A l’orée de la célébration de la fête de Tabaski, l’imam de la grande mosquée de Dori, Mamoudou Yaya Cissé, a accordé une interview au quotidien Sidwaya. Les échanges ont porté, entre autres, sur l’origine de la Tabaski, la signification du sacrifice du mouton, la lutte contre l’extrémisme religieux et le terrorisme au « pays des Hommes intègres », les acquis de l’Union fraternelle des croyants (UFC).
Sidwaya (S) : Que représente la Tabaski pour le musulman ?
Mamoudou Yaya Cissé (M.Y.C) : L’origine de la Tabaski remonte au prophète Abraham qui avait fait trois rêves, dans lesquels, il lui était demandé d’égorger son enfant Ismaël. Au cours des deux premiers rêves, il se disait que c’était l’œuvre de Satan. C’est au troisième, qu’il s’est rendu compte que cela ne venait pas de Satan, mais de Dieu. Alors, il appela son enfant Ismaël pour lui faire part de son rêve. Tout en lui demandant son point de vue, vu qu’il devait être sacrifié. Ismaël a accepté d’être sacrifié. Mieux, celui-ci s’est montré heureux, estimant que c’était son destin. Le jour venu, Ismaël était prêt et s’est installé sur le lieu du sacrifice. Au premier coup de couteau, le prophète n’a pas pu trancher la gorge de son enfant. Il s’est dit que le couteau n’était pas bien aiguisé. Il l’aiguisa et revint une deuxième fois, sans succès. C’est au cours de la troisième tentative que l’ange Djibril(Gabriel) est descendu du ciel avec un bélier disant au prophète Abraham que Dieu l’ordonne de lui donner le bélier en échange de son fils Ismaël, parce qu’il croit à ses rêves. Pour accomplir sa mission, le prophète Abraham a immolé le bélier. C’est pourquoi, le sacrifice du mouton a été comptabilisé dans les piliers de l’islam et chaque musulman ou musulmane doit sacrifier à la tradition. C’est en ce sens que le prophète Mohamed (salut et paix sur lui) a dit que tout musulman qui a les moyens d’avoir un mouton pendant la fête de Tabaski et qui ne le fait pas, est exclu de la prière musulmane.
S. : Pourquoi doit-on sacrifier un mouton et non une chèvre ou un coq ?
M.Y.C. : Les volailles sont exclues. Mais on peut égorger une chèvre, un taureau, un bélier ou un chameau, en fonction de la catégorisation. La religion musulmane recommande en premier lieu un bélier de pelage blanc avec des yeux tracés de noir et non castré. Dans le cas contraire, on peut prendre un bélier castré. A défaut d’un bélier, on peut sacrifier une brebis. S’il n’y a pas de brebis, un bouc non castré peut être sacrifié. A défaut, on prend un bouc castré. Si le bouc manque, on peut se rabattre sur une chèvre. Après, c’est le taureau, la vache et le chameau. Voilà présentée la liste des animaux qui peuvent être sacrifiés pendant la fête de la Tabaski. Particulièrement pour ceux qui partent pour le pèlerinage à La Mecque, c’est le chameau qui est recommandé parce que c’est une zone où on trouve ces animaux en quantité. Tout animal qui a un handicap ne doit pas être sacrifié pour la Tabaski. Il s’agit de l’animal malade, très maigre, borgne, avec une queue coupée, une corne cassée, qui saigne beaucoup.
(S) : Que faire quand on n’a pas les moyens de s’acheter un mouton ?
(M.Y.C) : Pour le musulman qui ne dispose pas des moyens de s’acheter un mouton, ce n’est pas une obligation. Ce pilier de l’islam est une obligation pour tout musulman qui a les moyens. S’acheter un mouton est une obligation pour ceux qui ont les moyens. Il est possible de s’endetter pour acheter un bélier pour sacrifier le jour de la Tabaski à condition qu’on soit à mesure de le rembourser dans un bref délai. Le musulman qui n’a pas de ressources sur lesquelles il peut compter pour rembourser la dette, ne doit pas le faire.
S. : Dans le Coran chaque homme doit aimer son semblable et partager ce qu’il a avec les démunis. Pourquoi en lieu et place de l’amour et de la miséricorde, des prétendus musulmans répandent-ils la mort ?
M.Y.C. : Ce qui est dit dans le Coran concerne les guerres saintes. Ceux qui se sont sacrifiés durant les guerres saintes sont devenus « Saïd », c’est-à-dire saints, bénis par Dieu, et le paradis sera leur récompense. Cela se passait au temps du prophète Mohamed, parce qu’il a été ordonné par Dieu de venir implanter la religion musulmane. En son temps, toute personne qui se sacrifiait pour lui et à la guerre était un « Saïd » donc un saint. Mais après cela, toute personne qui se sacrifie, se livre à la mort puisqu’il n’y a plus de guerre sainte, Dieu condamne cela parce qu’il estime que tu t’es ôté la vie. Donc, tu mérites l’enfer.
S. : Que peut faire un pays comme le Burkina Faso pour lutter contre l’extrémisme religieux et le terrorisme ?
M.Y.C. : Ce rôle revient aux premiers responsables de la religion musulmane en dialoguant avec les autres. Pour ce faire, ils peuvent désigner des gens autour d’un cadre en vue de sensibiliser les fidèles des autres religions pour dire que ceux qui tuent, ne le font pas au nom de Dieu ou de la religion musulmane. Ils font cela pour d’autres intérêts, leurs propres intérêts, des intérêts égoïstes. Le message doit être clair et précis : voilà ce que l’islam a dit et voilà ce que l’islam prévoit et voilà la cohabitation que nous devons suivre.
S. : Vous êtes membres de l’Union fraternelle des croyants (UFC) de Dori. Quels sont les objectifs de votre association ?
M.Y.C. : L’UFC a été créée depuis 1969 à l’époque de mon père. C’est donc un héritage que nous devons tous bien entretenir. L’objectif principal est le dialogue interreligieux pour la paix et le développement, en luttant contre la famine et la sécheresse. L’UFC a été mise sur pied à la suite d’une sécheresse et depuis lors, l’union existe et travaille à installer un dialogue interreligieux. Dieu étant créateur, parce qu’il a créé l’humanité, les Hommes, et les religions, c’est lui qui a voulu qu’il ait une différence. Cette différence est une richesse et nous devons vivre ensemble, en harmonie. Dans la langue arabe, islam signifie paix. Donc, tout le monde doit respecter l’autre dans sa différence de sorte que la paix puisse régner au Burkina Faso.
S. : Enregistrez-vous des acquis à Dori que pouvez attribuer à l’UFC ?
M.Y.C. : A l’UFC, il y a des acquis. Entre autres, la construction de boullis maraîchers qui permet de réunir les gens. Ces boullis sont des moyens de lutte contre la famine. Il y a une exposition qui est organisée chaque année pour permettre aux producteurs d’écouler leurs productions et se faire de l’argent afin de subvenir aux différents besoins. Il y a également le centre de rééducation, le centre social où les filles sont formées en couture et les jeunes en mécanique. L’UFC vient en aide avec des kits scolaires aux écoles formelles et non formelles à savoir les franco-arabes.
S. : Le Sahel connaît de plus en plus d’attaques d’individus non identifiés et qui endeuillent des familles. Comment peut-on éviter que la situation malienne ne survienne au Burkina Faso ?
M.Y.C. : Ceux qui endeuillent les familles par des attaques terroristes, le font pour des intérêts personnels, matériels, égoïstes. Pour éviter que le cas malien n’arrive au Burkina Faso, les leaders religieux de toutes les religions doivent se concerter afin de sensibiliser la population aux bonnes pratiques du vivre-ensemble. Ces messagers devront sillonner tous les quatre coins du Burkina pour dire que tout ce qui se fait autour du matériel n’est pas recommandé par la religion. C’est plutôt l’œuvre de personnes mal intentionnées. Par conséquent, les gens devraient éviter de se mobiliser autour de ce type de pratiques néfastes pour le pays. A cette initiative de cadre d’intellectuels religieux qu’ils soient musulmans, catholiques ou autres devront se joindre les responsables religieux pour transmettre aux populations le bon message. L’important, c’est de toucher ceux-là qui sont toujours avec la communauté, tels que les responsables des mosquées, des églises, paroisses. Ces derniers à leur tour vont véhiculer le message dans leurs différents lieux de culte afin de freiner ce qui est en train de venir.
S. : Quel appel lancez-vous aux autorités burkinabè et à la nation entière à l’occasion de cette Tabaski ?
(M.Y.C. : Aux autorités, qu’elles soient nationale, régionale ou locale, je demande la sécurité intérieure et extérieure des populations. Que l’autorité soit à l’écoute de son peuple. Que les plus démunis aient accès aux avantages sociaux en vue d’éviter l’injustice. Il faut mettre l’accent sur le dialogue pour éviter tout conflit. Les autorités doivent donner le bon exemple et ainsi la population pourra suivre. Les autorités doivent travailler à améliorer les conditions de vie des populations. Selon les écrits du prophète Mohamed salut et paix sur lui , chaque responsable est un berger et partant de ce fait, il doit rendre compte de sa gestion. Le fait de rendre compte et de se soucier des plus faibles permet d’éviter l’injustice. Les autorités doivent mettre l’accent sur l’éducation, car c’est la clé de la connaissance qui conduit au développement. A l’adresse de la nation, je demande de tout cœur de cultiver la paix, l’entente et l’amour entre nous. Chaque chef de famille doit inculquer les valeurs de la paix et de la tolérance aux membres de sa famille. Je demande aux populations de s’accepter. Car, sans la paix aucun, développement n’est possible. On est en saison hivernale, je souhaite que la pluie continue pour que les Burkinabè puissent avoir de bonnes récoltes, parce que la famine est source de conflit.
Entretien réalisé par
Souaibou NOMBRE