Oui, « il arrive un temps pour tout ». Il a beau être un représentant de la communauté musulmane au sein de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), c’est par ces paroles de l’Ecclésiaste que Newton Ahmed Barry a titré son « Façon de voir » dans l’édition du 25 juillet de L’Evénement, bimensuel dont il était jusque-là le rédacteur en chef. Oui dont il était le red-chef, puisque cet éditorial du jour est en fait un adieu du journaliste à ses lecteurs.
Pour la bien-pensance islamique, ce titre, inspiré des Ecritures saintes catholiques, constitue un « péché » supplémentaire commis par le mandataire de la Umma auprès de la CENI.
C’est que ce choix a d’abord donné lieu, ces derniers jours, à une espèce de polémique pour ne pas dire de querelles de minarets entre le mouvement sunnite, si ce n’est une partie de cette chapelle, récusant l’intéressé, et d’autres courants religieux musulmans, tels l’AEEMB et le CERFI qui lui ont apporté leur blanc-seing.
Pour certaines ouailles de Mohamed, Newton Ahmed Barry, élu hier président de la CENI (lire page 4), n’a ni le pantalon suffisamment court ni la barbe (qu’il ne porte jamais) assez fournie pour être le représentant de la Umma dans l’institution en charge de l’organisation des élections. Il n’est pas jusqu’à son surnom, Newton, qui ne soit jugé peu catholique pour un musulman.
C’est dommage que pour un poste d’une telle haute responsabilité on en soit encore là à tenir compte de critères confessionnels, occasionnant des débats inter et intra-religieux. Cette sorte de présidence tournante entre protestants, catholiques et musulmans dans un Etat pourtant laïc n’est-elle pas la preuve de balbutiements dans la marche vers l’érection d’une véritable nation ?
On espère qu’un jour viendra où on ne tiendra compte que de critères objectifs, comme la compétence, le savoir-faire et les capacités managériales, et non plus l’appartenance religieuse pour tenir les rênes d’une institution hautement républicaine telle la CENI.
De ce point de vue, on ne voit pas en quoi notre confrère Newton est moins méritant qu’un autre pour occuper ce strapontin.
N’avait-il pas caressé le rêve, fort légitime, d’assumer la charge, combien délicate, de la présidence de la Transition avant que le collège électoral n’en dispose autrement ?
Ce désappointement, vécu comme une blessure narcissique, serait le ressort de l’acharnement du journaliste contre les autorités d’alors. Vrai ou faux ?
Pour sûr, ce n’est ni le bagage intellectuel ni l’expérience qui lui feront défaut dans sa nouvelle fonction.
Il faut reconnaître qu’il fait partie de ceux, nombreux, qui ont contribué au processus de maturation démocratique de notre pays.
On se rappelle que quand il était journaliste présentateur à la Télé nationale, Newton n’a pas hésité à claquer la porte après l’assassinat de Norbert Zongo pour allert tenter de sauver L’Indépendant ou ce qui en restait, avant de créer L’Evénement avec son alter ego, Germain Bitiou Nama.
Du reste, la CENI n’est pas une maison étrangère à celui qui vient d’y poser ses pénates. Il y a une vingtaine d’années, avant que la structure ne devienne indépendante, il a fait partie de sa Commission médias.
C’est vrai qu’aujourd’hui, l’ingénierie électorale a beaucoup évolué, pour autant NAB ne met pas les pieds en terres inconnues.
Pour le reste, ce n’est peut-être qu’une question d’opportunité, d’ambition personnelle ou de calculs politiques. Mais peut-on raisonnablement lui en tenir grief?
Cependant comme tant d’autres de nos confrères qui sont passés de l’autre côté du micro, entre pontifier à la tête d’une rédaction, sur un plateau de télévision ou à travers les réseaux sociaux, donnant des leçons à tout vent comme nous autres journalistes savons si bien le faire, et savoir participer directement à la gestion de la chose publique, il y a un grand fossé que le talent ne suffit pas à combler.
Maintenant qu’il a abandonné la plume du livre de bord pour le compas de la navigation, le nouveau capitaine de la CENI doit savoir que le tracé du fleuve est parsemé de nombreux écueils. Le moindre écart sur la voie de la bonne gouvernance qu’il n’a cessé de défendre hier dans ses éditos ne lui sera pas pardonné. Il est bien payé pour savoir ce que c’est que le devoir d’ingratitude des journalistes.
Alain Saint Robespierre