Depuis quelque temps, les habitants du secteur 24, dans l’arrondissement 5, protestent contre le locataire d’un espace vert, Ousmane Sané. Leur raison : il n’est pas question que ce monsieur « irrespectueux» soit leur voisin. Lors d’une conférence de presse tenue le dimanche 30 juillet 2016, ils ont demandé au maire de résilier le contrat de location de l’indésirable et attribuer le lopin de terre à un autre. Pour le maire, Jean Paul Moné, pourtant il n’y a pas de litige, et il ne voit pas sur quelle base il pourrait expulser un locataire qui a ses papiers en règle. Selon lui, pour des raisons électorales, on ne doit pas prôner la pagaille. Le locataire que nous avons rencontré le lendemain dépeint plutôt un calvaire qu’il a enduré depuis le 22 mars 2012, date à laquelle il a signé le contrat de bail avec la commune de Ouagadougou.
Ce dimanche après midi, trois médias ont été conviés à Sinyiri pour une rencontre qui s’apparentait à une conférence de presse dans un décor cependant inhabituel pour ce genre d’activités : sous un arbre épineux qui trône au milieu d’un chantier en ruines jouxtant un dépotoir. L’espace est barricadé de panneaux en contreplaqué sur lesquels il est écrit « terrain en litige ». Peu après 16 heures, Job Traoré sonne toujours la mobilisation pour rassembler ses camarades. Une fois réunis, le moins que l’on puisse dire est qu’il y a une unité d’actions apparente des habitants du secteur 24 au quartier Sinyiri. Des jeunes, des vieux et quelques femmes s’étaient réunis avec pour seul mot d’ordre : protester et empêcher l’installation du sieur Sané dans leur précarré. A tour de rôle, les leaders interviennent pour faire la genèse du problème. Le premier à se jeter à l’eau est le porte-parole des jeunes, Job Traoré : « Le terrain en question a, depuis le lotissement du quartier, été réservé pour un espace vert. Des vieux de Sinyiri avaient, par le passé, introduit plusieurs requêtes auprès des autorités municipales pour pouvoir construire sur l’espace une école franco-arabe. Mais chaque fois, c’était une fin de non-recevoir. Nos parents se sont résolus à s’y conformer en plantant des arbres. Quelle ne fut pas donc notre surprise de voir que l’espace vert, le seul qui nous reste, a été attribué à un entrepreneur en 2012 ».
Mais la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est il y a environ 2 ans. En effet, afin d’ériger les bâtiments pour son projet, Ousmane Sané a abattu les arbres du site, ce qui a fait des gorges chaudes au sein des habitants, notamment la frange jeune. Mais c’est le creusage d’un puits perdu sur le site, qui serait resté non couvert pendant plus de deux semaines, exposant les enfants à des risques de noyade, qui a porté la crise qui couvait entre les habitants et le locataire à son paroxysme. Interpellé sur cette situation, le locataire aurait tenu « des propos injurieux et manqué de respect » aux vieux. Face donc à ce voisin « irrespectueux » les habitants du secteur ont alors entrepris de rencontrer le maire de l’arrondissement 5 de Ouagadougou, Jean Paul Moné. A ce dernier ils affirment avoir signifié leur volonté de voir le contrat de Ousmane Sané résilié au profit d’un autre locataire. « Il est en règle vis-à-vis de la loi », aurait rétorqué le bourgmestre. Il aurait néanmoins proposé une conciliation entre les deux parties. Mais à en croire l’imam du quartier, Ousmane Kaboré, l’élu a tenu des propos qui ne leur ont pas plu. Alors que les représentants des contestataires lui assuraient qu’ils parlaient au nom de tout le secteur 24, le maire aurait déclaré : « Je ne regarde pas la masse, les habitants ni la foule. Je ne considère que les textes », ce qui a indigné les habitants. Pour eux, même si Ousmane Sané est en règle, ils ne veulent pas de lui dans leur bled. De plus, le doute subsiste sur l’utilisation qu’il veut faire de cet espace vert. Interrogé par l’imam, il aurait affirmé qu’il voulait y ériger un restaurant qui servirait uniquement des plats traditionnels. Mais ses frères auraient affirmé autre chose : « Il veut construire un village artisanal.» Ce qui ne plaît pas à l’imam et aux habitants du quartier, « majoritairement musulmans », qui s’inquiètent de la proximité du lieu avec la mosquée. « On ne veut pas qu’on joue du « djembé » à côté de notre lieu de culte », déclare Ousmane Kaboré, ce qui laisse entrevoir un arrière-fond confessionnel dans ce litige. « Peut-être même qu’il veut faire autre chose ! » poursuit Job Traoré, une allusion à peine voilée aux maisons closes. Les croquants souhaitent donc que le maire résilie le contrat de location d’Ousmane Sané pour un autre. Au meilleur des cas, ils espèrent que le terrain va rester ce qu’il a toujours été, un espace vert. Si rien n’est fait dans ce sens, ils affirment qu’ils n’hésiteront pas à « user de la violence » pour obtenir gain de cause. Le décor ainsi planté par les frondeurs, commence pour nous un round dans la capitale pour rencontrer les acteurs nommément cités dans cette affaire.
« Oui, j’ai insulté mais pas tout le quartier »
1er août, cité AN III. Nous avons rendez-vous avec le locataire de l’espace à problèmes : Ousmane Sané, alias Sane Laden, du mythique groupe de rap 2KAS. Un gros cartable bleu en main qui contient son contrat d’aménagement et de location avec la commune de Ouagadougou, les plans de son aire de loisirs, l’autorisation d’abattage des arbres, ses plaintes auprès du procureur suite aux destructions, il nous explique son calvaire. « A chaque fois que je mets les pieds sur le terrain, le lendemain j’ai des ennuis », se plaint-il. C’est depuis le 22 mars 2012 qu’il a eu l’autorisation au nom de l’Association Wend yam viim, dont il est le président, d’exploiter cet espace vert pour lequel il voit maintenant… rouge. Il comptait y aménager un espace de détente culturelle et artistique. C’est là que commencent ses angoisses. « Je suis à mon quatrième maçon, sans compter les destructions des murs des bâtiments, le vol du matériel de construction et des agrégats, des briques, etc. Le premier est parti après le vol de son matériel. Le second, après avoir découvert un sacrifice de tête et de pattes de bélier, a jeté l’éponge. Le troisième a découvert lui aussi un chat enterré sur le chantier et est parti ; enfin le quatrième maçon s’en est allé à cause du problème du puits perdu ». Une véritable série noire donc pour… un espace vert.
A la question de savoir s’il a tenu des propos injurieux, Sane Laden répond par l’affirmative : « Oui, j’ai insulté. Mais je ne suis pas fou pour rentrer dans un quartier et commencer à insulter tout le monde », nuance-t-il, avant de poursuivre « Le lendemain du jour où j’ai creusé le puits perdu, je suis venu trouver qu’on a déversé des ordures avec de vieux habits dans le trou. C’est là que j’ai insulté la maman de celui qui avait fait ça. Et j’ai tout de suite su qui était l’auteur de cet acte. C’est là qu’ils sont allés dire au maire que j’ai insulté leur maman et que j’ai même dit que je vais les b…», justifie le rappeur. En outre, il affirme que des 5 000 briques en latérite qu’il a déposées pour la construction, 20 ménages situés aux alentours du terrain litigieux se seraient servis pour leurs réalisations personnelles. Aujourd’hui, Ousmane Sané dit ne pas comprendre le revirement de l’imam, qui lui avait pourtant, avec ses deux épouses, accordé un petit coin dans leur maison où déposer son matériel de construction, qui a été volé par la suite. Il est celui à qui il aurait expliqué en premier son projet, et le chef spirituel lui avait dit tout le bien qu’il pensait de cette occupation. Selon le locataire, il lui aurait dit qu’aménager cet espace vert était une bonne chose car les voyous du quartier y violaient les filles, agressaient les gens et y fumaient de la drogue. Il est également celui à qui il a assuré que son activité ne portera pas préjudice aux prières des musulmans. Pour vérifier toutes ces informations, nous rencontrons Jean Paul Moné, le maire de l’arrondissement 5 dans son bureau.
Le cas de Sinyiri n’est pas litigieux
D’entrée de jeu, le maire précise qu’il préfère que l’on parle de dérives parce que ce n’est pas un litige. Pour lui, un terrain litigieux signifie qu’il a été attribué à deux personnes ou un terrain qui appartient à quelqu’un déjà et qui a été retiré au profit de quelqu’un d’autre. « Nous sommes arrivés trouver un dossier pendant. Lors de notre rencontre avec les habitants du quartier, j’ai fait comprendre à l’imam que mes prédécesseurs n’avaient pas eu tort de lui refuser le terrain, parce que les espaces verts ont des destinations bien précises. Ce sont des aires de repos, des maquis et autres, et on ne peut pas y faire autre chose sauf si on les déclasse. S’ils ont attribué cet endroit à ce bénéficiaire, c’est que l’activité dans laquelle il s’est inscrit obéit à la règle. » Tout en regrettant les écarts de langage et les injures dont font cas les frondeurs, le maire s’était fixé pour mission de réconcilier les protagonistes. C’est alors, selon le récit qu’il nous en a fait, qu’un jeune prit la parole pour dire qu’ils ont une foule avec eux et ne sont pas venus pour ça, qu’ils sont venus lui dire que le monsieur ne peut plus rester là-bas. Que la mairie lui trouve un autre espace, oui, mais pas celui de Sinyiri. Une attitude qui n’a pas manqué de faire réagir le maire. « Trop, c’est trop. Le locataire a un contrat signé en bonne et due forme pour cinq ans. Sur quelle base nous pouvons l’expulser ? Y a-t-il un litige ? Le problème est ailleurs. Il faut que les gens arrêtent de manifester pour un oui ou pour un non. Je lui ai dit que s’il faut tordre le cou aux textes à cause de la foule, c’est que nous n’avons pas un pays. Ce n’est pas parce que nous sommes politiciens, qu’on veut l’électorat, qu’on doit tolérer la pagaille. »
Affaire à suivre donc.
Lévi Constantin Konfé