Il était à la tête de l’Unité de gestion des secours d’urgence des inondations du 1er septembre 2009. La structure était chargée de la collecte des dons, des stocks, d’assurer la comptabilité et d’exécuter toutes les dépenses avec à la clé la production d’un rapport qui a été remis en avril 2015 aux autorités burkinabè. Dans cet entretien, Jean Baptiste Zoungrana, actuel secrétaire général du Conseil économique et social (CES), revient sur la gestion de la catastrophe et les modalités de prise en charge des sinistrés.
Fasozine: Qu’est-ce qui a été fait concrètement pour venir en aide aux sinistrés?
Jean Baptiste Zoungrana: Il faut tout d’abord savoir que la collecte nous a permis d’avoir un peu plus de 19 milliards de franc CFA. Nous avons dépensé près de 70% de ces recettes pour les sinistrés. Au titre de ces dépenses, comptent les lotissements, les aménagements de terrain, les vivres et les soins. Il a fallu également scolariser de nombreux enfants. A cela s’ajoute la réhabilitation des ponts (Kadiogo et Pogbi) et de la digue du barrage de Tanghin. On a construit le mur en béton de l’hôpital Yalgado Ouédraogo et réalisé des investissements pour l’hôpital du secteur 30. Il y a aussi eu la construction d’un magasin de stockage de plus de dix mille tonnes au niveau du Conasur (Comité national de secours d’urgence et de réhabilitation, NDLR), et du centre devant accueillir les femmes du centre «Delwendé» de Tanghin, d’une valeur de plus de 400 millions de francs CFA. En plus de cela, il convient de préciser que les autres sinistrés, en dehors de Ouagadougou, ont aussi bénéficié d’une aide conséquente (matériel de survie, pour au moins 25 000 francs CFA par famille). En somme, la générosité des uns et des autres a été redistribuée aux sinistrés du 1er septembre de 2009. Mieux, elle a servi à venir en aide aux sinistrés de 2010, 2011 et même 2012, avec le matériel qui est resté. Il est vrai qu’en pareille situation, l’Etat fait des efforts pour apporter un soutien aux victimes. Mais force est de reconnaître qu’il ne peut pas les dédommager tous.
A l’époque, il avait été question de reloger les sinistrés sur des sites, dont ceux de Yagma et de Bassinko. Quelques années après, les relogés de Yagma par exemple se plaignent que ce site n’est pas viabilisé…
J’ai été informé de cette situation. Et j’avoue en être peiné. On s’attendait vraiment à ce que Yagma soit beaucoup plus viabilisé. Mais c’est en partie dû à une contrainte. A la décharge du gouvernement, je dirai que nul n’est sans savoir que notre pays a connu de nombreuses crises ces derniers temps. Un an après le sinistre, c’est-à-dire en 2010, nous étions sur la question du relogement qui se poursuivait jusqu’en 2011. En cette année-là, suite au mécontentement des militaires, est intervenu le départ du Premier ministre d’alors, qui se trouvait être le président du conseil d’orientation. Son successeur était sans doute préoccupé par autre chose, notamment la gestion de cette crise militaire qui secouait le pays. Ce qui a fait que la question relative à la situation des sinistrés a été relayée au deuxième, voire troisième plan. Il y a eu ensuite l’insurrection d’octobre 2014, qui a entraîné le départ du président Blaise Compaoré. Il a fallu par la suite passer par l’étape de la transition avant d’aboutir à la tenue d’élections en fin d’année 2015. Lorsqu’on se réfère à ce que le Burkina Faso a vécu en six ans, avec trois ou quatre changements, on en déduit que cela a énormément joué sur la réhabilitation des victimes du 1er septembre 2009. Et par conséquent sur la viabilisation des sites qui devaient les accueillir. Il est vrai que l’administration est une continuité, mais il est aussi clair que cette instabilité a eu un impact sur l’effort qui devrait être fait en vue de permettre aux relogés de Yagma de connaître une situation plus reluisante.
Quelles ont été les limites de votre intervention?
Dans le plan de Yagma, de nombreuses infrastructures devraient voir le jour. Entre ce qui avait été prévu et le constat qui est fait sur le terrain, il y a une différence. Il faudrait que les autorités actuelles pensent à cette zone pour permettre aux sinistrés installés là-bas de bénéficier d’infrastructures adéquates à leur quotidien.
Parlant des limites, on peut dire que nous n’étions pas trop libres dans la prise d’initiatives. C’est-à-dire qu’avant de débourser un centime pour une dépense, même si on la jugeait pertinente, il fallait attendre que les instructions viennent des autorités. Nous n’étions pas ordonnateur direct. Mais dans l’accomplissement de notre devoir, tout s’est fait conformément aux textes en vigueur.
Combien avez-vous mobilisé financièrement parlant?
Dans le cadre de l’appel du chef de l’Etat de l’époque à l’élan de solidarité, nous avons enregistré 2 660 contributions, pour un montant total de 19 028 836 723 francs CFA. Quant aux dépenses, il est bon de noter que nous n’avions pas le droit de dépenser comme on le voulait. Nous étions sous le contrôle des autorités, donc nous étions autorisés à effectuer des dépenses qui ont été arrêtées et qui nous ont été transmises. A la fin des opérations, et après avoir rendu le rapport de la mission qui nous était assignée, il restait dans le compte la somme d’un peu plus de 800 millions de francs CFA. C’est en cela que je dis que nous avons travaillé en toute âme et conscience pour faire ce qui était nécessaire. Nous laissons le reste à l’appréciation de tout un chacun.
En outre, il convient de préciser que l’Etat, ainsi que des partenaires, ont effectué des dépenses à leurs propres frais, qui ne sont donc pas passées par le budget. Donc, le point des dépenses atteint 56 768 021 698 de francs CFA. Ce qui nous amène à dire que les dépenses ont été très énormes, mais cela s’explique par l’ampleur de la catastrophe.
Avez-vous eu vent de malversations quant à la gestion des parcelles attribuées aux sinistrés?
Cet aspect n’était pas de notre ressort, il était à la charge de la structure des affaires opérationnelles. Notre tâche était de veiller à ce que l’entreprise en charge de la viabilisation des parcelles fasse son travail conformément au cahier de charges qui lui a été transmis. Par ailleurs, il y avait des commissions qui s’occupaient uniquement de la question des parcelles. Personnellement, je n’ai pas eu un centimètre de terrain à Yagma.
Sept ans après la catastrophe du 1er septembre, quelles devraient être selon vous les principales leçons à retenir?
Je crois qu’elles sont de plusieurs ordres. Sur le plan administratif et institutionnel, le gouvernement a fait beaucoup de progrès. En son temps, nous étions confrontés à des difficultés comme par exemple les outils de collecte des données surtout pour les sinistrés. Des efforts ont été consentis depuis lors pour collecter les données en question afin de permettre désormais à toutes les structures partenaires de pouvoir s’en servir en cas de besoin. Ensuite, il y a eu l’élaboration et l’adoption de stratégies nationales de gestion des catastrophes avec un plan d’action. De même, une loi a été adoptée portant sur la prévention et la gestion des risques des crises et des catastrophes permettant de gérer ces situations. Par ailleurs, il avait été prévu de mettre sur pied un fonds de lutte contre la catastrophe qui, malheureusement, n’a jamais vu le jour.
La population elle, a-t-elle tiré les leçons adéquates?
Après des enquêtes auprès de nombreux sinistrés, je peux affirmer que la population n’a pas vraiment tiré beaucoup de leçons de cette catastrophe. Les gens retournent à leurs vieilles habitudes. Il s’agit en majorité de ceux-là qui n’ont pas été recasés à Yagma. Certains qui étaient censés rester à Yagma se sont réinstallés dans leur zone d’habitation à risques. Face à de telles attitudes, je ne pense pas que tous les Burkinabè aient acquis la culture de la prévention des catastrophes. En pareille situation, je pense qu’il y a vraiment un grand travail de sensibilisation et d’information à faire pour que chacun se sente responsable. Chose qui permettra tout naturellement de réduire la survenue de ce genre de crises.
Propos recueillis par Guy Serge AKA