"Venez nous sauver, galère va nous tuer, venez nous libérer, vie chère va nous terminer !" La complainte, relayée en sons et en rimes par les zougloumen de la lagune Ebrié, n’est pas nouvelle. Mais comment diable se fait-il que, depuis quelque temps, elle est redevenue le refrain chouchou ici et là ? Le peuple affamé a beau crier famine, rien ne change. Même les concerts de casseroles n’ont guère allégé le panier de la ménagère.
Les temps sont durs ! Les musulmans sont en carême et certains commerçants n’hésitent pas à profiter de leur foi renouvelée pour casser du sucre sur leurs dos. De quoi se sucrer convenablement pendant trente jours, en vendant, avec un surplus non négligeable, dattes, friandises diverses, mais aussi objet de culte et tous les qu’est-ce qu’il y a dont a besoin le bon musulman en ces temps de jeûne. A la fin, c’est sûr, ils seront les seuls, ou en tout cas parmi les seuls à rembourrer leurs portefeuilles de CFA dévalués sentant bon « Allah Akbar » !
D’ailleurs, tout le monde parmi le petit peuple des rachetés - ou presque - fait carême en ce moment. De gré ou de force. Le panier de la ménagère est réduit à sa portion congrue et ce n’est pas la joie dans les foyers. Les rations sont en baisse drastique ici, tandis que là-bas on remercie le ciel d’avoir pu trouver un petit quelque chose à se mettre sous la dent. A l’exception notable des « 3B » qui ont toujours la cote malgré les multiples sollicitations des porte-monnaie, tout le monde est fâché, fâché, fâché contre la vie chère. Les enfants s’ennuient grave faute de pouvoir aller en vacances, et se retrouvent tout de même à mater certaines images obscènes d’Internet dans des cybercafés mal famés.
Les parents, eux, s’étripent les cheveux pour résoudre la douloureuse équation de la prochaine rentrée des classes, qui frappe déjà aux portes dans certains établissements qui sont même allés jusqu’à majorer de presque 35% les frais de scolarité !
L’école, une autre gymnastique acrobatique pour parents désemparés, qui n’ont d’autre choix, pour gérer tant bien que mal les nombreux postes budgétaires d’une année scolaire - inscription, cotisations, frais de scolarité, fournitures scolaires, tenues scolaires, goûters et autres argent de poche... - que de faire le pied de grue dans les banques pour gagner le fameux prêt scolaire qui soulagera leur vie chère. Les institutions bancaires s’en donnent à cœur joie, offrant quelque liquidité aux géniteurs de ces mômes en quête de savoir. Dommage tout de même que la moitié de ces prêts ainsi octroyés se retrouve à gérer autre chose que le cahier et le crayon.
Car, là encore, les irrésistibles « 3B » sont toujours les plus forts. Après, certains parents s’asseyent peinards sur leur conscience et désertent leurs maisons du lever au coucher du soleil. Si encore le soleil vient réchauffer les cœurs en peine ! Actuellement, l’hivernage bat son plein et chaque jour apporte sa dose de nuages et de pluie. Des pluies silencieuses, longues, pleine, qui ont déjà commencé à inonder nos rues et certaines cours et places publiques. Il ne manquerait plus qu’on se retrouve, à force, les pieds dans l’eau et la tête dans les soucis.
On n’aura même plus la force pour aller chanter avec les casseroles : « Vie chère, dégage ! » Mais comme elle a jusque-là bon dos, quand la vie chère s’éveillera pour de bon, nous n’aurons alors plus d’yeux pour pleurer, ni de dos pour porter nos souffrances. Et c’est là que la « dégage-mania » s’installera dans toute son implacabilité !