Le troisième anniversaire de l’accession du président Ibrahim Boubakar Keita (IBK) au pouvoir, a été célébré, hier, sur les rives du Djoliba, sans les flonflons cocardiers habituels, en raison de la situation sécuritaire plus qu’inquiétante que vit le Mali. En effet, pour la première fois depuis l’intervention de l’armée française en janvier 2013 pour stopper les hordes djihadistes qui avançaient dangereusement vers la ville-garnison de Mopti, une bourgade située dans le centre du pays (Boni) a été, pendant quelques heures, entièrement occupée par un groupe armé probablement affilié à Ançardine. L’armée malienne, ou ce qui est encore abusivement qualifié comme tel, avait, comme d’habitude, abandonné sa position afin, ne riez pas, « de se mettre en sécurité » dans la ville de Douentza, à une centaine de kilomètres plus à l’Est. Les présumés islamistes ont certes tranquillement quitté cette ville de Boni après avoir mis les bâtiments administratifs et les locaux de la gendarmerie à sac, mais au-delà du bilan humain difficile à établir et des dégâts matériels constatés sur le terrain, c’est le symbolisme de cet acte d’occupation même passager et le désarroi moral des populations maliennes face à la pleutrerie de leurs soldats, qui marquent les esprits, quatre ans après le début de la crise et plus d’un an après la signature d’un prétendu accord de paix. Dans ce contexte où les attaques tous azimuts sont devenues banales et où « les points chauds » de la guerre contre le terrorisme sont tous Signalés dans le centre et le Sud naguère épargnés du pays, comment pouvait-on organiser des « djandjobas » pour fêter les trois ans de pouvoir du président IBK, période que certains, même dans son propre camp, considèrent comme « un passage à vide », principalement sur le plan sécuritaire ? Le limogeage du ministre de la Défense, Tiéman Hubert Coulibaly, intervenu le 3 septembre dernier suite aux différents affronts subis par les militaires maliens dans les régions de Mopti et de Ségou ces derniers mois, ne pourra pas sauver la face à ce président de la République qui avait accédé au pouvoir grâce à ses promesses dolosives de « casser du djihadiste » et de ramener les brebis égarées du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) dans la bergerie, avant la fin de son mandat. Depuis, le président IBK a perdu de sa superbe, et le renvoi de son ministre de la Défense n’est que le petit arbre de fermeté qui tente désespérément de cacher l’immense forêt des défis non relevés et de la désillusion sur quasiment tous les plans : l’Administration publique reste gangrenée par la corruption et le clientélisme, les finances sont laminées par des dépenses superfétatoires ordonnées par les garants de l’orthodoxie financière, et, suprême panne de stratégie en matière de défense de l’intégrité territoriale et de l’unité nationale, la sécurisation du pays est sous- traitée avec des milices armées opérant dans le Nord du pays.
La France et la Minusma n’ont pas vocation à rester indéfiniment au Mali
En un mot comme en mille, c’est un bilan à mi-parcours plus que mitigé, qu’il y a lieu de dresser. Car, à part quelques éclaircies dans le domaine de l’agriculture et de la lutte contre le chômage, il est difficile de voir ce qu’on peut retenir de positif pour le Mali, trois ans après l’arrivée, tambour battant, de « kankélétigui » au palais de Koulouba. En effet, malgré la présence des armées française et onusienne dans les zones à hauts risques comme l’extrême Nord du pays, les autorités maliennes n’arrivent pas à réduire les groupuscules armés essentiellement composés de pauvres paysans ou éleveurs, le plus souvent ayant reçu une formation militaire sommaire, combattant avec des armes individuelles et disposant de moyens de transport rudimentaires. Le moral des troupes semble avoir été sapé pour ne pas dire abîmé par le « syndrome d’Aguelock », du nom de cette localité où le capitaine-courage Sékou Traoré et ses hommes, furent massacrés par la coalition MNLA-Ançardine en 2012, au tout début de la crise. Depuis, les différents chefs militaires qui commandent les unités à l’intérieur du pays, ont davantage organisé des sprints et des rallyes avec leurs éléments pour se mettre à l’abri, que de bâtir des stratégies de reconquête et de sécurisation des zones mises sous coupe réglée par les rebelles et autres terroristes. C’est ça qui est la vérité, pour parler comme nos frères ivoiriens, et le président malien gagnerait à donner un coup de « rangers » dans le commandement des opérations militaires, plutôt que de perdre le temps à limoger des ministres et à dégommer des chefs de gouvernement qui sont devenus de véritables fusibles ou de vrais boucs-émissaires d’un pouvoir totalement dépassé par les événements. On ne le dira jamais assez, personne ne devrait pouvoir défendre vaillamment le Mali autant que les Maliens eux-mêmes. Espérons qu’ils nous démontreront dans les mois à venir, qu’ils sont capables de transcender leurs différences ethniques ou culturelles, et que leurs soldats iront désormais au contact, au lieu de prendre la poudre d’escampette, à la moindre attaque des ennemis de la paix et de la République. Après tout, la France et la Minusma n’ont pas vocation à rester indéfiniment au Mali, et c’est dès maintenant que les descendants de Soundjata Kéita doivent se préparer à colmater les brèches de leur guerre fratricide et à léguer à la postériorité, un « Mali un, et indivisible ».
Hamadou GADIAGA