A la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO), d’innocents enfants vivent avec leurs mères détenues. Dans un univers carcéral caractérisé par de rudes conditions de vie, ces enfants «prisonniers», dont l’âge est compris entre 0 et 2 ans, subissent, malgré eux, une double «peine», sous le regard impuissant de leurs géniteurs. Le constat d’une équipe de reportage des Editions Sidwaya.
Zeyna* (1), âgée d’une trentaine d’années, est une pensionnaire de la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO). Elle y est incarcérée depuis 9 mois. A son arrivée, elle était enceinte et en compagnie de son garçonnet de 19 mois, Papou. Quelques mois plus tard, soit en février 2016, la jeune femme met au monde une fille, la petite Mimi, à la maternité de l’hôpital Yalgado-Ouédraogo.
Papou et sa sœur Mimi ne sont pas les seuls enfants à passer leurs premières années à la MACO, malgré eux. Quatre autres, tous âgés de moins de trois ans, y séjournent également aux côtés de leurs mères. La petite Jolie est l’un d’entre eux. Incarcérée avec sa mère depuis sept jours à la date de notre entretien, elle ne cesse de pleurer. Assise sur les pieds de sa mère, l’innocente créature fait face, en effet, derrière les barreaux à un lot de situations aussi inconfortables les unes que les autres: confinement, espace inadapté, manque d’hygiène, enfermement, bruits intempestifs (clés, serrures, claquement de portes,etc.). Le regard évasif, Afi, sa mère, regrette d’être à l’origine du sort peu enviable que vit sa fille. «Agée d’à peine 2 ans, elle est obligée par ma faute de vivre une vie de prisonnier. L’enfant que j’ai laissé à la maison est tout aussi jeune qu’elle. Quand je pense à eux, je ne peux m’empêcher d’avoir un pincement au cœur», confie-t-elle, avouant qu’elle ne se le pardonnera jamais de sa vie.
Née prématurée et souffrant d’un problème respiratoire, la petite Fifi est arrivée en prison quand elle avait six mois. «Lorsque nous sommes en cellule, ma fille est prise d’étouffements. Une fois à l’extérieur, elle commence à respirer normalement», relate Adjoua, sa mère. A l’en croire, aux premières heures de son incarcération, la petite a frôlé une grave crise. Elle n’a eu la vie sauve que grâce à la diligence du personnel de l’infirmerie de la MACO. A l’instar de sa co-pensionnaire Zeyna, Adjoua pointe du doigt les difficiles conditions d’alimentation de son enfant et le manque de soins au quotidien. «Ici en prison, c’est difficile. Mon enfant ne bénéficie pas d’une alimentation adéquate. Nous disposons à peine de savon pour faire la lessive du linge des enfants. Et quand un enfant est malade, la mère est totalement désemparée», explique Adjoua.
Bijou, un autre bambin est à son onzième mois aux côtés de sa mère, Titine, incarcérée. «Mon enfant tombe régulièrement malade. Il a eu récemment un problème urinaire. Et c’est grâce à l’action sociale qu’il a bénéficié de soins. Je n’ai personne d’autre pour le prendre en charge. Car mon mari est lui aussi détenu ici à la Maison d’arrêt. J’ai deux enfants, l’autre est avec ma mère au village». Ces témoignages de mères désespérées révèlent les difficiles conditions de vie de ces innocents rejetons contraints de vivre l’enfer de la prison.
Aucun dispositif de prise en charge
Pour Zeyna, être à la fois mère et prisonnière n’est pas une chose aisée : «J’ai d’énormes difficultés dans cette prison avec mes deux enfants. Aucun d’entre eux n’a l’âge de sortir. Je prie pour recouvrer la liberté rapidement. Je ne désire pas les voir grandir dans cet endroit». Très souvent, ajoute-t-elle, je passe des nuits blanches à ressasser la situation de ces «prisonniers innocents». Et de renchérir que son bambin âgé de 19 mois mange le repas servi aux détenues. Dans ce milieu, les détenues-mères éprouvent toutes les peines du monde à se nourrir convenablement, notamment au regard de leur état. «Comme je viens d’accoucher, je ne peux pas manger le tô de maïs sec, donc je prépare très souvent de la nourriture pour mon enfant et moi. Grâce à l’action sociale, je reçois du riz pour faire la cuisine», maugrée la mère de la petite Mimi.
Zeyna est confrontée à un dilemme. Elle doit choisir entre s’occuper de ses enfants et apprendre un métier. Elle explique qu’avec ses deux bambins, elle est trop occupée et ne peut donc prendre part aux séances d’apprentissage des métiers tels le tissage (de sac, de chaises et de lits de camp), la fabrication de savon…. «Quand je me réveille, je dois laver mes enfants, leur donner à manger, faire leur lessive. Pendant que les autres femmes ont la possibilité d’apprendre, moi, je suis obligée de concentrer mes efforts sur mes enfants», soutient-elle.
De l’avis du directeur de la MACO, Ousséni Ouédraogo, les mères qui vivent en prison avec leurs enfants n’ont aucun moment de répit. Elles ne sont pas en mesure, affirme-t-il, de profiter des possibilités de formation ou de travail offertes par la prison, si aucune disposition n'existe pour la prise en charge des enfants.
Une cohabitation difficile
A la MACO, la présence des enfants chez certaines prisonnières rend la cohabitation difficile avec les autres pensionnaires. Selon M. Ouédraogo, la cohabitation pose souvent problème surtout à la nuit tombée.
L’occupation des espaces de cellules est parfois source de conflits entre pensionnaires, affirme Zeyna. «Je ne suis pas toujours comprise par les autres femmes. Souvent, mon enfant tripote leurs affaires ou défèque dans la cellule. Je peux être là et entendre les cris de mon enfant qui a été frappé. Ça me faisait mal, mais que pouvais-je y faire. J’étais obligée de faire avec», se souvient-t-elle. Et de se réjouir : « Avant, pour dormir avec mes enfants, c’était donc difficile. Mais après la réfection de la cellule, je suis à l’aise. Personne ne m’insulte. Car, nous étions 26 détenues coincées dans la cellule et maintenant nous sommes 15».
Cependant, à l’écouter, son garçonnet de 19 mois lui crée plus de problèmes en prison que son nouveau-né. Car, ce dernier est maladif.
Bien qu’ils vivent en prison avec leurs mères, les enfants ne sont pas considérés comme des prisonniers. Ils sont par conséquent «ignorés» du personnel pénitentiaire. A la MACO, les intérêts et besoins des enfants des détenues-mères sont peu ou pas pris en compte ni au plan sanitaire ni au plan alimentaire par l’administration carcérale. Zeyna, la mère de Mimi et Papou soutient que ses enfants n’ont pas de ration alimentaire complète.
Aucune réglementation en vigueur
Selon, le chef de service social de la MACO, Edith Ouédraogo, cette situation s’explique par le fait que ces derniers ne sont pas comptés parmi les effectifs de la prison. Ce qui signifie que les parents doivent partager les repas (souvent insuffisants et/ou inadéquats) avec leurs enfants. «Leur prise en charge est vraiment très difficile. Car, la maison d’arrêt n’a pas prévu que ces enfants soient en prison, mais par la force des choses, ils y sont», dit-elle.
Et Mme Edith Ouédraogo d’admettre : «Ces nourrissons ont une alimentation différente de celles des adultes. Alors qu’au niveau du ministère, on ne donne pas d’aliments pour les nourrissons. Ce sont les bonnes volontés, les associations qui nous aident». Elle confirme que sur le plan sanitaire, rien n’est prévu pour ces enfants. Car, ils ne sont pas censés être en prison.
La responsable du quartier des femmes, Charlotte Bazémo révèle, quant à elle, les difficultés rencontrées avec ces «tout-petits» : «Quand un enfant est malade, il n’y a pas de kits d’urgence pour prendre soin de lui. On est souvent obligé de l’évacuer dans un centre de santé pédiatrique».
Un univers inadéquat
En plus de ces difficultés, ces enfants ne disposent pas d’une aire de jeu pour faciliter leur épanouissement à l’intérieur de la prison. Selon Mme Ouédraogo, ils n’ont pas de cadre de jeux. «Notre partenaire Terre des Hommes, nous avait offert des jouets comme le Toboggan pour les enfants, mais par défaut d’espace, il est entreposé dans le magasin», dit-elle. Pour elle, cet environnement carcéral n’est pas propice pour ces gamins. A leur âge, estime-t-elle, ils devraient être en crèche. Le lieu d’épanouissement d’un enfant, c’est ailleurs et non en prison. «Nous demandons aux autorités de prévoir une crèche avec un personnel qualifié en vue de permettre à ces enfants d’occuper sainement leur journée. Cela leur éviterait d’être à tout moment avec leurs mamans dans les cellules», souligne le responsable de la MACO. Aussi, il invite les autorités à penser à l’alimentation et aux produits pharmaceutiques des nourrissons en prison, qui ne sont pas prévus au ministère en charge de la justice.
Les enfants de ces détenues sont aussi confrontés à des problèmes sanitaires. «D’une manière générale les problèmes de santé sont récurrents ici et pour des enfants, c’est encore compliqué. Il y a deux ou trois semaines de cela, il y a un enfant qui éprouvait des difficultés à uriner. Il a été évacué à l’hôpital et, après quelques soins, l’enfant est guéri», témoigne Edith Ouédraogo. Elle indique que la prise en charge médicale et alimentaire des enfants à la MACO se fait grâce au partenaire «Terre des Hommes» et avec l’appui de l’aumônerie catholique.
Selon le directeur de la MACO, Ousséni Ouédraogo, le développement de l’enfant dans un environnement carcéral, peut prendre un sérieux coup au regard des conditions qui ne sont pas assez simples pour les adultes, à fortiori, pour des enfants. Pour lui, si ces enfants restent longtemps en prison, il y aura forcément des conséquences sur leur façon de voir les choses à long terme. Et l’incarcération d’un parent peut affecter tous les domaines de la vie d’un enfant. Elle peut provoquer chez les enfants des effets divers. Le cas de Zeyna en est la parfaite illustration. A l’entendre, elle a sept enfants dont deux vivent en prison avec elle. Les cinq autres sont dehors, privés de soins maternels et paternels. Certains d’entre eux sont avec sa mère et d’autres sont avec sa belle-famille. «Le problème est que mon mari n’est pas à la maison. J’ai été obligée de disperser mes enfants dans des familles. Si mon époux était à la maison, cela allait vraiment faciliter l’éducation de mes enfants», soutient-t-elle. La régression de sa fille de neuf ans au plan scolaire (dernière de sa classe) est, selon elle, une conséquence de cet état de fait. Zeyna ajoute qu’étant moralement affectée par sa situation, la petite refuse souvent d’aller à l’école. «Et toutes ces demandes et autorisations que j’ai formulées, c’était dans le but de sortir et m’occuper de mes deux enfants qui sont avec moi en prison et des cinq autres qui sont hors de la MACO», laisse-t-elle entendre.
Dans le même ordre d’idées, Edith Ouédraogo relève «qu’au niveau du quartier de détention, on retrouve toutes sortes de détenues, et les propos tenus par celles-ci nuisent à la bonne éducation des enfants auprès d’elles».
Le responsable de la prison, Ousséni Ouédraogo confie que selon les textes, un enfant à partir de deux ans ne devrait pas rester en prison avec sa mère. En outre, il précise qu’à partir de cet âge, la MACO commence à entreprendre des démarches pour confier l’enfant aux parents qui sont restés hors de la prison.
Wamini Micheline OUEDRAOGO
* Tout au long de l’article des prête-noms ont été utilisés pour les enfants et leurs mères.
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Le substitut du procureur général près la Cour d’appel de Ouagadougou, Antoinette Kanzié à propos des mères incarcérées avec leurs enfants
Que dit la loi par rapport aux enfants incarcérés avec leur mère ?
La place de l’enfant n’est pas en prison. Si les enfants sont en prison du fait de l’infraction commise par la mère, c’est par manque de mesures d’accompagnement pour prendre en charge ces enfants. La peine est personnelle, c’est la maman qui a commis l’infraction. Elle devrait être, de ce fait, la seule à subir la peine. Selon l’assertion populaire, un enfant est plus heureux avec sa mère qu’auprès d’inconnus. Ce qui fait souvent que les enfants se retrouvent en prison avec leur mère. Ainsi, par absence d’autres solutions, l’enfant se retrouve en prison avec sa génitrice. Ce qui constitue en soi une violation des droits de l’enfant. Je pense qu’il faut trouver des structures spécialisées pour prendre en charge ces enfants, le temps que la mère finisse de purger sa peine.
Existe-t-il des circonstances atténuantes en faveur des mères-détenues ayant des enfants en bas âge ?
Le juge apprécie et accorde des circonstances atténuantes ou pas à la mère. On peut tenir compte du fait qu’elle est une délinquante primaire et prendre une décision. Au niveau des prisons, il y a des commissions d’application des peines qui peuvent faire des remises de peines ou des propositions de remise de peines. Celles-ci se font au niveau de la grâce où des mesures de placement, de semi-liberté peuvent être accordées.
Est-ce qu’il y a une loi en faveur des enfants en prison avec leur mère ?
Il y a une loi en faveur des enfants en conflit avec la loi et ceux en danger. Mais ce n’est pas forcément par rapport à ce cadre spécifique des enfants détenus avec leur mère. On a ratifié des conventions sur les droits de l’enfant et ces conventions stipulent qu’il y a un âge pour aller en prison. Dans ce cas précis, c’est comme si l’enfant est en train de subir une peine alors qu’il n’a rien fait.
WMO