L’Afrique est un continent où, du moins en apparence, nous nous félicitons de notre diversité, qui se traduit par la grande variété de nos nombreuses cultures, langues, modes, flores et faunes. C’est pourquoi on ne peut qu’être perplexe lorsque l’on constate qu’une grande partie de la population africaine dépend d’un petit nombre de cultures telles que le maïs, le riz et le blé. Cette dépendance n’est pas simplement monotone d’un point de vue gustatif ; elle porte aussi grandement atteinte à la qualité de nos régimes et crée un système agricole plus vulnérable, en particulier lors d’importantes sécheresses comme celle qui touche cette année le sud de l’Afrique.
Le secteur agricole africain a récemment suscité beaucoup de débats. Ce secteur est en bonne position pour devenir le nouveau moteur économique d’un continent devenu trop dépendant de marchandises comme le pétrole. Cette semaine, des chefs d’État et d’importants responsables venant d’Afrique et du monde entier se rassemblent à Nairobi dans le cadre du Forum sur la révolution verte en Afrique. À cette occasion, de nouveaux engagements se chiffrant à plusieurs millions de dollars à destination des petits exploitants d’Afrique pourraient voir le jour.
Néanmoins, il est peu probable que l’Afrique réalise son potentiel agricole ou qu’elle soit prête à faire face à des défis tels que les sécheresses – dont la fréquence s’accélère en raison du changement climatique – à moins que nous changions notre manière d’envisager la diversité des cultures.
Ces deux dernières décennies, mon travail a tourné autour du développement et de la promotion de patates douces enrichies sur le plan nutritionnel. Cette expérience m’a convaincue du fait que, avec la bonne approche, les agriculteurs seront enclins à cultiver une plus grande variété de cultures et que les consommateurs finiront par adopter les nouveautés disponibles à table.
L’Afrique a la chance de bénéficier d’une grande richesse en termes de diversité de cultures. La plupart de ces cultures – y compris le sorgho, l’igname et le niébé – trouvent leur origine sur le continent. Mais de nombreuses autres cultures y sont arrivées via le commerce, depuis l’Asie comme la banane, le pois d’Angole et le blé, ou d’Amérique, comme les haricots, le manioc et le maïs. Et pourtant, plutôt que de tirer parti de ces nombreuses options alimentaires, nous avons excessivement misé sur quelques cultures seulement.
Prenez le cas du maïs dans l’est et le sud-est de l’Afrique. Il peut certes pousser dans différents environnements et fournir une quantité importante de calories. Néanmoins, le maïs a aussi ses faiblesses, parmi lesquelles sa sensibilité à la sécheresse et aux insectes ainsi que ses médiocres qualités nutritionnelles.
Même si les travaux de recherche ont récemment permis de développer des variétés de maïs plus résistantes et nutritives, cela demeure insuffisant. En effet, dans de nombreuses régions, la hausse des températures et des précipitations de plus en plus irrégulières entraîneront une baisse des rendements agricoles – jusqu’à 22% dans de nombreuses régions et jusqu’à 60% en Afrique du Sud et au Zimbabwe, selon le rapport 2015 du Panel de Montpellier.
Un vaste corpus de recherche montre que les agriculteurs sont moins susceptibles de subir de lourdes pertes à cause des insectes, des maladies ou de la sécheresse s’ils plantent un éventail plus large de cultures. Aujourd’hui, les conséquences de la propagation de la nécrose létale du maïs et de la rouille noire du blé sont grandement amplifiées par le manque de cultures alternatives. Cette année au Malawi, la sécheresse a dévasté les cultures de maïs et de haricots, alors que les agriculteurs qui font pousser des cultures naturellement résistantes et nutritionnelles comme les pois chiches et les patates douces s’en sont bien mieux sortis.
Si les bénéfices sont si évidents, pourquoi les agriculteurs ne se diversifient-ils pas spontanément ? La réponse est qu’ils pourraient vouloir se diversifier, mais s’abstiennent à cause de politiques et d’obstacles institutionnels. Lorsque des cultures comme le maïs commencent à prendre de l’ampleur, les gouvernements et le secteur privé accélèrent leur développement en attribuant, entre autres, des subventions et des aides à la recherche. Dans le même temps, d’autres cultures potentiellement utiles telles que le manioc et le sorgho sont négligées, se voyant aussi parfois attribuer les qualificatifs peu flatteurs de « cultures du pauvre » ou de « cultures pour les terres peu productives ».
Ce n’est pas une fatalité. Mon travail sur les patates douces m’a appris qu’il est possible de faire de ces « vilains petits canards » des cygnes.
Tout d’abord, nous avons besoin d’une recherche axée sur l’ajout de valeur à ces cultures et sur l’amélioration de leur résistance naturelle. Dans le cas de la patate douce, nous avons élaboré une variété ayant des niveaux de bêta-carotène (le précurseur de la vitamine A) plus élevés, une meilleure tolérance à la sécheresse et une plus forte résistante aux virus.
La deuxième tâche essentielle concerne les agriculteurs, qui ont besoin d’une source fiable de semences saines. Ce n’est pas une tâche simple pour les cultures généralement ignorées par les entreprises de semences locales et les multinationales, en particulier si, comme les patates douces, elles se propagent par des éléments végétaux encombrants et périssables. Pour celles-ci, nous avons travaillé avec des réseaux locaux d’agriculteurs et des organisations non gouvernementales (ONG) afin de parvenir à multiplier et disséminer du matériel végétal amélioré à grande échelle.
Enfin, le marketing et la valorisation de la marque – des éléments qui ne viennent pas nécessairement à l’esprit de chercheurs comme moi – ne doivent pas être oubliés. Nous avons eu recours à divers outils de marketing et de communication afin de sensibiliser les consommateurs aux nombreux avantages de la patate douce, qui peut être utilisée comme aliment de base, fourrage pour animaux, en-cas et ingrédient pour aliments transformés.
Le thème du Forum sur la révolution verte en Afrique est « Saisir le moment ». Je ne peux imaginer de meilleur moment pour que les dirigeants présents à cet événement fassent de la diversité des cultures un axe central de leurs programmes en faveur de l’agriculture africaine. À l’instar des vêtements aux couleurs des participants d’Afrique de l’Ouest qu’ils pourront admirer lors du Forum, je pense qu’ils devraient aussi soutenir une mosaïque plus large de cultures alimentaires pour nos agriculteurs. J’ai déjà observé les bénéfices obtenus quand les patates douces à chair orange éclaboussent les fermes africaines et les régimes alimentaires africains.
Dr Maria Andrade
NB: Phytologue au Centre international de la pomme de terre, le Dr Maria Andrade est l’une des quatre vainqueurs du Prix mondial de l’alimentation 2016. Elle est membre du bureau de l’AGRA.