Ouagadougou - Une odeur nauséabonde flotte sur Balolé, petite localité du Burkina où pourrissent des dizaines de cadavres d’ânes, témoins gênants d’un commerce en plein boom: l’exportation vers l’Asie de viande et de peaux d’ânes.
Excédés par les odeurs et la pollution, des dizaines d’habitants ont saccagé le 11 juillet l’abattoir local et interdisent depuis, gourdins à la main, toute nouvelle mise à mort dans le village situé à 25 km à l’ouest de Ouagadougou.
L’abattage des ânes n’est pas nouveau au Burkina. La viande est prisée dans certaines communautés, même si toutes n’en mangent pas. On lui attribue aussi des vertus médicamenteuses: elle guérirait notamment la rougeole, selon certaines croyances.
Mais le commerce de cet animal, très utilisé par les paysans dans ce pays rural parmi les plus pauvres de la planète, a connu un essor inattendu ces dernières années, jusqu’à inquiéter les autorités.
"Plus de 45.000 ânes ont été abattus en moins de six mois" sur une population estimée à 1,5 million dans le pays, selon Rémi Fulgance Dandjinou, porte-parole du gouvernement.
"Ça commence à faire beaucoup", a-t-il ajouté lors d’une conférence de presse : "le sujet est revenu deux fois en Conseil des ministres et le ministre des Ressources animales a été chargé de trouver les moyens de réglementer l’abattage".
Selon les douanes du Burkina, citées par le quotidien d’Etat Sidwaya, "entre octobre 2015 et janvier 2016, environ 19 tonnes de peaux d’ânes ont été convoyées par voie aérienne vers Hong Kong".
Les prix ont bondi en conséquence, la peau passant de 2.000 francs CFA à 30.000 ou 50.000, soit de 3 à 45 ou 75 euros.
"L’âne, qui coûtait 50.000 francs (75 euros) il y a deux ans, se vend aujourd’hui entre 70.000 à 90.000 CFA" (100 et 140 euros), explique Issouf Kombasséré, boucher d’âne à Saaba, une commune rurale près de Ouagadougou réputée pour son marché de viande de baudets.
- Parfumerie à ciel ouvert -
Certains spécialistes redoutent même une disparition de la bête, sa reproduction étant lente (un an de grossesse et deux ans entre chaque
naissance).
Construit en 2011, l’Abattoir du Sahel, cédé en location par son fondateur burkinabè à un Français associé à des Chinois, travaille uniquement pour l’exportation vers l’Asie, selon les autorités et plusieurs témoignages.
Sollicités, ses propriétaires ont refusé de s’exprimer.
"Par jour, il arrivait ici quatre remorques remplies d’ânes venant du Burkina, du Mali et même de Mauritanie. On y tuait 150 à 200 ânes", raconte M. Simporé, qui assure que la viande était destinée au Vietnam et les peaux à la Chine.
Les conditions y étaient en tout cas déplorables et lors d’une inspection, "nous avons dénombré plus de 85 carcasses d’animaux en putréfaction avec des vers qui en sortaient", confie à l’AFP Christophe Bazié, du service des Eaux et forêts.
Le ministère de l’Environnement a infligé une amende d’un million de francs CFA (1500 euros) aux exploitants, pour abandon de déchets nuisibles.
La sanction peut aller jusqu’à 10 millions (15.000 euros), voire des peines d’emprisonnement. Mais M. Bazié assure que les exploitants "sont légalement installés. Leur seul problème a été qu’ils n’ont pas respecté une des clauses de l’arrêté ministériel. Nous leur avons trouvé des circonstances atténuantes".
En attendant, Balolé souffre. Avec la saison des pluies, "l’eau draine le sang et des déchets de l’abattoir vers les puits et les marigots de sorte qu’on n’a plus d’eau potable. Notre village est une +parfumerie+ à ciel ouvert. Les plants de tomates, de choux, d’aubergines... tout meurt", assure
M. Simporé. Autour de lui sont attroupés de jeunes villageois, dont certains tenant des bâtons et des machettes.
L’un d’eux, Ali Ouedraogo, insiste, menaçant: "On ne tuera plus jamais un seul âne ici".
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