La Coalition Zeph 2015, regroupement de 12 partis politiques, puis 13 désormais qui ont soutenu la candidature de Zéphirin Diabré à l’élection présidentielle du 29 novembre 2015, est sortie de son long silence pour un tir groupé sur le pouvoir en place, un «pouvoir à plusieurs têtes». C’était à l’occasion d’une conférence de presse tenue hier au siège national de l’UPC.
De mémoire de jeune journaliste, jamais un parti au pouvoir n’a essuyé autant de critiques en l’espace d’une conférence de presse. Le moins que l’on puisse dire, en effet, est que Zéphirin Diabré et ses partisans de l’opposition, dont Jean Hubert Bazié de la Convergence de l’Espoir et Mamadou Kabré du PRIT/Lannaya, n’y sont pas allés de main morte pour pointer du doigt « l’échec lamentable » de leurs anciens camarades du CFOP. De la gouvernance politique, en passant par l’économie, à la justice, ils ont dépeint un sombre tableau du bilan du président Roch Marc Christian Kaboré près de neuf mois après son accession au pouvoir d’Etat.
Selon les conférenciers du jour, une sorte de péché originel encroûte le régime actuel : l’ingratitude.
« Au lieu de considérer leur victoire comme celle des insurgés et des forces du CFOP, ils ont tout de suite eu une attitude empreinte d’arrogance et de sectarisme, en faisant du pouvoir une sorte de festin réservé à eux et à leurs alliés de circonstance», a lancé Zéphirin Diabré. Le chantre du « Vrai changement » assure que les leaders du MPP ont remis au goût du jour les pratiques tant décriées qui avaient cours sous le régime de Blaise Compaoré. Zéphirin Diabré parle alors de « nouveau-ancien pouvoir». De plus, les grandes frustrations nées dans les rangs du MPP après la formation du gouvernement et à l’occasion des élections municipales rappellent à souhait, selon Zeph, « les batailles de chiffonniers de l’ère Compaoré » et prouvent que les anciens cadres du CDP ont rejoint le MPP, plus préoccupés par les postes qu’ils pouvaient se distribuer que par volonté de rupture.
Zeph et les «journalistes corrompus»
Concernant la gouvernance, la coalition Zeph 2015 dénonce le retour de la «corruption qui est en train de redevenir une stratégie d’Etat ». Elle en veut pour preuve la « tentative de musellement» des syndicats de l’enseignement par la distribution de bons d’essence. « La sale besogne va au-delà des syndicats », poursuit le président de l’UPC car, selon lui, « le MPP a littéralement acheté le silence de certaines OSC, autrefois critiques, qui assistent désormais bouche cousue à toutes les dérives du pouvoir». Et ce n’est pas tout. A en croire l’UPC, certains journalistes auraient trempé la plume dans l’encre de la complaisance envers le pouvoir. Mais à la question de savoir qui sont ces brebis galeuses qui broutent dans les verts pâturages du régime, Zéphirin Diabré rétorque : « Ce n’est pas à moi de vous dire qui sont ces journalistes et combien ils ont touché. Nous avons nos réseaux et nous avons des confidences. L’argent fait partie de la stratégie du MPP. C’est un pouvoir qui aime la manipulation. » Et pour mieux contrôler l’appareil d’Etat, le MPP, poursuit-il, a politisé l’administration. « Les moindres postes techniques sont réservés aux militants du parti au pouvoir, et pour satisfaire le trop grand nombre de prétendants, ils ont créé même des postes de secrétaire général adjoint. » Sur le plan de la Justice, la coalition assure que le « MPP a toujours rêvé d’une justice à sa botte et n’hésite pas à instrumentaliser les juges proches de lui ».Pour elle, « il faut être naïf pour croire que tout se décide en totale indépendance».
Le Burkina est devenu un «Etat-Garibou»
Selon Zéphirin Diabré, le gouvernement actuel peine à relancer l’économie et a une démarche inadaptée. «Ce qui urge, c’est un plan vigoureux de relance à court terme. Au lieu de cela, le MPP nous embarque dans un programme à moyen et long terme », a expliqué le Président de l’UPC. « Quand on n’a pas trouvé ce qu’on va manger le soir, on ne se préoccupe pas du mouton de la fête », estime-t-il. Dans sa quête «effrénée et désespérée » d’argent frais, le « MPP a transformé le Burkina en un Etat-Garibou », a déclaré Zéphirin Diabré avant de fustiger : « Il est pathétique de voir des sociaux-démocrates se précipiter à Abidjan, la queue entre les jambes, et s’agenouiller devant Alassane Ouattara, le patron des libéraux africains, pour lui demander un appui financier.» Dans la même veine, l’ancien directeur général adjoint du PNUD estime que le pouvoir « taxe à tout vent la bière, boisson des pauvres, et oublie le Champagne et le Whisky, boissons des riches ».
Cet échec du gouvernement à gérer le pays est, selon Zéphirin Diabré, dénoncé en des termes plus virulents par « certaines hautes personnalités de l’Etat ». Il y voit la marque d’une cacophonie, voire d’une « lutte de pouvoir au sommet de l’Etat ». Jean Hubert Bazié en veut pour preuve l’immixtion du pouvoir législatif dans l’exécutif, ce qui confirme les rumeurs qui laissent penser que Salifou Diallo, le président de l’Assemblée nationale, serait le seul maître à bord du navire burkinabè battant pavillon MPP. « Les Burkinabè, qui ont déjà vu des pouvoirs à plusieurs têtes, savent très bien que cela finit toujours par une clarification et une décantation. La question est de savoir quand est-ce que ces clarification et décantation auront lieu et qui en sortira vainqueur », a affirmé Zéphirin Diabré. Au vu de ces dysfonctionnements, la «Zeph 2015 » estime que le MPP est en train de « verser la figure des insurgés par terre». Pour poursuivre sa lutte pour le « vrai changement », la coalition annonce qu’elle va s’élargir à d’autres partis, et organiser les 29 et 30 octobre une Conférence nationale des insurgés.
Hugues Richard Sama