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Incivisme au Burkina : le décryptage d’un anthropologue
Publié le jeudi 21 juillet 2016  |  Autre presse
Scène
© Autre presse par D.R
Scène de la circulation routière




Il est question de plus en plus d’incivisme au Burkina Faso et ce ne sont pas les exemples qui manquent pour illustrer la montée en puissance du phénomène. Chacun y va de son analyse sur les causes du phénomène. Le citoyen lambda appréhende le phénomène sous l’angle d’une réalité sociale, c’est-à-dire d’un fait observable et pour lequel il essaie de donner certaines explications.
Le sociologue, quant à lui, va s’employer à faire ressortir la réalité sociologique qui en est la face cachée par une méthode rigoureuse d’analyse. A travers cet écrit, Dr Steve Léonce ZOUNGRANA, médecin anthropologue donne sa vision du phénomène.

Des sociologues comme le Français Emile DURKHEIM ont essayé d’expliquer plusieurs phénomènes sociaux. L’ouvrage de DURKHEIM sur le suicide publié en 1897 et qui était une étude empirique vient en tête de liste de tous les ouvrages fondamentaux en sociologie.
L’auteur constate que lorsqu’un individu se suicide, la première réaction des hommes est de le condamner et de considérer qu’il s’agit d’un acte individuel dénué de tout fondement. Cependant, il démontre que, plus qu’un acte individuel, le suicide résulte d’un acte collectif, donc de la responsabilité de la société toute entière : c’est ce qu’il a appelé « l’anomie ». Il s’agit d’une dérégulation du tissu social qui conduit l’individu à se suicider. C’est parce que la société n’a pas pu prendre en considération les aspirations de l’individu (emploi, santé, protection, etc.) que ce dernier a fini par se suicider dans le désespoir le plus total.
Lorsque nous parlons de société ici, il s’agit de plusieurs institutions des plus fragiles comme la famille, la communauté aux plus fortes comme l’Etat et même aux plus totalitaires comme l’Eglise, et les autres institutions religieuses qui prônent la mortification de l’âme.
Par analogie, il faut savoir que l’incivisme s’explique de la même manière que le suicide ! C’est justement parce que l’individu a perdu ses repères, que la société n’arrive pas à prendre en compte ses aspirations (emploi, santé, éducation, accès à l’eau potable, accès à un logement décent, etc.) que nait l’incivisme. Il s’agit donc en réalité d’un acte collectif et non d’un acte individuel comme on serait tenté de le penser de prime abord.
Je n’imagine pas un individu qui, bénéficiant de l’appui de l’Etat pour obtenir un logement social, un financement pour lancer son activité commerciale, un appui pour scolariser ses enfants et les soigner, et qui ferait de l’incivisme. Je ne le crois pas car l’individu se sent redevable vis-à-vis de la société ; il se garde de transgresser les règles de vie qui y sont établies (les lois ).
Toujours pour démontrer que la responsabilité concernant l’incivisme est collective, visitons les étapes de l’éducation d’un individu qui permettent d’en faire un exemple de réussite sociale.
L’éducation d’un individu issu d’une société donnée ou disons sa socialisation se fait à plusieurs niveaux et quand ça ne fonctionne pas, on aboutit à un individu « déviant » et plus tard « marginal ».
On sait que, dans la vie d’un individu, les différents moments de socialisation ne sont pas équivalents. La sociologie s’est efforcée ainsi de différencier les temps et les cadres de la socialisation en séparant notamment la période de socialisation dite « primaire », essentiellement familiale, de toutes celles qui suivent et que l’on nomme « secondaires ».
-Tout d’abord la socialisation dite « primaire », essentiellement familiale. Elle concerne l’enfant à qui on apprend la vie en société. Le fait que la socialisation familiale soit à la fois précoce, intense, durable et au moins pendant un temps, sans concurrence, explique le poids de l’origine sociale dans un très grand nombre de comportements ou de préférences étudiés (scolaires, professionnels, culturels, sportifs, alimentaires, esthétiques, etc.).
Et même si elle détient de moins en moins fréquemment le monopole de l’éducation enfantine, la famille ne reste jamais inerte par rapport aux autres cadres socialisateurs potentiels : elle peut être plus ou moins contrôleuse en matière de « fréquentations » et de sorties (surveillant la composition du groupe des pairs fréquentables et limitant le temps passé hors de tout contrôle familial), exercer un rôle de filtre par rapport aux programmes télévisés et opérer plus généralement un contrôle sur l’enfant. Le poids de la famille est donc très important. Cependant, on constate de nos jours une défaillance des familles, donc une défaillance dans la socialisation primaire de l’individu. Il en résulte des individus « déviants » vis-à-vis de la société et donc plus tard de l’incivisme entre autres. La famille de nos jours est elle-même devenue une institution faible.
- Mais cette socialisation va se poursuivre au cours de la vie de l’individu, chaque fois qu’il sera en contact avec un « nouveau monde » (école, groupe de pairs, univers professionnels, institutions politiques, religieuses, culturelles, sportives, etc.) : c’est la socialisation dite « secondaire ». A ce niveau aussi, de nos jours toutes les conditions ne sont plus réunies pour réussir cette socialisation.
Lorsque des entités politiques, par exemple, en viennent à des affrontements pour des querelles de positionnement politique comme on l’a vu avec les municipales passées ( à l’intérieur de partis et entre partis), devons-nous être surpris de constater que les plus jeunes en fassent autant en séquestrant leurs enseignants par exemple ? Non ! C’est la pédagogie par l’exemple, mais le mauvais dans ce cas.
En réalité, nous sommes tous coupables en tant que parents, dirigeants, responsables administratifs, politiques, etc. et nous devons faire notre mea culpa. Ce n’est que de cette manière que nous allons accepter de nous remettre au travail afin de sauver les générations futures, de sauver la nation toute entière.
Cependant, en termes de coefficient de pondération, donc de poids en termes de responsabilité, j’attribuerai un poids plus important aux deux institutions aux extrémités de la chaine : la famille et l’Etat. En effet, si l’exemple est donné dans les familles et que les dirigeants sont des exemples de probité morale, forcément les autres suivront !

Dr Steve Léonce ZOUNGRANA
Médecin anthropologue
Doctorant en sociologie/anthropologie de la santé

N.B : le surtitre et le titre sont du site
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