Journaliste à l’hebdomadaire « L’Economiste du Faso », Elie Kaboré est également spécialiste des questions relatives aux industries extractives. Présent à Yaoundé au Cameroun dans le cadre de la 6e session de l’université d’été sur la gouvernance des industries extractives en Afrique francophone organisé par le Centre d’excellence pour la gouvernance des industries extractives en Afrique francophone (CEGIEAF), il a co-animé un panel sur les reformes des cadres légaux et règlementaires dans le secteur des industries extractives. A cette occasion, il a accordé une interview au quotidien Sidwaya. Avec lui, plusieurs sujets d’intérêts ont été abordés.
Sidwaya (S) : A Yaoundé vous avez co-animé un panel sur les reformes des cadres légaux et règlementaires du secteur. Que peut-on retenir de votre communication ?
Elie Kaboré (E.K.) : Ce fut un honneur pour moi d’être invité par les organisateurs de ces 6e universités d’été. Je rappelle que je suis un ancien stagiaire de ces universités, promotion 2013. Ayant suivi le processus d’élaboration qui a abouti à l’adoption du code minier burkinabè de 2015, j’ai été invité à partager les expériences de plaidoyer de la société civile burkinabè dans le processus de révision de ce code. Ce code est le 3e pour le Burkina après celui de 1997 et 2003. Après l’adoption du 1er code en 1997 qui n’a pas rencontré l’assentiment des investisseurs, on a assisté à une baisse drastique du cours de l’or ; ce qui a fait fuir des sociétés minières. Avec la remontée du cours de l’or au début des années 2000, le gouvernement a procédé à la relecture de ce code qui a abouti en 2003 au deuxième code qui offre plus d’avantages aux investisseurs. La première mine privée a ouvert en 2007 et dès 2009, l’or est devenu le 1er produit d’exportation et le Burkina, 4e producteur africain d’or. Au niveau de l’opinion, on a commencé à se plaindre du fait que le développement attendu tarde à venir. Sous l’impulsion des bailleurs de fonds et les organisations de la société civile, le gouvernement a entamé la révision du code de 2003. Des plaidoyers ont été développés par la société civile dont le Réseau africain des journalistes pour l’intégrité et la transparence (RAJIT) dirigé par feu Tiergou Pierre Dabiré. Suite à une étude menée sur les exonérations fiscales accordées aux investisseurs, le plaidoyer visait la baisse de certaines exonérations. Le code adopté dispose que l’impôt sur les sociétés est ramené au taux du droit commun qui est de 27,5% au lieu de 17,5% comme il était prévu dans l’ancien code.
La Coalition « publier ce que vous payez » a aussi développé un plaidoyer en faveur de la création d’un fonds minier de développement local et de son alimentation d’une part par les redevances proportionnelles collectées, à hauteur de 15% et 1% du chiffre d’affaires hors taxes ou de la valeur des produits extraits des sociétés minières.
Ces plaidoyers ont eu le mérite de créer une opinion publique favorable à l’adoption de ces dispositions dans le code. Ce sont ces expériences que nous avons partagées à côté d’autres animateurs venus du Cameroun, du Tchad, de la Guinée et du Burkina Faso.
S : De nombreux Burkinabè, dont vous-même, ont déjà pris part à cette université d’été. Quels peuvent être leurs apports à une meilleure gouvernance dans les industries extractives au « pays des Hommes intègres » ?
E.K. : Lorsqu’on s’intéresse à un secteur, il faut se former pour avoir des connaissances sur tous les contours du secteur. Durant les deux semaines de cours de ces universités d’été, plus d’une vingtaine de modules ont été développés sur la transparence, la budgétisation, la comptabilité, la gestion des revenus, les contrats, la responsabilité sociale des entreprises, la fiscalité, l’environnement, les droits des communautés, etc. On ressort de ces universités bien nanti. Personnellement, ces connaissances m’ont été utiles dans la détection des sujets et la rédaction d’articles. J’observe le secteur en personne avertie.
S : Le Burkina Faso vit depuis quelques années son boom minier. Pensez-vous que les Burkinabè profitent réellement de leur sous-sol ?
E.K. : Je constate que depuis que les mines sont au Burkina, l’investissement privé a augmenté tout comme les recettes dans le budget national. Les mines ont aussi créé des emplois directs. On a assisté au développement d’entreprises qui fournissent des biens et des services aux sociétés minières. Mais est-ce que les Burkinabè sont en droit d’attendre plus ?
Les entreprises minières ont été autorisées à s’installer au Burkina par le gouvernement, suivant le code minier et ses décrets d’application. S’il se trouve que ces textes ne permettent pas aux Burkinabè de profiter de la l’activité minière, il appartient aux Burkinabè de les changer. S’il se trouve que nous avons de bons textes et que leur application pose problème, il faut donc corriger ces dysfonctionnements. On a tendance à se focaliser sur le secteur industriel de l’or. Pourtant, ce que le pays perd dans l’orpaillage et les activités frauduleuses des comptoirs d’achat est énorme. Le Burkina est un pays souverain. Il lui appartient de règlementer le secteur, de contrôler les activités et définir des plans de développement qui seront soutenues par ce secteur.
On pourrait aussi se demander comment les mines pourraient mieux développer le Burkina. Dans un premier temps, il nous faut un ministère des mines à la hauteur des enjeux du secteur. Quelques dysfonctionnements ont toujours été relevés dans les rapports de l’ITIE mais qui ne sont pas corrigés comme la gestion des contrats. Des sociétés minières cumulent des arriérés dans le paiement des taxes superficiaires, des arriérés dans l’alimentation du fonds de réhabilitation des sites miniers. On signe des contrats avec des entreprises sans tenir compte de la règlementation en vigueur et sans consulter les autres départements ministériels. On met fin de manière unilatérale à un contrat pour ensuite dédommager la société.
Sur le plan des emplois, les mines peuvent mieux rapporter. Le gouvernement n’a pas mis l’accent sur la formation des Burkinabè aux métiers des mines. Pourtant dans les textes, les sociétés minières doivent privilégier les nationaux et remplacer progressivement le personnel expatrié par des nationaux. Il n’appartient pas aux mines de former mais au gouvernement. Il appartient également au gouvernement d’organiser les fournisseurs locaux des biens et services miniers parce que les textes stipulent qu’il faut privilégier les nationaux dans les contrats d’achat. Mais il se trouve que les sociétés minières disent que pour certains contrats, les nationaux ne sont pas qualifiés. Plus de contrats aux nationaux, c’est plus d’emplois et plus d’impôts pour le pays.
Sur le plan de l’énergie, les mines peuvent contribuer à résorber le déficit, il appartient au ministère de savoir négocier. La construction des infrastructures sociales de bases et des unités de transformation agro- industrielles (fruits et légumes, abattoir modernes, etc.) peut être développée dans le cadre d’un partenariat public-privé avec les mines. Les sociétés minières seront les principaux consommateurs de la production. Personnellement, je propose la création de pole de croissance autour de chaque mine qui devrait survivre après le départ de la mine.
S : Du permis d’exploration, en passant par le contrat, la fiscalité jusqu’à l’exploitation du minerai, estimez-vous qu’il existe de la transparence dans les industries extractives dans votre pays ?
E.K. : Je vous renvoie aux différents rapports que l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) Burkina a publiés. Dans son principe, le travail de l’ITIE consiste à collecter les déclarations des paiements des sociétés minières pour les confronter aux déclarations de revenus perçus par l’Etat. On constate des écarts entre les déclarations des sociétés minières et l’Etat sur les quantités de production et les valeurs d’or exportées. Il serait intéressant que le ministère en charge des mines explique certains écarts aux citoyens. Le ministère des finances doit aussi expliquer pourquoi les identités des propriétaires réels de sociétés minières ne sont pas connues.
Vous constatez que les contrats miniers ne sont pas publiés alors que le nouveau code le prévoit. Le registre du cadastre comportant les dates de la demande et les coordonnées géographiques du permis ne sont pas publics. Le ministère ne publie pas de rapports sur les mines chaque année. Les taxes superficiaires sont reparties de manière égalitaire entre les communes bénéficiaires sans tenir compte des superficies occupées par la mine dans la commune. Les versements au fonds de réhabilitation pour l'environnement n’ont pas été communiqués. La contribution du secteur extractif dans l’emploi n’est pas connue. Tous ces éléments concourent à la transparence.
S : Un nouveau Code minier a été adopté le 26 juin 2015 par le Conseil national de la transition (CNT). En attendant la signature des décrets d’application, quelles sont les innovations majeures introduites par ce code ?
E.K : Le nouveau Code stipule que les contrats miniers doivent être publiés dans le journal officiel. Il institue un fonds minier de développement local. L’impôt sur les sociétés est désormais perçu à un taux de 27,5% au lieu de 17,5% dans l’ancien code. Le code limite la stabilisation du régime fiscal à la durée de vie de la mine. Il institue le fonds de réhabilitation, de sécurisation des sites miniers artisanaux et de lutte contre les effets néfastes et l’usage des produits chimiques. Il limite la durée vie de la convention minière à celle du permis et prend en compte des engagements internationaux de l’Etat dans la gestion des activités minières (Directive de la CEDEAO, Processus de Kimberley, ITIE, Conférence interafricaine des marchés d’assurances). Le code réaffirme la nécessité d’alimenter le fonds de réhabilitation des sites miniers, la préférence aux emplois locaux et aux fournisseurs locaux dans les commandes, etc.
S. : Le nouveau Code minier contient-il, selon vous, des insuffisances ? Si oui, lesquelles ?
E.K. : Je pense que le taux de 20% des taxes superficiaires collectées qui reviennent aux collectivités est très faible. On peut mieux faire. J’aurais aimé que l’on règlemente mieux le contenu local et la responsabilité sociale des entreprises en relation avec les textes sur le partenariat public-privé afin d’offrir plus d’opportunités de développement par les mines. On attend les décrets d’application pour avoir une lecture plus large parce que plusieurs articles du code renvoient à ces textes.
S. : Expliquez-nous dans quelles conditions, le taux de 1% des recettes des entreprises minières a été obtenu pour alimenter le fonds minier de développement local ?
E.K. : Avant l’adoption de ce Code, sur les revenus miniers, seulement 20% des taxes superficiaires collectées revenaient aux collectivités. Le fonds minier de développement local vient s’ajouter aux possibilités de financement du développement local par les mines. La contribution des sociétés minières à l’alimentation de ce fonds est de 1% de leur chiffre d’affaires. En outre, ce fonds est alimenté par 15% des redevances proportionnelles collectées.
S. : Les conflits entre les entreprises minières et les communautés riveraines ont-ils un lien avec l’absence de responsabilité sociale de ces entreprises au Burkina Faso ?
E.K. : On a constaté que l’Etat est absent dans les zones minières à telle enseigne que les populations se retournent vers les mines. Les sociétés minières font des investissements au profit des communautés pour améliorer la cohabitation avec celles-ci. Mais les attentes des communautés sont grandes. Certains conflits sont liés à l’emploi local ou au manque de transparence dans la gestion de certaines fondations chargées des investissements. D’autres sont liés au niveau d’investissement de la mine. A ce sujet, on constate qu’il varie d’une mine à une autre. Ce qui est compréhensible parce que les mines ne sont pas les mêmes. Pendant que certaines investissent des milliards, d’autres ont de la peine à atteindre les 100 millions par an. Il y va pourtant de l’intérêt des sociétés d’investir pour favoriser leur intégration dans la localité. Elles doivent consentir une partie de leur bénéfice pour cela. On constate aussi que certains investissements n’émanent pas de la volonté des populations ou n’intègrent pas les plans locaux de développement. De bonnes pratiques en la matière existent.
S. : Quelles solutions préconisez-vous pour mettre fin à ces conflits ?
E.K. : Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’on doit laisser le développement des zones minières aux sociétés minières.
Il appartient une fois de plus à l’Etat de mettre en place une règlementation en place afin de collecter les revenus et de réaliser les investissements au profit des populations comme le fonds minier de développement local. Le Burkina est un état souverain qui doit mettre les règles en place pour profiter de la présence des mines pour des projets de développement harmonieux et durable. Mais il faut améliorer le fonctionnement des structures étatiques afin qu’elles jouent leur rôle de régulateur. Les cadres de concertations institués en conseil des ministres ne sont pas fonctionnels alors qu’ils permettent aux communautés, sociétés minières et services techniques, de discuter autour de la même table avec possibilité de feed-back.
S : Le Burkina Faso devrait-il s’inquiéter des impacts socio-environnementaux provoqués par l’exploitation minière ?
E.K : Sur le plan environnemental, le code minier prévoit un fonds de réhabilitation des sites miniers industriels. Mais certaines sociétés ne sont pas à jour de leurs cotisations. Aussi, y a-t-il une insuffisance dans les textes portant réhabilitation des sites miniers. Quand doit-on commencer la réhabilitation ? Qui doit le faire et avec quel moyen ? Kalsaka mining a fermé depuis 2013 mais à cause des insuffisances, la réhabilitation n’a pas commencé. La première mine privée est en production depuis 2007 mais pendant 9 ans, la question de la réhabilitation n’est pas totalement règlementée. La responsabilité de notre Etat est engagée dans cette affaire.
L’autre aspect concerne l’orpaillage. Ces temps-ci, les médias font état d’empoisonnement d’animaux et de personnes au Sud-Ouest, à l’Est et au Sahel. Les orpailleurs utilisent des matières nocives (mercure, cyanure) dont l’usage est très règlementé. Ils polluent l’environnement et il ne faut pas attendre qu’une catastrophe intervienne avant de sévir. Au niveau social, le gouvernement doit mieux encadrer les déplacements des populations avant l’installation des sociétés minières afin que les cellules familiales, culturelles soient préservées.
L’intervention du gouvernement est aussi attendue sur les sites d’orpaillage où la déscolarisation des enfants est fréquente. On y rencontre des problèmes de sécurité, de santé (drogue, prostitution, alcool frelaté, etc.). Toutes ces questions sont traitées par la société civile mais le gouvernement doit jouer sa partition.
Interview réalisée
par Souaibou NOMBRE