Il n’aura pas fallu attendre longtemps pour voir le Gabon basculer dans la violence, suite à la victoire annoncée du président sortant Ali Bongo Odimba (ABO) en qui bien de ses compatriotes voient… un Ali Baba. En effet, quelques heures seulement après l’annonce des résultats provisoires, le 31 août dernier, qui donnent 49,80% des voix à ABO contre 48,23% pour son principal challenger, Jean Ping, la capitale gabonaise a été embrasée par de violentes manifestations de militants remontés de l’opposition, qui se sont traduites par la destruction de biens publics et privés, ainsi que l’autodafé d’un des symboles forts de l’Etat, l’Assemblée nationale. Pour les croquants, la pilule de cette victoire à la photo finish de Bongo fils, après celle de 2009, est dure à avaler. Et pour cause : ils soupçonnent le pouvoir d’avoir manipulé les chiffres pour assurer la victoire d’Ali Bongo, notamment ceux de sa région d’origine, le Haut-Ogooué, tombés à la dernière minute et qui font l’objet d’une opacité au point que l’opposition réclame un recomptage des voix dans cette province, pendant que la Communauté internationale, notamment la France, l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis, demandent une publication des résultats par bureau de vote. Car, visiblement, ce sont les résultats de cette province qui ont scellé le sort de ces élections qui ont vu ABO l’emporter d’une courte tête sur son rival. On notera au passage le silence de l’Union africaine (UA) actuellement dirigée par le satrape Idriss Déby, sur une question qui l’interpelle pourtant au premier chef. Pouvait-il en être autrement ?
En se refusant à la transparence, le gouvernement gabonais renforce la suspicion sur la victoire d’Ali Bongo
A propos des résultats de la désormais célèbre province du Haut-Ogooué, les informations les plus folles circulent. En effet, pendant que l’opposition soutient que le nombre de votants dépasse le nombre d’inscrits, d’autres sources indiquent que pour atteindre les chiffres donnés par la Commission électorale nationale autonome permanente (CENAP), il aurait fallu que la population du Haut-Ogooué quintuple en quelques heures, pour passer d’à peu près 50 000 à pratiquement 250 000 personnes. Cela mériterait de loin de figurer dans le Livre Guinness des records. Car, l’on se demande comment les femmes de cette région du Gabon auraient pu, en l’espace de quelques heures, mettre au monde autant d’enfants avec certains en âge de voter. En tout cas, les chiffres officiels font état d’un taux de participation qui avoisine les 100% dans cette région, pendant que dans le reste du pays, le taux global est estimé à 60%. C’est trop gros ! Même dans les démocraties les plus avancées, l’on n’a jamais vu cela. Il y a anguille sous roche. D’autant plus qu’en dépit de la situation explosive et délétère, le pouvoir ne veut pas se résoudre à un recomptage des voix ni à rendre publics les résultats par bureau de vote comme le réclament les uns et les autres. Pourtant, Dieu seul sait si cela contribuerait à faire baisser la tension. Dans ces conditions, comment ne pas penser que s’il y a du faux, il y a aussi du vrai dans toutes ces informations ? Comment ne pas penser que si malgré le taux de participation à donner le vertige au plus talentueux des funambules dans la région d’origine du chef de l’Etat, ce dernier ne dépasse au finish son rival que de quelque 6 000 petites voix, c’est que Jean Ping avait une avance considérable et avait des raisons de croire en sa victoire ? Et dans le cas d’espèce, l’on est porté à croire que si les 100% de taux de participation n’avaient pas été suffisants pour donner une avance à ABO, le pouvoir aurait tout mis en œuvre pour trouver des voix supplémentaires ailleurs. C’est une honte !
En tout cas, en se refusant à la transparence, le gouvernement gabonais renforce la suspicion sur la victoire d’Ali Bongo. Du reste, depuis l’annonce de sa victoire, l’intéressé lui-même n’est pas dans le schéma de la fanfaronnade. Ceci expliquerait-il cela ? En tout état de cause, l’on en vient à constater que le Gabon est le troisième pays d’Afrique centrale où les élections se terminent, cette année, dans la violence, après le Congo de Denis Sassou Nguesso et le Tchad d’Idriss Déby Itno, pendant que les mêmes ingrédients sont en train d’être réunis en RD Congo. Cela n’est pas à l’honneur de cette région de l’Afrique qui confirme chaque jour un peu plus, tout le mal que l’on dit d’elle en termes de martyrisation de la démocratie. Et dans le cas du Gabon, les inquiétudes nourries déjà à la veille des élections, se sont malheureusement avérées sur le terrain. Car, avec la montée de la tension, l’on avait craint qu’il pleuve des hallebardes sur Libreville. Finalement, il est en train de pleuvoir un déluge de feu sur la tête des opposants car, depuis hier, les forces de sécurité sont entrées dans la danse en sortant l’artillerie lourde pour bombarder à l’hélicoptère, le QG du candidat malheureux, Jean Ping, où étaient réunis beaucoup de ses partisans. Mais le résultat est le même : le Gabon est dans la tourmente.
L’opposition gagnerait à ne pas négliger les voies légales de recours
D’autant plus que de la répression d’hier, certains chiffres font état de deux morts, de nombreux blessés et de multiples arrestations, même si l’on ne connaît pas encore le sort de tous les opposants. La violence, sous toutes ses formes, est condamnable en démocratie. C’est pourquoi l’on peut regretter cette attitude mortifère des Forces de défense et de sécurité (FDS) africaines, en général, qui, lors des conflits électoraux sous nos tropiques, prennent fait et cause pour le prince régnant ou sont à sa solde, et cela, au détriment du peuple, alors qu’elles devraient faire preuve de neutralité. Dans le cas d’espèce, tirer sur un QG de campagne comme sur un nid de djihadistes, traduit ni plus ni moins une volonté d’en finir une fois pour toutes avec la contestation, alors que le processus de dépouillement opaque de cette élection, a porté en lui-même les germes de cette contestation. Si la stratégie est d’étouffer la contestation dans l’œuf, elle peut s’avérer périlleuse si elle ne prospère pas sur le court terme. En effet, si les contestataires venaient à faire preuve d’une capacité de résilience insoupçonnée, Ali Bongo risquerait de se retrouver dans un scénario similaire à celui du Burundi de Pierre Nkurunziza. Et si l’opposition devait rester solidaire, il aurait davantage de soucis à se faire car, comme dit le dicton, « face à un troupeau uni, le loup n’est pas à craindre ». Et puis, il y a le risque d’embrasement du pays tout entier, qui pourrait donner bien du fil à retordre aux FDS. Le Gabon est donc dans une période d’incertitudes.
Cela dit, l’opposition gagnerait à ne pas négliger les voies légales de recours. Même s’il est peu probable qu’elle obtienne gain de cause auprès d’une Cour constitutionnelle qui s’est déjà, par deux fois, discréditée en se prononçant en faveur d’Ali Bongo, dans le contentieux électoral. Quant au président réélu, s’il a vraiment compris la soif d’alternance des Gabonais, il devrait commencer à songer à préparer, dès à présent, son départ, même si l’orage venait à passer. Deux septennats dans les conditions que l’on sait, ça suffit !