qui se relayent au pouvoir en Mauritanie depuis 1978. Je pense que cette complaisance relève de la solidarité entre chefs d’Etats, de la solidarité continentale, confessionnelle et tiers-mondiste qui voudrait que le seul esclavagiste soit l’homme blanc. Autrement, comment vous expliquez cette indignation sélective face à ce qui s’est passé dans un pays comme l’Afrique du Sud au temps de l’apartheid et qui se passe en Mauritanie ?

Il y a quand même des noirs dans les hautes sphères de l’Etat…

Ils ne peuvent pas accéder à de hautes fonctions de l’Etat, sauf s’ils sont des faire-valoir utilisés par le pouvoir. Vous savez que même dans le régime de Vichy en France, les Allemands ont trouvé leurs brebis galeuses qui ont collaboré avec eux contre la dignité des Français. Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres qui sont légion dans l’histoire de l’humanité. Nous aussi, nous avons notre Vichy, nos brebis galeuses, nos faire-valoir. Le pouvoir mauritanien prend donc soin de coopter dans chaque gouvernement, chaque institution des faire-valoir qui lui font de faux témoignages dans les forums internationaux, dans les médias et qu’il brandit à la communauté internationale en disant : voilà, ils sont des Noirs, ils sont avec nous. C’est ce que faisaient les instigateurs de l’apartheid en Afrique du Sud, ils avaient toujours leurs noirs, leurs alliés parmi les noirs qu’ils exhibaient pour justifier leur forfait.

Qu’attendez-vous ce de cette tournée qui vous a déjà conduit dans plusieurs pays africains?

Mon séjour au Burkina Faso, tout comme ma tournée africaine s’inscrit dans le cadre de la sensibilisation de la société civile, politique et universitaire africaine sur l’ampleur du forfait qui se développe en Mauritanie. Les Africains doivent prendre position. La société civile africaine doit s’élever contre la position de l’Union africaine et la complicité de la CADHP avec la poignée de militaires esclavagistes qui sont en train d’opprimer de la manière la plus violente les noirs mauritaniens.

Que peuvent faire les Africains et la communauté internationale pour mettre la pression sur les autorités en Mauritanie ?

Les sociétés civiles et politiques africaines doivent fonder un mouvement continental contre le régime mauritanien pour porter la voix de la dénonciation, la voix de la stigmatisation du pouvoir mauritanien dans toutes les tribunes internationales. Ce mouvement pourra mettre la pression non seulement sur les gouvernements africains, les institutions internationales, mais aussi les bailleurs de fonds, les soutiens militaires du régime mauritanien que sont les Etats Unis d’Amérique et ses soutiens économiques qu’est l’Union européenne.

Le dernier épisode en date de ce bras de fer avec les autorités mauritaniennes est la condamnation le 18 août de 13 de vos militants à des peines de prison allant de un à quinze ans de prison ferme. Comment vont-ils ?

Ils vont très mal. Ce sont des personnes dont le seul crime est d’avoir accepté de s’engager sans corruption et sans peur, dans la non-violence et la légalité contre l’esclavage qui broie leur communauté en Mauritanie. Ils ont été condamnés dans un simulacre de procès et accusés injustement. Ils sont malades, ils ont subi la torture physique et morale. Ils sont en train d’être transférés dans un bagne pour accentuer la pression physique et morale sur eux, les amener à fléchir. Et cela dans le silence complice et total des Africains. Notre organisation continuera à se battre, toujours par la voie pacifique et légale, jusqu’à l’abolition totale de ce système inique d’apartheid non écrit implanté en Afrique de l’Ouest.

Propos recueillis par DTS
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