A la lumière de ses premiers pas en tant que président du Faso, le président Roch Marc Christian Kaboré semble inaugurer une nouvelle ère dans la diplomatie burkinabè vis-à-vis de la Côte d’Ivoire. L’on assiste à un processus de révision de la doctrine diplomatique du Burkina Faso qui se traduit par une logique de stabilisation des relations avec la Côte d’Ivoire. Pourtant, au regard de l’ampleur des relations conflictuelles entre les deux Etats, cette politique peut paraître fragile. En termes de perspectives, le succès de cette nouvelle stratégie est tributaire des dynamiques des luttes politiques au sein des deux Etats.
La politique étrangère du président Kaboré s’inscrit dans la logique pro-occidentale du Burkina Faso des régimes d’avant la Révolution, et du régime Compaoré. Par rapport à la Côte d’Ivoire, la nouvelle diplomatie burkinabè est plus vigoureuse que celle du président Maurice Yaméogo, qualifié de «commis voyageur»2 d’Houphouët-Boigny. Elle est moins agressive que celle des présidents Sankara et Compaoré, et peut-être plus proche de la doctrine diplomatique du président Lamizana, qui a dirigé la Haute-Volta «en bon père de famille» de 1966 à 1980. Après quatre mois à la tête de l’Etat, le président Roch Marc Christian Kaboré est en passe de normaliser les relations diplomatiques avec la Côte d’Ivoire, après un début agité, marqué par les tensions diplomatiques en lien avec les mandats d’arrêt lancés par la justice burkinabè contre Blaise Compaoré et Guillaume Soro. Sa politique étrangère au plan régional semble se démarquer de la doctrine hégémonique de Blaise Compaoré. Le Burkina nouveau entend «mener une politique étrangère ouverte au service du développement de notre pays, fondée sur la solidarité et résolument engagée dans la recherche de la paix et de la sécurité internationales».
Le Burkina et la Côte d’Ivoire sont dans une logique de rééquilibrage de leurs relations du point de vue des rapports de force. Le Burkina n’est plus en position hégémonique vis-à-vis de la Côte d’Ivoire. Cette érosion de l’influence politique burkinabè s’explique par le changement politique intervenu au lendemain de l’insurrection populaire.
En effet, l’affaiblissement de la diplomatie burkinabè est une conséquence directe de la fin du règne Compaoré. Après la chute de «l’homme fort», le Burkina est entré dans une période de turbulences politiques avec l’avènement d’un gouvernement de Transition marqué par des conflits de pouvoir au sein des élites civiles et militaires. Le président de la Transition, Michel Kafando, a cumulé les fonctions de président du Faso et de chef de la diplomatie. Déjà, avec la stature modérée de l’homme, qui apparaît comme un «sage», une politique étrangère «agressive» n’était pas envisageable, et sa performance diplomatique l’a démontré. Ensuite, l’agenda de la Transition, qui avait une année de mandat (novembre 2014 et novembre 2015), les multiples conflits à régler au plan interne et le déficit de ressources ont renforcé cette politique étrangère modeste des autorités de Transition. La principale préoccupation du président Kafando était de maintenir la confiance des partenaires internationaux pour éviter les sanctions économiques et politiques, et d’organiser le processus de retour à une vie constitutionnelle normale. C’est certain, la politique étrangère n’était pas une priorité de la Transition.
Par ailleurs, l’exil de Blaise Compaoré à Abidjan a largement modifié le rapport de forces entre les deux Etats. Cette présence de Compaoré dote la Côte d’Ivoire d’un nouvel «homme fort» tandis que le Burkina était gouverné pendant la Transition par une coalition civilo-militaire lâche, opérant dans un contexte sociopolitique fragile et volatile. La présence de Blaise Compaoré en Côte d’Ivoire est devenue la principale source de menace pour le régime de Transition, ainsi que pour le régime Kaboré installé à l’issue des élections de novembre 2015. Connaissant les qualités de stratège de Compaoré, et ses liens avec les mouvements terroristes dans la zone sahélo-saharienne, les autorités burkinabè redoutent la réaction de «l’homme fort» et de ce fait, sont obligées d’adopter une posture modérée face à la Côte d’Ivoire, malgré les pressions internes en faveur d’une ligne dure. La crainte des autorités burkinabè est donc que la Côte d’Ivoire, mécontente de l’insurrection qui a balayé son allié politique, aide ce dernier à déstabiliser le pays. Qui plus est, Moustapha Liman Chafi, l’ancien conseiller de Blaise Compaoré, reconnu pour ses liens avec les mouvements terroristes dans la région sahélo-saharienne, aurait également élu domicile à Abidjan.
Cette appréhension s’est installée pendant la Transition où le vote des Burkinabè résidant en Côte d’Ivoire a été perçu comme une menace de déstabilisation de la Transition. En effet, avec un potentiel électoral estimé à environ un million d’électeurs, la Côte d’Ivoire pouvait être le « faiseur du roi ». C’est ce qui explique la forte controverse politique autour du vote de la diaspora, auquel finalement la Transition a dû renoncer. Les craintes envers la Côte d’Ivoire se sont avérées avec la tentative avortée de coup d’Etat menée par le Régiment de sécurité présidentielle (RSP) en septembre 2015, et bien avant, d’autres tentatives de déstabilisation conduites par la même unité. Ce corps de l’armée de terre burkinabè était en fait une force prétorienne au service de Blaise Compaoré commandée par son chef d’état-major particulier, le général Gilbert Diendéré.
Le RSP était la branche militaire du régime Compaoré ; ce qui explique son insubordination face à l’Etat-major des forces armées nationales. Après l’échec du coup d’Etat de septembre, plusieurs éléments du RSP se sont réfugiés en Côte d’Ivoire. Le silence de ce pays après le coup d’Etat du général Diendéré, les écoutes téléphoniques entre le général Bassolé et Guillaume Soro, ont corroboré cette hypothèse du soutien présumé de la Côte d’Ivoire aux putschistes. Les attaques du dépôt d’armes du magasin d’armement de Yimdi dans la nuit du 21 au 22 janvier 2016, menées par des ex-éléments du RSP venus de la Côte d’Ivoire ont accentué la crainte des autorités burkinabè.
Certaines analyses ont vu la main de Compaoré dans l’attaque terroriste de janvier 2016 sur l’avenue Kwame Nkrumah. Une telle hypothèse ne paraît pas fondée. Il convient plutôt d’analyser la vulnérabilité du Burkina face au terroriste islamiste comme une conséquence objective de la chute de Blaise Compaoré. En effet, leur allié politique étant évincé, les terroristes n’ont aucune raison d’épargner le Burkina dont ils connaissent les faiblesses sécuritaires. L’attaque terroriste à Grand Bassam en mars 2016 montre que la Côte d’Ivoire n’est pas non plus à l’abri de cette menace. De manière générale, la montée des menaces terroristes oblige les deux Etats à privilégier la coopération sur le conflit. C’est dans ce sens qu’il convient d’analyser l’option de l’apaisement voulue par les présidents Kaboré et Ouattara. Les deux chefs d’Etat ont choisi la voie « diplomatique » pour régler leurs différends. Faisant le bilan de ses cent jours à la tête de l’Etat, le président Kaboré l’a clairement indiqué : «le mandat d’arrêt contre Guillaume Soro ne doit (…) pas altérer les rapports d’amitié que nous entretenons avec la Côte d’Ivoire (…). Nous insistons que la voie diplomatique est celle sur laquelle nous devons progresser».
En réaction à la polémique concernant ce mandat d’arrêt, le président Ouattara a fait extrader le sergent-chef Moussa Nébié dit Rambo, un des éléments du RSP recherchés par la justice militaire burkinabè. Il s’agissait d’un geste de « bonne volonté » de la part du président Ouattara pour apaiser les tensions, tout en marquant son refus de livrer Guillaume Soro et Blaise Compaoré. C’est ce que souligne le journaliste Tiga Cheich Sawadogo : «On voit mal comment le président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, peut être extradé au Burkina Faso pour répondre des faits à lui reprochés. La moindre des choses, était donc de remettre au moins, "Rambo" et les autres, en réalité, des moutons sacrificiels du "règlement diplomatique" d’une affaire».
Le 31 mai 2016, le président Kaboré a dépêché à Abidjan une mission de haut niveau conduite par le président de l’Assemblée nationale, Salifou Diallo, pour relancer la coopération entre les deux pays. En choisissant Salifou Diallo, considéré comme le cerveau du nouveau régime, pour conduire cette mission, le président Kaboré marque sa ferme volonté de normaliser ses relations avec Abidjan. Quelques jours après, le 6 juin 2016, le commissaire du gouvernement près le tribunal militaire annonce que cette juridiction n’entend pas relancer le mandat d’arrêt contre Guillaume Soro. Le limogeage de l’ancien commissaire du gouvernement près le tribunal en mai 2016, le lieutenant-colonel Norbert Koudougou, et le fait que cette annonce ait été faite quelques jours après la mission conduite par Salifou Diallo, soulève des doutes légitimes quant à l’indépendance de la justice militaire. Au fond, si le Burkina Faso sacrifie son rôle diplomatique régional sur l’autel de la stabilité et de la paix avec la Côte d’Ivoire, l’efficacité de ce choix stratégique peut paraître douteuse. En effet, si jusqu’ici les deux Etats ont pu éviter tout conflit politique majeur, la gestion des mandats d’arrêt contre Blaise Compaoré et Guillaume Soro demeure une source de fragilisation des relations entre les deux pays dans un avenir proche. Cela en raison des effets potentiellement déstabilisateurs des luttes politiques internes dans les deux pays.
La diplomatie sous le prisme des politiques domestiques
Les politiques étrangères des présidents Ouattara et Kaboré peuvent être analysées sous le prisme des politiques domestiques des deux pays. Ces politiques sont sans nul doute influencées par l’évolution des luttes de pouvoir internes dans les deux pays ainsi que l’action de la société civile. Au Burkina Faso, face aux demandes «souverainistes» de certaines organisations de gauche, le risque d’une polarisation sociopolitique n’est pas à exclure. La Coalition contre la vie chère (CCVC), forte de plusieurs associations et syndicats, a toujours appelé au respect de la souveraineté de l’Etat burkinabè face à ce qu’elle considère comme une ingérence dans les affaires internes du Burkina. Après les attaques terroristes dont le Burkina a été victime en janvier 2016, et l’annonce par la France du possible déploiement d’une unité d’élite de la gendarmerie française, les partisans de cette ligne «souverainiste» ont réaffirmé leur rejet total de la présence militaire française sur le sol burkinabè.
La lutte contre l’impunité fait également partie de leur répertoire. Depuis la crise sociopolitique consécutive à l’assassinat du journaliste Norbert Zongo au début des années 2000, les syndicats des travailleurs et d’étudiants d’inspiration gauchiste mènent une lutte constante contre l’impunité et toutes les formes de crimes et violations des droits humains. Cette importance frange de la société civile burkinabè fait d’ailleurs figure de branche radicale dans le monde associatif. Si son rôle dans l’avènement de l’insurrection semble avoir été mitigé, il reste qu’elle a participé activement depuis des années à la politisation des jeunes burkinabè. Plusieurs autres associations militantes ont vu le jour à l’image du Balai citoyen créé par de jeunes burkinabè attachés aux idées sankaristes. Ces associations ont pris une part active dans la chute de Blaise Compaoré, ainsi que dans la régulation de la Transition qui s’en est suivie. Ces différents acteurs de la société civile suivent avec attention la gestion des mandats d’arrêt contre Guillaume Soro et Blaise Compaoré et exercent une pression sur le président Kaboré dans ce sens. La posture ambigüe du président Kaboré face au différend politique avec la Côte d’Ivoire est dénoncée par ces mouvements hostiles à toutes formes de compromis sur les questions de justice. Les études par sondage montrent le fort attachement des Burkinabè à la lutte contre l’impunité
Certains évènements récents ont suscité leur réprobation. C’est le cas de l’attribution de la nationalité ivoirienne à Blaise Compaoré, perçue par les «insurgés» burkinabè ainsi que par l’opposition ivoirienne comme une caution à l’impunité. L’exil de Blaise Compaoré en Côte d’Ivoire rappelle d’ailleurs celui de Maurice Yaméogo, renversé en 1966. En effet, comme le rappelle Basile Guissou, après sa libération en 1970, «il part en Côte d’Ivoire où il est reçu à bras ouverts par Houphouët-Boigny. Il est logé dans le plus grand hôtel d’Abidjan et est nommé directeur du port d’Abidjan». Ce rappel historique contribue à diffuser l’idée d’une Côte d’Ivoire insensible à la soif de justice des Burkinabè, voire qui complote contre le «pays des hommes intègres».
Les jeunes «insurgés» burkinabè, imbus d’idées progressistes et nationalistes, sont redoutés des partis politiques gestionnaires. Dès lors, un affrontement direct avec ces acteurs associatifs serait politiquement coûteux pour le nouveau régime qui cherche à asseoir ses bases, après une Transition agitée et un contexte sécuritaire et socioéconomique précaire. Au mois de mai 2016, sur demande de l’exécutif burkinabè, la Cour de cassation du Burkina a annulé en fin avril 2016 les mandats d’arrêt contre Blaise Compaoré et Guillaume Soro. Le président Kaboré a limogé, le 11 mai 2016, le procureur militaire ainsi que le juge civil chargé de l’instruction du dossier. Ce qui n’a pas manqué de susciter une grande polémique quant à l’indépendance de la justice. Les syndicats de magistrats et des organisations de la société civile ont dénoncé cette décision qu’ils considèrent comme une atteinte à l’indépendance de la justice. Face aux critiques, le président Kaboré est intervenu pour marquer son attachement à la justice : «[Du] fait qu’il y a la séparation des pouvoirs, je ne peux pas me permettre de commenter une décision de justice. Mais je peux vous dire que même dans leurs rêves les plus fous, ni Blaise Compaoré, ni ceux qui ont fait le coup d’Etat ne peuvent penser que nous allons lever les mandats d’arrêt pour donner une suite à l’impunité et à la déstabilisation de notre pays». La décision du tribunal militaire de renoncer à la relance du mandat d’arrêt contre Guillaume Soro a ravivé la polémique sur la volonté présumée du président du Faso d’obtenir de la justice l’abandon des poursuites.
Il convient de souligner que la capacité de la société civile à peser sur la politique étrangère du nouveau régime sera probablement tributaire de deux facteurs essentiels. D’une part, la capacité du nouveau gouvernement à répondre aux attentes des jeunes en matière d’emploi et de l’autre, de l’influence que la nouvelle opposition politique pourrait avoir dans le processus politique. En clair, la performance socioéconomique du gouvernement pourrait prévenir une radicalisation des positions des jeunes sur les cas Blaise Compaoré et Guillaume Soro. Au plan du système partisan, la nouvelle opposition politique apparaît comme un soutien objectif à la stratégie du président Kaboré. Cette opposition est formée autour de trois principaux partis politiques, l’Union pour le progrès et le changement (UPC), le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti de Blaise Compaoré et l’Alliance pour la démocratie et la fédération/Rassemblement démocratique africain (ADF/RDA), un parti allié au CDP. Si l’hostilité de ces deux derniers partis face aux poursuites judiciaires des anciens dirigeants est naturelle, l’UPC de Zéphirin Diabré ne semble pas en faire une priorité. De toute évidence, l’opposition politique telle qu’elle est constituée, apparaît comme un soutien de taille pour l’approche «diplomatique» du gouvernement Kaboré face à la Côte d’Ivoire. Son silence face à la polémique sur les mandats d’arrêt en est une illustration concrète. En tant qu’acteur de l’insurrection d’octobre 2014, l’UPC ne peut soutenir ouvertement l’option diplomatique du président Kaboré, contrairement au CDP qui trouve son compte dans une telle démarche. Le consensus est donc impossible au sein de l’opposition politique burkinabè, contrainte ainsi au silence.
Du côté ivoirien, il y a deux variables importantes à prendre en compte. Il s’agit premièrement des luttes internes, latentes et silencieuses qui se mènent au sein de la coalition dirigeante, plus précisément au sein du Rassemblement des républicains (RDR), le parti du président Alassane Ouattara. Réélu en 2015 pour son second et dernier mandat présidentiel, le président Ouattara n’a pas tranché la question de sa succession au sein du parti. Deux figures semblent se positionner pour sa succession : le ministre de la Sécurité Hamed Bakayoko et le président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro. Cette lutte discrète pour la succession de Ouattara ne serait pas étrangère aux tensions diplomatiques qui opposent le Burkina à la Côte d’Ivoire. L’hypothèse d’une instrumentalisation du différend relatif au coup d’Etat manqué du général Diendéré par les partisans du camp Bakayoko n’est pas à écarter. Cette hypothèse est évoquée par le rapport d’International Crisis Group (ICG) : «La fuite des enregistrements, très probablement intentionnelle, peut provenir soit d’un des nombreux ennemis que compte Guillaume Soro en Côte d’Ivoire, soit d’une source burkinabè souhaitant démontrer que le dossier contre Bassolé n’est pas vide, comme ne cessent de le répéter son avocat et ses partisans».
En cas de rupture d’alliance entre le président Ouattara et Guillaume Soro, le mandat d’arrêt contre ce dernier peut également faire l’objet d’instrumentalisation politique. Il n’est pas à exclure que le président Ouattara choisisse le camp de son ministre de la Sécurité dans le duel qui oppose ce dernier à Soro, cela d’autant que les accusations intempestives qui pèsent sur ce dernier contribuent à altérer l’image du régime Ouattara. En cas de triomphe du camp Soro, les relations avec le Burkina pourraient rester tendues, alors que dans le cas inverse, l’on peut s’attendre à ce que le nouveau pouvoir tente de sacrifier Soro. Cette dernière stratégie est cependant complexe au regard de la stature politique de l’ancien chef rebelle. Au-delà de la concurrence entre Soro et Bakayoko, il importe de rappeler le «deal» qu’auraient conclu Ouattara et Bédié selon lequel pour 2020, le RDR s’inclinerait devant le candidat du PDCI.
La seconde variable à prendre en compte est le rôle de l’opposition politique ivoirienne, menée par les différents courants du FPI, le parti de l’ancien président Laurent Gbagbo. Cette opposition ne s’est pas privée de saisir cette affaire pour critiquer le régime Ouattara. L’affaire Soro est utilisée comme une ressource politique pour fragiliser le régime Ouattara, même si la position dominante du président Ouattara rend aléatoire toute déstabilisation politique de la part de l’opposition. En clair, il est évident que la politique intérieure en Côte d’Ivoire, vue sous l’angle de la lutte pour la succession du président Ouattara et des stratégies de l’opposition politique, constitue un facteur structurant des relations ivoiro-burkinabè.
Conclusion
Ce qui s’impose comme analyse est l’amorce d’un processus d’érosion de l’influence diplomatique du pays dans la géopolitique régionale. Cette évolution est la conséquence de la fin du régime Compaoré et du changement de référentiel diplomatique du nouveau pouvoir installé en fin 2015. A la politique diplomatique offensive de l’ère Compaoré s’est substituée une doctrine moins ambitieuse et axée sur le bon voisinage. Le Burkina renoue ainsi avec la diplomatie d’avant la révolution sankariste. La gestion du contentieux juridico-politique avec la Côte d’Ivoire corrobore cette analyse. Le Burkina post-Compaoré ne semble plus en mesure de maintenir son rôle de puissance diplomatique régionale. Face à un pouvoir ivoirien solide, fort de sa récente légitimité électorale et la confiance de la France reconquise, le Burkina n’est plus en position de force. Cela d’autant que le pays est empêtré dans de profondes crises financières et politiques.
Face aux nombreux défis auxquels il doit apporter des réponses rapides, le président Kaboré n’a objectivement pas intérêt à s’engager dans un bras de fer avec le voisin ivoirien. Du reste, l’extradition de Blaise Compaoré et de Guillaume Soro demandée par la justice burkinabè n’est pas une priorité pour le nouveau pouvoir. De ce point de vue, l’option diplomatique choisie par le président Kaboré est inspirée d’une logique rationnelle, et contraste ainsi avec la passion que le problème suscite au sein du «peuple insurgé». Cette approche modérée lui permet également de ménager ses opposants, parmi lesquels les partisans de l’ancien président Blaise Compaoré.
Le contentieux autour des mandats d’arrêts contre Guillaume Soro et Blaise Compaoré sera l’un des éléments structurants de l’évolution des relations diplomatiques entre le Burkina et la Côte d’Ivoire. Les dynamiques politiques internes dans les deux pays, ainsi que les ambitions des deux chefs d’État influent de manière significative sur les politiques étrangères qu’ils mettent en œuvre. En Côte d’Ivoire, l’issue de la lutte pour la succession d’Alassane Ouattara est, à cet égard, une variable déterminante. Au Burkina Faso, l’option du président Kaboré de privilégier le règlement diplomatique à la voie judiciaire contraste avec la quête de vérité et de justice d’une partie de la population, décidée à rompre avec l’impunité. Si le président Ouattara est à son second et dernier mandat présidentiel, le président Kaboré en est à son premier mandat, et compte en solliciter un autre en 2020. C’est probablement de la façon dont les deux chefs d’Etat vont gérer leurs agendas politiques et réguler les luttes de pouvoir internes que dépendra l’avenir de l’axe Abidjan-Ouagadougou, un des piliers de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest.
Dr Abdoul Karim Saidou,
enseignant de science politique
à l’Université Ouaga 2