Alors que les résultats de la présidentielle du 27 août dernier sont attendus ce mardi 30 août dans l’après-midi, les principaux challengers que sont le président sortant, Ali Bongo, et le candidat de l’opposition, Jean Ping, se sont proclamés chacun gagnant, dès le lendemain du scrutin. Et ce, alors même que le dépouillement et la centralisation des résultats n’étaient même pas encore terminés.
Dans cette guerre de communication, c’est le candidat de l’opposition qui a été le premier à sonner la charge, dimanche après-midi, en revendiquant la victoire devant la presse, sur la base des chiffres collectés par les siens qui, dit-il, ont accès aux procès-verbaux. Et cela, en réaction à l’annonce du porte-parole du chef de l’Etat qui, samedi déjà, annonçait qu’il était en mesure de dire que son mentor serait réélu. « Au moment où je m’exprime devant vous, les tendances générales nous donnent vainqueurs », a soutenu Jean Ping qui dit craindre un coup de force du pouvoir, devant les journalistes réunis à son Quartier général.
Quelques heures plus tard, le camp présidentiel apportait la riposte en affirmant sa foi dans la victoire de son candidat, puisque dans la matinée déjà, son porte-parole avait annoncé une avance significative de son candidat « qui ne pouvait plus être inversée ».
En aiguisant l’appétit de leurs militants, les deux camps préparent leurs partisans à la contestation en cas de défaite
Comme on peut le constater, faisant fi de toute retenue et du code de bonne conduite, les deux principaux rivaux de la présidentielle gabonaise n’ont pas su garder patience pour laisser les institutions faire sereinement leur travail. Et en se tiraillant de la sorte, comme des mômes affamés qui se disputent un morceau de pain, alors qu’il y a des institutions habilitées à donner les résultats, ils donnent raison à ceux qui disent que les acteurs politiques africains se sont toujours comportés comme de grands enfants qui refusent de grandir. On en rirait presque si cette attitude puérile n’était pas potentiellement source de danger pour le Gabon. Car, en aiguisant ainsi l’appétit de leurs militants, les deux camps préparent leurs partisans à la contestation en cas de défaite. Et c’est pourquoi, depuis que l’un et l’autre sont sortis du bois pour annoncer leur victoire, la tension est dangereusement montée de plusieurs crans dans le pays. Quand on sait que c’est de la contestation que naissent le plus souvent les violences postélectorales, Ping et Bongo sont tous blâmables et seraient comptables d’une éventuelle dégradation de la situation sociopolitique qui déboucherait sur des troubles dans leur pays. Visiblement, dans cette présidentielle gabonaise, c’est la confiance qui manque le plus entre les différents acteurs politiques. Chacun soupçonnant l’autre de vouloir frauder à la moindre occasion. Et comme pour ne rien arranger, la mission d’observation de l’Union européenne au Gabon, dans un rapport rendu public, hier, 29 août 2016, dénonce un manque de transparence du processus électoral. Généralement, ce sont les partis au pouvoir qui excellent dans ce genre d’opérations, bien souvent avec la complicité de structures chargées de l’organisation des élections, à la solde du pouvoir.
A cette allure, l’on se demande s’il ne faudrait pas faire appel à des experts internationaux, pour l’organisation d’élections apaisées en Afrique. Même dans un tel cas de figure, l’on ne peut être tout à fait certain qu’il n’y aura pas de contestations. L’exemple de la Guinée, avec le cas du Malien Siaka Toumani Sangaré appelé à la rescousse pour présider la Commission électorale lors de la présidentielle de 2010 qui, malgré tout, ne s’est pas passée sans heurt, est assez éloquente à ce propos. En vérité, ce dont a le plus besoin l’Afrique pour des élections propres et sans contestation, c’est l’impartialité réelle des structures censées départager les concurrents, sur la base d’un fichier électoral fiable. Toutes les institutions qui interviennent dans le processus électoral, doivent mettre un point d’honneur à jouer leur rôle en toute impartialité et savoir se mettre au-dessus de la mêlée. Quant aux acteurs politiques en général, ils doivent cultiver véritablement l’esprit patriotique et les tenants du pouvoir en particulier, doivent avoir un profond respect de la Constitution, pour éviter que le pouvoir ne devienne la chasse gardée d’un individu ou d’un clan, qui soumet tout le monde à sa seule et unique volonté. Tant que cette question de rapport au pouvoir ne sera pas réglée, la démocratie sera toujours une démocratie de façade sous nos tropiques. Et, l’Afrique risque de continuer, pour longtemps encore, à offrir un spectacle honteux et désolant au reste du monde, par ces querelles de chiffonniers et de bas étage autour de la question électorale. Et c’est le peuple qui, à la fin, paiera toujours les pots cassés.
La communauté internationale doit prendre les devants pour désamorcer la crise postélectorale qui se profile à l’horizon
Pour revenir au cas du Gabon, l’attitude de Jean Ping peut s’expliquer sans pour autant que ce dernier soit excusable. L’expérience de 2009 est encore fraîche dans les mémoires, où des doutes ont longtemps plané sur la victoire du candidat Ali Bongo. Même le Premier ministre français, Manuel Valls, y était allé de son commentaire. En ancien homme du sérail, Jean Ping a donc certainement jugé nécessaire de prendre les devants, pour ne pas se laisser couper l’herbe sous les pieds. Car, comme le dit l’adage, « chat échaudé craint l’eau froide ». Mais, la réaction du pouvoir n’est pas non plus surprenante ; son silence aurait pu être interprété par ses propres militants, comme une confirmation de la victoire de son adversaire. Reste que la guerre de tranchées que se livrent « le Chinois » et « le Biafrais » pour la conquête du Palais du bord de mer, est lourde de dangers pour le pays. C’est pourquoi la communauté internationale doit d’ores et déjà prendre les devants pour désamorcer la crise postélectorale qui se profile à l’horizon. D’abord, en appelant les protagonistes au calme et à la retenue, ensuite en œuvrant à faire baisser la tension tout en travaillant à une acceptation des résultats par toutes les parties. C’est à ce prix que l’on pourra peut-être éviter que les gros cumulo-nimbus qui se sont formés dans le ciel du Gabon, ouvrent leurs vannes et déversent leur trop-plein sur Libreville.
« Le Pays »