Le litige, latent jusque-là, qui oppose Coris Bank International à l’entreprise Wend Konta de Bagrépole, usine spécialisée dans le décorticage et la commercialisation du riz, a pris ces derniers jours un nouveau tournant avec un mouvement d’humeur des fournisseurs de cette société rizicole. Ces producteurs accusent la « Banque autrement » de laisser pourrir le stock de riz qu’elle détient en garantie de ses créances impayées. Dans cette interview qu’il nous a accordée, le directeur général adjoint de Coris Bank, Diakarya Ouattara, s’en explique et revient sur le fond de cette affaire. Pour lui, Coris Bank est tout aussi victime que les producteurs dans cette crise.
Vous êtes l’un des principaux acteurs du Pôle de croissance de Bagré, quel type de relations entretenez-vous avec cette structure ?
Merci pour l’opportunité que vous nous donnez d’éclairer l’opinion publique sur la situation de crise que traverse la plaine rizicole de Bagré.
Pour revenir à votre question, nous sommes teneur de comptes bancaires de la Société Bagrépôle et nous avions toujours eu d’excellents rapports.
Nos avons noué des partenariats avec les producteurs et transformateurs de riz, de poisson, etc, qui bénéficient de notre accompagnement financier.
A ce jour quelle est votre contribution au développement de ce projet et en faveur des producteurs ?
En termes de contributions, nous avons implanté une agence d’un coût global de 140,0 millions, y compris les équipements. Nous l’avons voulue pour une plus grande proximité avec la clientèle sur place et pour la disponibilité des services de sorte à faciliter les opérations bancaires de notre clientèle. Les infrastructures d’accompagnement connaissent un grand retard d’exécution de la part de Bagrépôle si bien qu’une banque ne peut être rentable dans ces conditions. Notre agence n’a enregistré que des déficits jusqu’à ce jour. Nous sommes la seule banque installée à Bagré.
Notre contribution en termes de financement des acteurs directs que sont les producteurs et les transformateurs, les étuveuses de riz, les autres filières, … se chiffre à plus de 3 milliards FCFA sur la période 2013 à nos jours.
Il convient de souligner que ces financements sont octroyés dans des conditions exceptionnelles c'est-à-dire sans garanties réelles, mais en se basant uniquement sur la confiance aux acteurs et la volonté de la banque d’impulser une dynamique au secteur agricole et partant de là, participer à l’inclusion financière en facilitant l’accès au crédit.
Des informations données dans les médias vous tiennent pour responsable du blocage de l’usine Wend Konta et d’y laisser pourrir du riz. Qu’en est-il exactement ?
Nous avons fait le constat amer comme tout le monde. Nous tenons à préciser que nous n’avons pas de relation contractuelle avec les producteurs concernés par les livraisons de riz paddy impayées, mais plutôt avec l’Entreprise Wend Konta de feu Zakané Mahamoudou.
Nous sommes créanciers de cette entreprise qui, elle, est débitrice des producteurs qui lui ont fourni du riz paddy dont une partie représente le remboursement en nature des acomptes sur production faits par l’entreprise en début de campagne, et le reste est acheté avec paiement différé du prix.
La crise vient du fait que les chèques émis au profit des producteurs, pour le paiement de leur livraison, présentés à nos guichets de Bagré n’ont pas été payés parce que la situation du compte ne le permet pas.
Bien au contraire, l’entreprise nous reste redevable au titre des crédits non remboursés, garantis par le gage des stocks que nous avons financés. Notons que ces garanties ne couvrent que partiellement notre créance. Nous ne sommes donc pas partie au contrat entre l’Entreprise Wend Konta et ses fournisseurs et ce fait ne nous est nullement opposable.
Pour notre part, les stocks que nous détenons en garantie (particulièrement le riz décortiqué) sont bien conservés dans des entrepôts appartenant à l’entreprise. Quant aux stocks de riz paddy déposés à ciel ouvert, dont une partie en avarie, il est constitué des livraisons des producteurs en attente de paiement par l’Entreprise Wend Konta. Il est de l’entière responsabilité de l’entreprise de prendre les dispositions utiles pour la bonne conservation du stock de matière première et de régler les producteurs.
Comment en est-on arrivé là ?
En rappel, l’entreprise a bénéficié de nos concours pour l’acquisition d’équipements performants de décorticage de riz afin de mieux s’imposer tant sur le marché national qu’à l’export et de disposer de fonds de roulement (crédit de campagne) pour son approvisionnement en matières premières, en riz paddy.
Au cours de la relation, nous avons découvert des manquements graves aux obligations contractuelles et au principe d’accompagnement du client, entraînant ainsi des impayés importants.
Face à cette nouvelle donne, il était impératif pour nous et au regard des exigences de la réglementation en matière de gestion des crédits, d’observer un arrêt de notre financement dans l’attente d’une clarification de la gestion et de la gouvernance de l’entreprise Wend Konta. Ce qui a conduit bien évidemment à la suspension des activités de décorticage. Paradoxalement, l’entreprise a continué à recevoir du riz paddy des producteurs contre des émissions de chèques en paiement. Naturellement la banque ne pouvait payer ces chèques vu que le compte est en instance de paiement des échéances du crédit.
A partir de ce moment, la perspective d’un contentieux était évidente.
Y a-t-il une possibilité de résolution de la crise et, si oui, quelles sont les actions déjà menées à cette fin ?
Il est souhaitable de toutes les manières que cette situation se décante au plus tôt dans l’intérêt de tous. Nous nous sommes toujours inscrits dans une logique de collaboration en permettant déjà la poursuite de l’activité comptant sur la bonne foi et la capacité des représentants de l’entreprise.
Plusieurs concertations ont eu lieu à ce jour et les propositions de règlement du contentieux sont en examen par les conseils des différentes parties.
Par ailleurs, concernant la crise entre l’Entreprise Wend Konta et les producteurs ou fournisseurs, trois rencontres entre les créanciers, l’entreprise Wend Konta, les producteurs et Bagrépôle ont été tenues. Des informations reçues il ressort que des démarches ont été entreprises par la nouvelle Direction générale de Bagrépôle et auraient permis d’obtenir des fonds à l’effet de racheter les stocks en cause.
Paradoxalement, nous avons été conviés à une rencontre le jeudi 25 août 2016 par l’actuel Directeur général de Bagrépôle avec les autres parties pour une visite des stocks et des échanges sur les perspectives de reprise de l’usine. Au cours de cette rencontre, Bagrépôle nous a proposé de nous dessaisir d’une partie du riz décortiqué à l’effet de désintéresser les producteurs créanciers de l’entreprise Wend Konta au lieu de racheter le stock de riz paddy concerné par le litige.
Nous faisons remarquer que le rejet de cette proposition de Bagrépôle par nos soins a créé le mécontentement des producteurs à l’endroit de notre institution, et provoqué une manifestation d’humeur de ces derniers. Ce que nous jugeons inacceptable de la part d’un partenaire.
Pour terminer ?
Nous sommes aujourd’hui victime d’une situation malheureuse, à l’instar des producteurs, due uniquement à un malentendu et le contentieux avec notre client, l’entreprise Wend Konta.
En tant qu’entreprise citoyenne, nous ne saurions être la cause ni partie au problème que vivent les producteurs que nous avons toujours accompagnés par des financements adaptés à leurs besoins.
Nous tenons d’ailleurs à rappeler qu’en tant que première institution engagée auprès de Bagrépôle et de l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeurs, nous avons œuvré pour leur accès au financement en mettant en place un mécanisme d’accompagnement qui a reçu même le premier prix de l’AFRACA et qui est utilisé comme modèle dans la sous-région.
Nous invitons vivement les uns et les autres au dialogue, à une bonne lecture de la situation en vue d’une reprise rapide des activités de l’unité de production et la restauration d’un climat apaisé favorable au renforcement des partenariats et au succès du projet de pôle de croissance de Bagré.
Propos recueillis par Hugues Richard Sama