L’occasion fait le… journaliste. Ce projet d’interview, nous l’avions dans nos tiroirs depuis quelque temps déjà. Jusqu’au jour où est tombée la nouvelle de la visite, prévue pour le 21 juillet 2016, de la cible en question. Il s’agissait de Souleymane Soulama, ministre des Transports, de la Mobilité urbaine et de la Sécurité routière, une nouvelle terminologie qui doit faire siffler dans bien des oreilles burkinabè. Le fruit était donc trop mûr pour ne pas être cueilli. Même si le titre de cet entretien n’est pas des plus pessimistes, vous constaterez qu’au fil des échanges, l’ancien maire de Banfora nourrit de grandes ambitions pour sa «mobilité urbaine», afin que nous circulions en toute fluidité, sans risques ni bouchons ou véhémentes injures.
Pouvez-vous nous faire un résumé de votre parcours ?
J’ai fait des études de sciences humaines à l’Université de Ouagadougou. J’ai poursuivi ma formation en France en psychologie sociale, option marketing et publicité. Une fois rentré au pays, avec des amis nous avons créé une agence de communication dénommée Synergie. Parallèlement à cette activité, je suis aussi un homme politique ; ce qui m’a amené à être maire de la commune de Banfora, de 2006 à 2012. Aujourd’hui, je dirai que par la chance et la grâce à Dieu, je suis là où je suis.
La fonction de maire, qui n’a pas été un parcours de tout repos pour vous, a-t-elle été une belle expérience ?
Les difficultés étaient liées au volet politique mais nous avons abattu un boulot énorme, malgré les bâtons que nos adversaires politiques n’ont pas manqué de nous mettre dans les roues. Je ne voudrais pas me jeter des fleurs, mais comparativement à tous les maires qui sont passés à la tête de cette commune, nous avons réalisé quelque chose d’inédit, ce qui agaçait certainement nos opposants.
Vous parlez de vos réalisations à Banfora. Pouvez-vous être plus explicite ?
Lorsque nous sommes arrivés, il n’y avait qu’une voie bitumée qui traversait la ville. Durant mon mandat, nous en avons construit beaucoup et avons même installé les premiers feux tricolores. Banfora est composée de 15 secteurs et de 22 villages. Au niveau de la ville, nous avons augmenté le nombre de bâtiments dans les deux lycées municipaux, grâce au partenariat que j’ai pu nouer. Pour décongestionner le centre-ville, nous avons demandé et obtenu le financement de plusieurs CEG aux alentours. Dans les villages rattachés, nous avons réalisé des maisons de jeunes. Nous avons aussi obtenu des forages pour tous les 22 villages. Et ça, c’était hors budget de la commune et grâce à l’appui de partenaires.
A l’époque de votre passage à la mairie, vous étiez militant du RDB (de l’ancienne mouvance présidentielle) mais actuellement, vous avez rejoint le NTD (de l’actuelle mouvance présidentielle). Comment s’est fait ce changement de casquette ?
En politique, tout est dynamique. Le président du RDB est aujourd’hui conseiller municipal NTD de Koubri. Allez savoir !
Vous êtes aujourd’hui au ministère des Transports, un département auquel l’on a adjoint la mobilité urbaine et la sécurité routière. A quoi répond cette innovation ?
Le volet mobilité urbaine paraissait vraiment une nécessité pour notre pays. Jusque-là, nous avions assisté de façon passive à la congestion et à l’obstruction des rues. Il aurait fallu pourtant anticiper. Aujourd’hui, Ouagadougou compte 2 millions d’habitants. Avec le taux de croissance que nous connaissons, dans quelques années ce chiffre va doubler alors que nos rues ne changent pas. Il faut donc trouver des solutions pour fluidifier le trafic, non seulement dans nos deux grandes villes mais aussi dans les onze capitales régionales. Le volet mobilité urbaine permet de réfléchir sur les mécanismes que nous pouvons imaginer pour y parvenir.
En quoi consiste concrètement la mobilité urbaine ?
Dans une agglomération, il faut trouver des solutions pour que la circulation soit aisée. Et ce n’est qu’un des volets. Plusieurs aspects peuvent y concourir. Non seulement au niveau des routes, mais aussi du côté des signalisations. Nous avons été par exemple à Taïwan et, là-bas, tous les feux tricolores sont gérés à partir d’une salle de commandes. Aux heures de pointe, ils savent quels sont les croisements qui nécessitent que le temps du feu vert soit plus long, parce qu’il y a beaucoup de trafic, et le temps du feu rouge plus court là où il y a moins de circulation.
La mobilité urbaine consiste aussi à pouvoir identifier les zones économiques, celles d’habitation, et de faire en sorte que chacun puisse se rendre dans sa zone d’activités sans problème. Cela peut nécessiter une alternance des voies à sens unique, des périodes d’interdiction à la circulation de certains véhicules, comme ça devrait être le cas aux alentours du marché et de la grande mosquée. Avant, c’était bien réglementé. Il s’agira maintenant de bien recodifier cela et d’amener les organes chargés du contrôle à l’appliquer. Il faudra trouver, avec la mairie, des voies à sens unique.
La mobilité, c’est également promouvoir la politique du transport en commun et lui trouver des voies spécialement dédiées. Nous avons des routes qui ont été conçues sans qu’on ait intégré cette notion, c’est-à-dire que les ingénieurs chargés de la réalisation ont travaillé sans penser au transport en commun. Un des soucis majeurs de notre département est de travailler à mettre en place une autorité qui pourrait gérer avec efficacité les questions de mobilité et de déplacement dans les grandes villes. C’est pourquoi, au niveau du gouvernement, on a ajouté à notre mission ce volet. Lorsque nous sommes arrivé, on s’est concerté et on s’est demandé ce qu’il fallait faire. Faut-il mettre en place une direction générale ? N’y aura-t-il pas un chevauchement avec les municipalités ? Nous avons proposé en Conseil des ministres la création d’une autorité organisatrice de la mobilité urbaine au plan national, qui aura un conseil d’administration et où seront représentées les municipalités. Cela se fera aussi avec les forces de l’ordre et de sécurité pour le respect des stratégies qui vont être mises en place.
Quel sera votre mode opératoire, surtout pour lutter contre l’incivisme dans la circulation ?
Les textes existent mais il y a eu un laisser-aller. Les usagers s’y sont habitués à telle enseigne que si vous décidez de les brusquer sur plusieurs fronts, les résultats ne seront pas forcément au rendez-vous. Nous avons commencé par la réduction des accidents pour préserver des vies. Ce problème est en train d’être réglé. Nous en avons fait une communication en Conseil des ministres, il n’y a pas longtemps. Comparativement à la même période de l’année dernière et de l’année surpassée, le taux d’accidents dans la ville de Ouagadougou a baissé de 20%, grâce à la réglementation de la circulation. Le taux d’accidents des cars de transport interurbains a aussi véritablement chuté grâce à des mesures énergiques que nous avons prises. Notre stratégie, c’est d’aller étape par étape.
Nous avons hérité d’une situation qui est, si vous me permettez l’expression, un peu merdique. Il y a de nombreuses zones où on constate beaucoup d’obstruction des routes. Il faut réfléchir à deux fois avant de côtoyer le marché de Sankar-Yaaré et bien d’autres zones, à commencer par la voie qui mène à votre journal. Le pire est que les gens pensent qu’ils sont dans leur bon droit. Lorsque le maire Simon Compaoré a voulu faire des alentours du grand marché une zone piétonne, vous avez vu les résistances ! Le projet n’a pas pu aboutir. C’est dire qu’il ne suffit pas d’élaborer et de signer de beaux textes sans pouvoir les faire appliquer. En ce moment l’autorité se trouve fragilisée. Mieux vaut prendre les mesures nécessaires en amont afin que l’application des textes soit possible plutôt que de se précipiter pour légiférer sans pour autant pouvoir appliquer. Avec les inondations, les populations reconnaissent de plus en plus qu’elles sont en partie responsables certaines situations. Cela veut dire qu’ils prennent conscience. Pour prendre un arrêté, ce n’est pas difficile. En une nuit on peut le concevoir et le remettre au ministre pour signature. La plus grande difficulté reste son application. Par ces temps qui courent, la force ne résout pas tous les problèmes : il faut amener les gens à adhérer à une idée.
Pensez-vous que le Burkinabè lambda est sensible à… la sensibilisation ? Ne faut-il pas être plus coercitif ?
Dans les pays côtiers, à l’exemple du Togo et du Bénin, les usagers portent les casques. A Taïwan, ils sont 23 millions d’habitants disposant de 22 millions d’engins. Pourtant, vous ne verrez personne en circulation à moto sans casque. Je leur ai demandé comment ils s’y prenaient. Ils m’ont répondu qu’ils sont passés par la sensibilisation. C’est pour cela que les éducateurs doivent nous accompagner dans la sensibilisation au port du casque. Nous devons commencer par la base, ce qui n’était pas le cas jusque-là. L’enfant, une fois le BEPC en poche, se voit ouvrir un bolide et on le met sur la route, sans un minimum de maîtrise du code de la route. Beaucoup ne savent même pas qu’en l’absence de feux tricolores, l’on doit appliquer la priorité à droite.
Justement, ne serait-il pas judicieux pour votre département d’initier des sessions de formation au code de la route, notamment pour les usagers des deux-roues qui ne passent généralement pas par une auto-école ?
Pertinente question ! C’est comme si vous étiez présent à l’élaboration de nos derniers textes. Notre souhait est que les usagers de la route puissent obtenir le permis A, le permis moto. Ces textes existent déjà, mais ne sont tout simplement pas appliqués. Alors, nous avons pensé à intégrer le code de la route dans les curricula d’enseignement des écoles et établissement d’enseignement. Cela revient à faire en sorte que les élèves puissent bénéficier d’une à deux heures d’enseignement par semaine sur le code de la route. A cette initiative s’ajoutent les centres d’initiation créés par l’Office national de la sécurité routière (ONASER), qui forment déjà au code de la route.
Il y eut un temps où les accidents des cars de transport étaient si récurrents qu’il avait été envisagé le plombage de ces véhicules. Où en êtes-vous ?
Un décret interministériel a été pris à cet effet et nous avons donné six mois aux transporteurs pour se doter d’un mécanisme de limitation de vitesse qu’ils doivent commander et installer. La plupart des compagnies de transport ont été très réceptives et ont commencé à sensibiliser leurs chauffeurs. Une société de transport, que je ne vais pas citer ici et qui avait la palme d’or de la vitesse, ne le fait plus. Tous les renseignements que nous avons corroborent cette nouvelle attitude. En partant à Bobo, nous avons été surpris de dépasser un de leurs cars. Nous avons fait une halte à Boromo et redémarré sans que le car réapparaisse. J’ai appelé le P-DG de ladite compagnie dans mon bureau. Il s’attendait à des reproches sur un de ses chauffeurs. Je lui ai dit que c’est plutôt pour le féliciter de ce que j’ai constaté. Le revers est que les chauffeurs rapportent que ce sont les clients qui s’en prennent à eux maintenant… pour défaut de vitesse ! A l’issue des six mois nous allons passer au contrôle sur l’application des mécanismes de limitation de vitesse, qui fera même partie des exigences pour l’obtention de la visite technique.
Perdure aussi le phénomène des gares «Kafoulmayé», pour emprunter une expression railleuse de votre collègue Simon Compaoré, à propos de ces gares qui poussent comme champignons après l’orage, parce que les transporteurs refusent de rejoindre les gares officielles. N’y a-t-il pas à ce niveau un laxisme de l’Etat qui laisse tout faire ?
Ce n’est pas du laxisme. C’est d’autant plus compliqué qu’à ce niveau ce n’est pas formalisé. Il n’y a pas de texte en la matière, que je sache ! Néanmoins, nous sommes en train de nous organiser pour ramener ces transporteurs à la raison. Je crois que c’est une manière pour certains de contourner les taxes. En tous les cas, nous comptons régler ce problème au plus vite.
Peut-on avoir une idée de la période à partir de laquelle les premières mesures sur la mobilité urbaine seront appliquées ?
Nous voulons des fondations solides, à travers la création de l’Autorité organisatrice de la mobilité urbaine. D’ici la fin de l’année, nous comptons mettre en place cette structure faîtière qui est la base de tout. C’est notre objectif premier. Parallèlement à cela, nous menons des activités de sensibilisation. A titre d’exemple, dans nos activités, nous prévoyons inviter les riverains du grand marché à la salle de conférences du CBC pour des échanges. Nous avons en vue la création de rues à sens unique et piétonnes comme dans toutes les grandes villes.
Pendant qu’on y est, à quand de vraies pistes cyclables, le métro ou le tramway dans nos villes ?
L’idée est charmante mais est-ce la solution ? Je venais de prendre l’exemple de Taïwan qui compte 23 millions d’habitants avec 22 millions d’engins. Tout est une question de discipline. Ici au Burkina, nous sommes 18 millions d’habitants et je me demande si la moitié a un véhicule. L’organisation et la discipline nous manquent. Il faut que nous agissions d’abord à ces niveaux. En attendant de voir la faisabilité d’autres moyens de transport, au niveau du gouvernement, nous avons prévu augmenter le nombre de bus à Ouaga et à Bobo. Il s’agit d’un projet du programme présidentiel qui a même été adopté au niveau du PNDES (Programme national de développement économique et social).
Propos recueillis par
Issa K. Barry
Alima Koanda
Alex Harold Kaboré
Hugues Richard Sama
Assiata Savadogo
Constantin Lévy Konfé