Inspiré à la fois de la Bible anglo-saxonne et de la spiritualité africaniste, le culte rastafarien, qui fut popularisé dans les années 1970 par le chanteur de reggae Bob Marley, trouve difficilement sa place au Burkina Faso. Malgré l’engouement pour des artistes tels qu’Alpha Blondy, Tiken Jah Fakoly en Côte d’Ivoire ou dans un autre domaine Sams’K au Pays des hommes intègres, les rastas semblent mis au ban de la société. Un paradoxe qui évolue difficilement.
Faites le test. Lorsque vous demandez à un passant ce qu’il pense des rastas, il y a de grandes chances pour que la réponse soit faite de préjugés. "Ce sont des drogués", "ils sont fous", "sales", entend-on à chaque coin de rue. Leurs dreadlocks, inspirent la méfiance dans une société quelque peu conservatrice. D’après Ludovic Kibora, anthropologue à l’INSS, « les premières personnes à s’engouffrer dans le mouvement étaient certes des musiciens, mais il y avait surtout beaucoup de jeunes désœuvrés, ce qui lui a donné dès le départ une image négative ». Une grande partie de la population, surtout à l’époque, pensait que le rastafarisme reposait uniquement sur l’apparence physique et plus précisément sur le port des dreadlocks, ce qui explique que les fondamentaux même du rastafarisme étaient mal connus. Parallèlement à ce phénomène, les rastas burkinabè, pour beaucoup, se sont solidarisés autour du « lumpenprolétariat » qui se développait, ce qui n’était pas forcément à leur avantage. Pour conclure sur la cause principale expliquant ce rejet, il faut parler de l’addiction aux drogues. Mal connu des sociétés traditionnelles, fumer de l’herbe mettait les rastas en position de marginalisation. Pour eux, il s’agissait de s’opposer aux préceptes imposés avec une nouvelle société qui s’installait. Bien qu’ils fussent plus révoltés que révolutionnaires, l’onde de choc fut tout de même créée. Ludovic Kibora poursuit : « Pour la ménagère qui n’a pas une culture internationale, il est difficile de la convaincre que c’est une philosophie de vie qui tend vers la libération de l’homme, le self-control ainsi que tout ce qu’il y a de positif dans ce mouvement. A l’époque, ceux qui se disaient rastas n’avaient pas d’arguments pour défendre leurs idées puisque beaucoup ne faisaient pas l’effort de comprendre la philosophie. Par conséquent, le jugement s’effectuait uniquement sur les apparences et ce qui a été donné de voir n’était pas très positif. »
Un peu d’histoire
Dans les années 1920, un leader politique afro-américain (certains préfèrent le terme de « prophète ») du nom de Marcus Garvey, prône un retour des Africains vers la terre promise africaine. Il prédit qu’un leader charismatique sera proclamé roi d’une grande puissance africaine et sera également l’incarnation du Dieu « Africain ». Garvey commence à prêcher de longs discours auprès des afro- américains en Jamaïque, puis aux Etats-Unis, pour les convaincre de rentrer en Afrique. Il prétend que l’accomplissement de cette prophétie se fera incessamment sous peu. Après sa mort en 1940, l’Éthiopien Teferi Makonnen, allias Hailé Sélassié, accède au trône du royaume d’Ethiopie. C’est un des descendants de la tribu de Juda. Le titre exact du Negus : « Hailé Sélassié 1er, Pouvoir de la Sainte Trinité, 225e empereur de la dynastie de Salomon, roi des rois, seigneur des seigneurs, lion conquérant de la tribu de Juda ». Certains voient en ce couronnement, l’accomplissement de la prophétie de Marcus Garvey. Le mouvement rastafari est né et prône donc le retour des Africains sur le sol africain. Le premier Rasta, Leonard Howell reprendra les idées de Garvey. Le rastafarisme devint alors une religion à part entière avec comme dieu, Hailé Sélassié, appelé également Jah Rastafari dans la religion rasta et symbolisé par un lion.
A chacun ses croyances et coutumes
Le rastafarisme comporte quelques coutumes et préceptes à respecter qui varient selon les auteurs. Cependant, certains points sont à respecter pour se proclamer « rastaman ». Logiquement le rasta ne boit pas d’alcool ; il est végétarien, ne consomme aucun produit manufacturé mais de la nourriture dite « ital »; par contre, il fume la ganja, porte des dreadlocks et vénère Hailé Sélassié. L’explication est synthétique et comporte bien évidemment d’autres paramètres. Par ailleurs, on se rend compte, en tout cas au Burkina Faso, que chacun pratique son propre rastafarisme. Sams’K Le Jah, musicien de reggae, animateur radio et cofondateur du Balai Citoyen, explique : « Il faut qu’on arrive à s’accorder sur qui est rasta et qui ne l’est pas, parce que c’est le problème dans le milieu. Est-ce que le rasta c’est celui qui porte de longs cheveux ou celui qui fume de l’herbe et écoute du reggae ? Il y a beaucoup de choses à prendre en compte ». Il ne faut pas l’oublier, le mouvement rastafari est un mouvement utopiste et communautaire, visant la paix dans le monde et le refus de "Babylone". Les règles du mouvement sont fondées sur la Bible lue avec une interprétation humaniste puisant dans l'histoire africaine. On peut donc aisément avancer, qu’ici au« Pays des hommes intègres », l’esprit humaniste véhiculant un message de paix prime sur le mode de vie pour se dire rasta.
Travail et préjugés
L’un des clichés les plus répandus reste celui du rasta qui ne travaille pas. Bien que beaucoup d’entre eux aient sans aucun doute participé à donner cette image négative dans une société dont on reconnaît l’attachement au labeur, de nos jours la majorité des rastas ont un emploi stable. Ludovic Kibora, explique plus en détails : « beaucoup de rastas travaillent mais ils sont surtout dans des domaines artistiques, pas dans le travail formel alors que culturellement la respectabilité qu’on accorde aux individus vient du travail administratif ; c’est paradoxal mais c’est comme ça .» Tom Daddy, producteur de films et rasta se confie : « Les gens n’ont pas confiance en ceux qui portent des dreadlocks, professionnellement c’est difficile. Sans cheveux longs, j’aurais été beaucoup plus vite dans mes démarches. Pour être respectable dans la société burkinabè, il faut avoir les cheveux courts et se fondre dans la masse, ce qui, au demeurant, participe à une perte d’identité et à l’uniformisation de la population ». Pour Sams’K, être rasta ne l’a pas aidé : « aujourd’hui ça a un peu évolué mais je sais qu’au début j’ai perdu du boulot à cause de ma coiffure et c’était difficile. J’ai compris que je devais me battre pour me réaliser socialement. Un jour, je me suis dit pourquoi Alpha Blondy ne subit pas les mêmes discriminations que moi ? C’est parce qu’il est riche et connu. Les rastas ne doivent pas rester à se plaindre, ils doivent se battre pour arriver à un statut social qui fera que même si tu as des dreadlocks jusqu’aux talons les gens te respecteront. Qu’on le veuille ou non, ça s’impose aujourd’hui ».
L’inexistante communauté
Comment faire changer les mentalités face au rastafarisme lorsque personne ne fédère une communauté et parle en son nom ? Sams’K explique : « Il n’y a pas de communauté de rastas ici, on a des frères et des sœurs qui portent des dreadlocks et à certaines occasions, on se retrouve pour partager des choses sur le reggae, la vie, le mouvement mais on ne vit pas ensemble comme en Côte d’Ivoire ou au Ghana. Une année, j’ai tenté de réunir des gens mais on n’avait pas la même vision des choses. Je pense que ce qu’il nous faut c’est une banque à nous. Pour arriver à ce projet, il faut définir des objectifs communs et partager un idéal. Tant que ce n’est pas fait, ça n’ira pas. Dans ma vision, une communauté qui se veut respectée et respectable doit être indépendante et arriver 0 créer l’envie d’en faire partie ». Au Burkina, les adeptes du mouvement sont isolés. Pour Ludovic Kibora, « le communautarisme dans la société n’a pas fonctionné ; ça aurait pu être mieux si la tendance avait été tenue avec Bob Marle ; à sa mort, il y a eu une recrudescence de jeunes rastas mais maintenant ça devient une philosophie adoptée de façon isolée. L’aspect communautaire n’a pas eu lieu parce que l’aspect social était plus fort ». Malgré ce problème évident de non-communauté, une légère amélioration pourrait avoir lieu. Il poursuit dans son raisonnement, « aujourd’hui la musique urbaine a pris le dessus sur la musique reggae, par conséquent les gens doivent comprendre que la majorité des jeunes qui se droguent ne sont pas rastas. L’apparence physique, elle, entraîne le rejet. La lutte est donc de conserver cette apparence physique puisqu’un look ne doit pas être handicapant ».
Barbara Debout
Le cas des femmes
« Lorsque les gens voient une femme rasta, ils se disent qu’elle est droguée ou que c’est une prostituée, on te regarde bizarrement surtout quand on te voit seule ». Voici une des phrases de Princesse, une des rares femmes rastas, animatrice de radio. Elle n’est ni sale, ni mal habillée, ni droguée. Ce qui la diffère des autres femmes non rastas c’est qu’elle aime la musique reggae, se sent en phase avec le mouvement rastafariste et porte des dreadlocks. Devenue rasta depuis 2006, Princesse, mère de deux petites filles, ne changerait pour rien au monde. « Je suis venue à Ouaga la première fois pour rencontrer une musicienne. On s’était donné rendez-vous au Road Art Café à Dassasgo, c’était la première fois que je découvrais le coin des rastas et je suis restée là-bas. L’harmonie présente et les gens m’ont plu. C’était libre ». Princesse est issue d’une famille musulmane et, lorsqu’elle est en famille, elle couvre ses cheveux ; cependant, ça ne l’empêche pas de vivre comme elle l’entend malgré les préjugés autour du mouvement, elle déclare : « Les rastas représentent mon miroir. Personnellement, j’aime la modestie, vivre simplement, je ne me prends pas la tête avec la mode et avec ces gens je me sens bien ». Pour elle, le rastafarisme n’est pas une religion mais plutôt une spiritualité, nuance. « Ma définition du rastafarisme est simple, c’est s’accepter, se pardonner et faire rayonner l’amour autour de soi. Plutôt une sorte de spiritualité qu’une religion. Les rastas pensent que Hailé Sélassié représente leur dieu mais moi je n’ai qu’un seul Dieu. J’en aime surtout la philosophie, les rastas sont des gens prêts à aider les autres».