A deux mois de la 14e édition (28 octobre au 6 novembre 2016) du Salon international de l’artisanat de Ouagadougou (SIAO), son directeur général, Dramane Tou, nous situe, dans cet entretien, sur l’état des préparatifs, les innovations apportées à la présente manifestation et les mesures sécuritaires prises pour rassurer les participants.
Sidwaya (S.): quelles ont été les raisons de votre tournée au Ghana et en France ?
Dramane Tou (D.T.) : Les différentes sorties que nous avons faites à travers l'Afrique et l'Europe s'expliquent par le fait que nous souhaitons faire la promotion de la 14e édition du Salon international de l’artisanat de Ouagadougou (SIAO), mais aussi celle de l'établissement SIAO, organisateur du salon. L'autre raison est que nous voulons faire en sorte que les acheteurs professionnels et d'autres partenaires puissent nous accompagner dans « l’écoulement » de nos produits artisanaux. La troisième raison qui nous a conduit au Ghana est que ce pays est l’invité d'honneur de cette édition et il est normal que nous puissions mobiliser ses artisans à y participer massivement. S’agissant de la France, elle a une presse internationale francophone bien fournie et compte beaucoup d'acheteurs et de visiteurs professionnels qui participent au salon. C’est donc la succession de ces raisons qui nous a obligé à aller vers les pays africains, d'un côté, pour faire la promotion du salon, mais aussi du côté de la France pour parler de l'événement au niveau international et inviter du même coup les acheteurs professionnels.
S. : Quel bilan pouvez-vous dresser de cette tournée ?
D.T. : A la date du 17 août 2016, nous avons pu communiquer avec l'ensemble des acteurs principaux du salon, c’est-à-dire les artisans, la presse et les acheteurs professionnels. Que ce soit au Ghana, au Cameroun, en Allemagne, en France ou à ailleurs, nous avons touché au moins 200 personnes, des acteurs maîtres-artisans directs. Nous avons eu l'opportunité d’échanger avec une trentaine d’acheteurs professionnels réguliers à qui nous envoyons du mailing, au cours de la conférence de presse de Paris. Il y a aussi le mailing que nous envoyons à plus de 300 acheteurs professionnels qui sont dans notre base de données. Nous pensons avoir aussi touché une soixantaine de journalistes.
S. : Qu’est-ce qui a motivé le choix du thème de la présente édition, « Artisanat africain : entreprenariat féminin et sécurité sociale » ?
D.T. : Ce thème est d'actualité et s'explique par trois éléments essentiels. Le premier, c'est que nous voulons ouvrir une fenêtre sur l'artisanat féminin. Parce qu’au niveau du Burkina Faso, environ 52% des acteurs dans le domaine de l'artisanat sont des femmes et ces statistiques sont similaires dans d'autres pays africains. Alors que le SIAO fait la promotion de l'artisanat africain, il est inimaginable que nous continuions à organiser les activités du salon sans ouvrir une fenêtre sur l'artisanat féminin. Au fur et à mesure que nous avançons, nous avons constaté que la femme artisane est celle-là qui réussit le mieux dans son entreprise. Si nous faisons une comparaison par rapport à l’homme, la femme est plus méticuleuse et a plus de goût. Nous voulons donc l’accompagner à mieux réussir ses activités, à la formaliser et à s'autonomiser. Si nous accompagnons bien cette frange importante de notre économie, nous avons la chance de poser des actes forts pour la croissance nationale. C’est une opportunité offerte aux acteurs du domaine, d'échanger sur la question de l'entreprenariat de la femme dans le domaine de l'artisanat et de voir comment des stratégies peuvent être développées dans les différents pays africains pour booster les activités des artisanes. De l'autre côté, la question de la protection sociale a sa raison d'être dans la mesure où nous avons constaté qu’à un âge avancé, les artisans ne peuvent plus mener leurs activités comme ils le faisaient. Paradoxalement, malgré les prix remportés, malgré les produits de bonne facture fabriqués, ils ne peuvent pas vivre correctement de leur travail passé. Certains tombent dans la désuétude, d'autres sont extrêmement démunis et deviennent des cas sociaux. Nous avons estimé qu’il était important que nous réfléchissions à comment faire pour aider les artisans à trouver une formule pour qu’ils puissent bénéficier d’une sorte d’assurance, de pension au moment où ils seront avancés en âge. Cela leur permettra de vivre de leur art, après qu’ils n’ont plus la force nécessaire pour travailler.
S. : Quelles sont les innovations majeures de cette 14e édition après celle avortée de 2014?
D.T. : Nous regrettons fort qu’en 2014, cette 14e édition n’ait pas pu se tenir pour des questions de santé publique, notamment la menace du virus Ebola dans la sous-région. Notre souci est que la biennale de l’artisanat atteigne les standards internationaux. Et donc pour réussir cela, il faut introduire constamment des innovations. Pour cette année, il y a une panoplie. La première est celle qui consiste à permettre aux artisans d’avoir dans chaque pavillon un point « i ». C’est-à-dire un point d’information, où il y aura des collaborateurs bilingues qui vont porter l’information dont l’artisan a besoin. L’avantage de cette innovation est qu’au lieu que l’artisan délaisse son stand et vienne dans le bâtiment administratif pour se renseigner, il peut les avoir directement au niveau de son pavillon sans se déplacer. L’artisan sera plus présent dans son stand et a la chance de capter des bonnes affaires. Si notre collaborateur n’a pas toutes les informations, il pourra l’orienter avec précision aux agents qui peuvent satisfaire à ses doléances. La deuxième innovation est celle qui porte sur les pôles des régions. Nous avons été instruit par le gouvernement pour offrir aux artisans burkinabè des treize régions, un stand par région. De nombreux artisans dans nos régions ont du talent, mais ne savent pas que le salon s’organise chaque deux ans, et même s’ils le savent, n’ont pas les moyens de louer un stand qui coûte 300 000 FCFA. Deux artisans de chaque région seront sélectionnés par la Chambre des métiers de l’artisanat du Burkina Faso, en relation avec la Direction générale de l’artisanat (DGA) et nos directions régionales en charge de l’artisanat. Elles prendront les meilleurs, ceux qui peuvent mieux présenter les produits de la région. La troisième innovation est que les gens peuvent payer les droits d’entrée, les tickets par le système électronique, notamment par Airtel money. Nous avons constaté au fil des éditions qu’il y a des longues files d’attente au sein des guichets d’achat des tickets. Cette année, nous avons des défis sécuritaires à relever, il faut réduire les files d’attente. La quatrième innovation qui a été entreprise depuis l’édition précédente et qui est déjà mise en œuvre pratiquement à 90%, est celle qui consiste à permettre aux artisans de rester chez eux, s’ils le veulent dans leur chambre, avec une connexion internet et de pouvoir télécharger les formulaires, les remplir et les renvoyer au SIAO. Si leur inscription est validée, ils restent dans leur milieu de vie pour payer par l’intermédiaire d’un partenaire bancaire (Ecobank) leur frais d’inscription au salon. Une plateforme a été développée sur le site internet du SIAO afin de permettre aux artisans de choisir les stands qu’ils souhaitent occuper.
S. : Quel est l’état des lieux de l’organisation, à ce jour ?
D.T. : Nous nous sommes fixé des objectifs depuis le début de la préparation de cette édition. Le premier objectif est que le SIAO s’est engagé à offrir 550 stands à l’ensemble des artisans qui souhaitent participer au salon. Pour les 550 stands, à la date du 17 août 2016, nous avons pu vendre 470 stands. Il nous reste 80 stands, uniquement dans les pavillons climatisés. Nous attendons ceux qui ne se sont pas acquittés de tous leurs frais de participation de l’édition de 2014 avant d’analyser les fiches de ceux qui sont sur les listes d’attente. Une fois cette étape franchie, nous allons attribuer les 80 autres stands. Ensuite, nous avons un objectif vis-à-vis des acheteurs professionnels que nous voulons mobiliser. Nous souhaitons, au regard de la réalité sécuritaire sous régionale et nationale, accueillir 250 acheteurs professionnels. Nous avons entrepris des démarches et certains ont déjà confirmé leur participation. Nous souhaitons également la participation d’au moins 500 journalistes nationaux et internationaux. Beaucoup se sont inscrits depuis 2014, et nous leur avons annoncé que leur inscription est toujours valable. S’il y a des changements sur la liste des personnes qui viendront, il suffit de nous donner l’information pour que nous préparions les badges. En fin juillet dernier, nous enregistrions déjà 202 hommes de media. Mais chaque jour, nous avons de nouveaux inscrits et nous pensons dépasser le nombre prévu. Au niveau du grand public, nous ambitionnons recevoir la visite de 300 000 personnes. Nous avons 550 stands, mais nous attendons au moins 3 000 artisans qui viendront exposer, parce que l’artisan principal est souvent accompagné par deux ou trois personnes. Au moins 25 pays sont attendus. Pour le moment, ce sont les artisans de 18 pays qui se sont inscrits. Nous n’avons pas fait tout le pointage, puisque nous voulons clore les inscriptions le 31 août, mais en faisant un peu d’efforts supplémentaires, nous pouvons atteindre les 25 pays.
S. : La présente édition du SIAO se tient dans un contexte sécuritaire assez fragile. Quelles sont les mesures prises pour rassurer les participants ?
D.T. : Il y a des mesures qui sont prises à deux niveaux. Les autorités en charge de la sécurité nous ont fait savoir qu’au niveau national, une stratégie de sécurisation de tout le territoire est mise en branle. Elle intègre tout ce qui est circulation des biens et des personnes autour de notre pays, au niveau des frontières. Cette stratégie a l’avantage de faire en sorte qu’il y ait moins de risques d’attaques terroristes. Elle est menée, semble-t-il, en relation avec tous les pays de la sous-région, mais aussi avec le soutien des partenaires au développement. Il est ressorti dans les échanges que pour cette édition, le gouvernement a décidé de faire encore plus. Il y aura plus d’hommes pour sécuriser le site et la technique de sécurisation sera plus élaborée. D’autres mesures seront prises par le SIAO en tant qu’administration et organisateur du salon. Il s’agit de la vidéo-sécurité. Dans chaque pavillon, il y aura deux caméras, à la porte d’entrée. Il y en aura dans les angles stratégiques du site, qui vont balayer l’entièreté de la cour mais aussi au tour de la cour. Il y aura également un ballon de surveillance de l’espace du SIAO et de ses alentours. Au niveau des portes d’entrée du SIAO même, il y aura des portiques de contrôle des métaux. Avant même d’arriver aux portiques, il y aura les palettes de contrôle des métaux pour ce travail en amont de sécurité. D’autres aspects de l’organisation du salon participent à la sécurisation. L’acquisition des billets d’entrée par Airtel money en vue de réduire les files d’attente, les mouvements à l’intérieur et le système d’accréditation vont nous permettre de réduire les risques.
S. : Le SIAO est aussi un concours entre les artisans. Y-a-t-il des compétitions qui sont prévues ?
D. T. : Il y en a beaucoup qui sont prévues. Mais, il y a deux types de prix qui sont très bien connus, notamment celui du président du Faso. Ce prix récompense les pays qui ont le meilleur stand, en termes de qualité des produits, de techniques de communication avec le public. D’un montant de 6,5 millions de FCFA, le 1er pays s’en sort avec 3 millions de FCFA, le 2e, 2 millions de FCFA, et le 3e reporte 1,5 million de FCFA. Les pays qui ont reçu le prix du Président du Faso ont automatiquement droit à un stand-pays pour l’édition prochaine et une grande visibilité sur leurs produits. Le second prix est celui du pavillon de la Créativité. Au niveau de cette salle, sont exposées des œuvres d’art de haute facture, qui sortent de l’ordinaire, que nous n’avons pas l’habitude de voir, que tous reconnaissent que c’est une grande création.
S. : Comment ces œuvres sont-elles sélectionnées ?
D. T. : Chaque pays choisit les produits de ces artisans qui souhaitent participer au concours de la Créativité. Au niveau de la direction générale de l’Artisanat, une analyse est faite sur le produit pour voir s’il répond aux critères de l’originalité, la capacité de production de l’artiste, la taille de l’œuvre, la matière utilisée. Il y a aussi un comité international qui certifie de la qualité des œuvres. La compétition est ouverte à tous les artisans. Le 1er prix donne droit à un numéraire de 2,5 millions de FCFA, le second prix 1,75 million de FCFA et le 3e 1,25 million de FCFA. Il arrive aussi que le SIAO et ses partenaires accompagnent les lauréats de ce prix à participer à d’autres salons. Il y a aussi le prix du parrain ou de la marraine pour récompenser un domaine d’activité de son choix. Cette année, le parrain est le président de l’Assemblée nationale, Salifou Diallo. Il y a aussi nos sponsors et partenaires comme la Maison de l’entreprise, la Chambre de commerce et de l’artisanat, Airtel… qui proposent également des prix.
S. : Quel est le budget pour l’organisation de l’édition 2016?
D.T. : Le budget du SIAO 2016 est assez élevé, mais nous estimons qu’il est en-déça de nos attentes. L’Etat burkinabè nous a accompagné, exceptionnellement, avec un montant record de 465 millions de FCFA, alors qu’il y a des éditions où sa subvention de base est de 350 millions de FCFA. Cela nous a permis de mettre en œuvre le pôle des régions, d’installer la vidéo-sécurité. Mais le SIAO aussi se doit de contribuer. Nous sommes en train de mobiliser avec nos partenaires, au moins 200 millions de FCFA complémentaires. Cela nous permettra de boucler notre budget qui est de 665 millions de FCFA. Au départ, nous avions un budget modeste de 485 millions. Mais lorsque nous avons approché les partenaires et que l’Etat s’est engagé à donner plus, nous avons revu les choses à la hausse, pour faire de la 14e édition la meilleure des manifestations.
S. : A deux mois de l’évènement, quelles sont les attentes du comité d’organisation ?
D.T. : La première est que nous voulons que le public burkinabè, le public africain et le public hors du continent acceptent de venir vivre effectivement ce salon qui est celui de la relance, après le rendez-vous manqué de 2014. Ils constateront que le Burkina Faso a toujours cette forte capacité à organiser de grands événements. Nous leur promettons un SIAO de rêve dans de très bonnes conditions sécuritaires. La deuxième attente, les consignes de sécurité qui seront données par les forces de défense et de sécurité soient scrupuleusement respectées par les artisans, par les acheteurs et visiteurs professionnels, par les hommes et femmes de médias nationaux et internationaux et par le grand public. Nous insistons là-dessus, parce que chacun doit être un acteur de sécurité pour cet événement. En somme, nous invitons tous ceux qui aiment l’artisanat africain et burkinabè, à contribuer au développement de ce secteur.
Interview réalisée
par Djakaridia SIRIBIE
Kyria DOLLY
(Stagiaire)