Le 16 septembre 2015, le gouvernement de la Transition a été pris en otage pendant le traditionnel Conseil des ministres. La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre. Par la suite, le 17 septembre, il a été précisé que c’était un coup d’Etat perpétré par le Conseil national de la démocratie (CND) et le général Gilbert Diendéré a été nommé par ces derniers, président. La population, quant à elle, ne l’a pas entendu de cette oreille. La résistance s’est organisée et a tenu tête aux putschistes, jusqu’à la capitulation de ces derniers. Cela, au prix de la sueur et du sang. Retour sur les faits.
Jour J-1 ! Dans quelques heures, on commémorera ce qui a été qualifié par certains comme étant « le coup d’Etat le plus bête du monde ». En effet, après avoir interrompu l’hebdomadaire Conseil des ministres du 16 septembre 2015 et pris le gouvernement en otage, l’ex-Régiment de sécurité présidentielle(RSP) a déclaré avoir agi pour, selon les propos du général Gilbert Diendéré, « éviter la déstabilisation du pays », au grand dam de la population. Intimidations, barbarie et meurtres n’ont pas suffi à entamer la détermination du peuple à faire échec à ce coup de force. Alfred Tioye, journaliste à la télévision BF1, s’en souvient comme si c’était hier. Ce jour-là (NDLR : 16 septembre 2015), il était à son service, situé à quelques jets de pierre du palais de Kosyam, lorsqu’il a appris la prise d’otage, bien avant beaucoup de personnes. « A l’interne, nous étions en train de voir comment les choses allaient évoluer. En conférence de rédaction, nous avons décidé de nous concentrer sur la situation nationale. Il a été décidé que la rédactrice en chef, en lieu et place de la présentation du journal, analyse la situation nationale. Ce n’était pas la première fois que le Régiment de sécurité présidentielle (RSP) interrompait le Conseil des ministres. A l’époque, la Commission chargée de la réconciliation nationale venait également de déposer son rapport », se rappelle-t-il.
Le souvenir est douloureux
Et de raconter que des éléments de l’ex-RSP ont fait irruption dans leurs locaux et ont interrompu le journal en langue mooré ; celui en français étant déjà passé. « Puis, les éléments de l’ex-RSP ont frappé certaines personnes sur place. Certains nous ont rejoints dans nos locaux. Nous étions dans la salle de rédaction, à l’étage. Nous avons eu le réflexe d’éteindre la lumière, les téléphones, les ordinateurs, etc., puis nous avons émis un appel que nous avons laissé sur écoute, au cas où ils viendraient à nous retrouver », explique-t-il en substance, amer. Le souvenir est douloureux. Il poursuit que les éléments de l’ex-RSP sont même arrivés à la porte de la salle de rédaction. C’est lorsqu’ils ont constaté que la lumière était éteinte et la porte fermée à clé, qu’ils ont rebroussé chemin. Les citoyens qui étaient mobilisés autour du carrefour de la télé, ont reçu la visite musclée des éléments de l’ex-RSP. Certains ont été tabassés.
Un jour où Alfred et ses compagnons d’infortune n’ont pas fermé l’œil.
« Ce jour-là, nous n’avons pas dormi. Les éléments du RSP étaient présents au carrefour, à quelques mètres de notre local. Ils riaient aux éclats. A certains moments, ils recevaient la visite de certains de leurs supérieurs hiérarchiques puisqu’ils se mettaient au garde-à-vous. Du bureau du rédacteur en chef, on pouvait les apercevoir à travers les vitres. Les premiers coups de feu ont retenti vers 17h ou 18h », a confié Alfred Tioye. Quelques heures plus tard, c’est un autre confrère qui aura la malchance de rencontrer les éléments de l’ex-RSP. De retour d’une mission, des journalistes dont Gildas Ouédraogo et des agents du ministère de la Justice, des droits humains et de la promotion civique, ont été stoppés par des tirs de kalachnikov devant l’hôpital Saint Camille de Ouagadougou. C’était aux environ de 20h. Sans pitié aucune, ils sont malmenés dans les caniveaux jouxtant l’hôpital, puis bastonnés. De même, le directeur général des Editions « Le Pays », Beldh’or Cheick Sigué, se fera molester en rentrant chez lui, dans la nuit du 16 septembre exactement.
La déception, la lenteur de la justice
Pendant les jours suivants, de nombreuses personnes vont ausi subir la furie de l’ex-RSP. C’est ainsi que Adama Sigué et Issa Siguiré, tous 2 journalistes aux Editions « Le Pays », seront copieusement bastonnés le 19 septembre. Ils revenaient de la rencontre entre les envoyés spéciaux de la CEDEAO et les forces vives de la Nation, qui s’était tenue à l’hôtel Laïco, à Ouaga 2000. Malgré leurs « laisser-passer », ils ont été arrêtés par une patrouille de l’ex-RSP. Après quelques coups de ceinturon, l’un a pris la tangente et l’autre s’est résolu à attendre qu’ils soient fatigués de le bastonner avant de partir. Les stigmates demeurent. La douleur physique s’en est allée, mais celle psychologique est encore là.
Lors de cette période sombre, d’aucuns ont vu leurs biens détruits, tels les 6 motos calcinées par l’ex-RSP dans la cour de Radio Omega. D’autres y laisseront la vie. A l’instar de Badama Bazié, 13 autres « combattants de la liberté » vont tomber sur le champ de bataille. « C’est au téléphone que le grand frère direct, depuis l’hôpital Yalgado, m’a annoncé la triste nouvelle. Séance tenante, je m’y suis rendu. Ce dernier a été mortellement touché au dos, à l’épaule gauche, par une balle. Il était alors au quartier Hamdalaye », se souvient Patrice Bazié, avec amertume.
Depuis lors, nous avons été soutenus moralement et financièrement, notamment par le gouvernement, des Organisations de la société civile, des communautés religieuses, reconnaît-il. Mais sa plus grande déception dans la gestion du dossier des martyrs, c’est la lenteur, surtout au niveau de la justice. « Cela fait une année. Jusque-là, seules quelques personnes ont été entendues par la Justice militaire. Nous sommes donc un peu sceptiques, même si nous avons eu des assurances venant du président du Faso.
De plus, les libérations qui se font tous azimuts nous laissent perplexes. Certaines personnes qui ont ouvertement soutenu le coup d’Etat, bénéficient de liberté provisoire ; des mandats d’arrêts ont été émis et annulés… », rappelle-t-il, dépité. Du reste, il confie que la volonté du gouvernement d’en finir avec cette histoire, est perceptible et qu’il attend de voir.
C’est finalement le 1er octobre que le premier responsable du CND, le général Gilbert Diendéré, sera exfiltré de la Nonciature apostolique où il s’était réfugié et sera conduit au camp de la Gendarmerie nationale à Paspanga.
Thierry Sami SOU