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Filles mères: sur les traces d’un drame récurrent
Publié le vendredi 8 juillet 2016  |  FasoZine




Elles font partie de notre quotidien. Elles vivent dans nos familles. Elles sont nos camarades à l’université, nos voisines de quartier. Elles nous servent souvent une boisson dans un café-restaurant. Nous les croisons parfois errant dans la rue, bébé au dos dans l’attente d’un hypothétique bienfaiteur. Phénomène récurrent et même en plein développement au Burkina Faso et ailleurs, le boom des filles mères, résultant de l’explosion des grossesses non désirées et des refus de paternité, interpelle notre société.


Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), on dénombre chaque année 80 millions de grossesses non désirées, ce qui occasionnerait plus de 45 millions d’Interruptions volontaire de grossesse (IVG). Ces avortements, pour la plupart clandestins, causent le décès d’environ 70 000 jeunes filles dont 97% sont enregistrés dans les pays en développement comme le Burkina Faso. Cette situation fait dire aux experts en la matière que le phénomène constitue «un grave problème de santé publique».

Au Burkina, les chiffres de la direction régionale de l’Action sociale et de la solidarité nationale du Centre, pour la seule année de 2015, ne sont pas moins éloquents: 159 cas de recherches de paternité, 77 cas de paternités contestées. Pendant cette même année, les grossesses contestées sont estimées à 323 cas.

Le manque et/ou l’insuffisance d’information en matière sexuelle, la tromperie et la naïveté sont les principales causes du phénomène des filles-mères, sans oublier que le contexte socioculturel ne tolère pas qu’une fille puisse avoir un enfant hors mariage. Ce qui occasionne les rejets et l’exclusion de la cellule familiale. Les cas sont légion à Ouagadougou mais le sujet étant toujours tabou, il est difficile d’obtenir des témoignages de ces filles qui ont vécu ou vivent une telle situation.

Etudiante piégée

«Pas de photo, pas de mention de mon identité car je ne voudrais pas être indexée à l’université», exige A.S, rencontrée dans l’un des bureaux du Centre d’accueil et de réinsertion de la mère et de l’enfant de l’Association Kisito (Carmen Kisito). «A partir de cet instant, les choses ont vraiment beaucoup changé pour moi. Actuellement, j’ai plus perdu par rapport à ce que j’ai gagné. Etant étudiante, nombreux sont les gens qui vont penser que ce qui m’est arrivé est stupide et incompréhensible. Il y a beaucoup de choses que j’ignorais même dans cette vie et que j’ai comprises avec ma nouvelle situation», témoigne A.S., tête baissée.

Sa vie a failli basculer un soir de l’année 2013. La voix tremblotante, les mains moites, la jeune femme raconte ainsi sa mésaventure dans la pénombre de cette salle du siège de Carmen Kisito, sis au quartier 1 200 logements de Ouagadougou: «Mon histoire a commencé le jeudi 7 mars 2013. J’étais en répétition à la paroisse. L’ami que je fréquentais était étudiant dans un institut de la place. Il m’a appelé en disant qu’il voulait me voir. Et après la répétition, il est venu me chercher. Une fois chez lui, j’ai pris comme d’habitude son ordinateur pour écouter de la musique. Il est sorti et il est revenu quelques instants avec deux verres de lait. J’ai bu et je me suis endormi. Je me suis réveillé vers 2 heures du matin dans son lit toute nue. Il n’était pas là à mon réveil et j’ai dû appeler un de mes voisins afin qu’il vienne me chercher pour me ramener à la maison. Le lendemain, je l’ai appelé cherchant à savoir ce qui s’était passé et il n’arrivait pas à me donner de réponses concrètes. Alors je lui ai dit que je ne voulais plus le revoir et j’ai effacé ses numéros de mon téléphone.»

Quelques mois après, A.S se souvient avoir commencé à avoir des douleurs abdominales et des changements d’habitudes corporels. Le médecin qui lui a demandé de faire une échographie, diagnostique une dystrophie ovarienne. Après plusieurs jours de traitement, sa situation reste statique: elle n’a toujours pas ses menstrues et, en prime, le sommeil s’empare désormais d’elle après ses cours de la matinée à l’université. Un de ses amis lui recommande de faire une deuxième échographie et c’est là que toute stupéfaite, elle apprend qu’elle est enceinte et que le fœtus est de sexe féminin. Le fait déjà accompli, comment affronter maintenant la réaction de ses parents qui vivaient en Côte d’Ivoire?

«Le soir, j’ai informé mon grand frère qui, lui, a contacté les parents à Abidjan pour leur expliquer ce qui ce passait. Après cela, mon grand frère a pris le numéro de l’auteur de la grossesse pour l’informer. Il a essayé même de le rencontrer en vain», explique A.S avec amertume. Selon elle, toutes les tentatives pour entrer en contact avec le père de l’enfant sont restés vaines jusqu’à l’accouchement de sa fillette le 1er novembre 2013.

«Aux dernières nouvelles, j’ai appris qu’il est rentré chez lui, au Mali, comme si de rien n’était. Mon frère s’est débrouillé pour avoir les contacts de ses parents. Et ces derniers lui ont dit qu’ils étaient en campagne présidentielle et qu’ils allaient le rappeler. A ce jour, c’est silence radio», murmure A.S.

Ceci expliquant cela, la procédure judiciaire qu’elle avait engagée auprès du tribunal de grande instance de Ouagadougou est restée lettre morte car «son homme» ne s’est jamais présenté à la convocation du juge. L’étudiante qui ne voulait pas abandonner les études a dû trouver refuge à Carmen Kisito. Créé en 2005 par l’archidiocèse de Ouagadougou pour venir en aide aux filles en difficultés, ce centre a déjà reçu en son sein 206 filles dans cette situation: des étudiantes, des élèves, des filles de ménage sans aucune instruction, etc.

Délaissée par son amoureux

L’association «SOS Filles mères», reconnue officiellement en mars 2000, est aussi un espace d’accueil et de soutien à ces filles. En seize années de fonctionnement, selon sa présidente, elle est venue en aide à près d’un millier de filles mères. Dont E.B, qui vit dans un quartier périphérique à la sortie-est de Ouagadougou. Bébé «litigieux» au dos, le visage marqué par la souffrance, cette situation continue visiblement de lui transpercer le cœur. Habillée juste d’un pagne et d’un haut de fortune, elle débite à volume très bas l’histoire de sa vie sous le hangar d’un petit kiosque jouxtant une voie poussiéreuse.

Ses problèmes ont commencé naturellement lorsqu’elle a rencontré un prince charmant. Elle se souvient que c’était le grand amour. La suite de son histoire, c’est dans un mooré approximatif que la raconte la fille mère: «Entre temps, il m’a dit qu’on ne peut pas se suivre parce que je refuse de lui faire un enfant. Je suis tombée enceinte. Dès que l’enfant est venu, c’est là que le calvaire a commencé. Pour qu’il daigne me donner à manger, c’était toute une histoire.»

La jeune femme poursuit: «Avant que je ne tombe enceinte et n’accouche, je travaillais pour me prendre en charge. Avec ce que je gagnais, j’arrivais à payer mon loyer de 15 000 F CFA et honorer mes factures d’eau et d’électricité. Mais comme j’ai maintenant un enfant, je n’arrive plus à travailler comme avant. Le bailleur m’a mise dehors pour non-paiement de loyer. Raison pour laquelle je suis venue demander l’aide de l’association. Sinon, le type, il peut me donner 2 000 F CFA et disparaître, pour réapparaître deux semaines après. Avec tout cela, j’ai préféré mettre fin à notre relation.»

Son récit est entrecoupé de silences comme pour se remémorer. Elle continue après un grand soupir, pour révéler que malgré tout son amant n’a pas disparu. Un jour, il décide de renouer avec elle. Et E.B tombe à nouveau dans son piège: «Ce jour-là, je l’ai amené discuter et c’est là qu’on a couché ensemble. Un mois plus tard, j’étais malade. Je l’ai informé, mais il n’est pas venu me voir. C’est au centre médical qu’on m’a appris que j’étais à nouveau enceinte. Je l’ai appelé pour me plaindre du fait qu’il n’ait pas répondu à mon appel, puis j’ai saisi cette occasion pour lui annoncer que j’étais enceinte de lui.»

Le monsieur ne l’entendait pas du tout de cette oreille! «Furieux, il m’a dit qu’il n’était pas l’auteur de cette grossesse, arguant du fait que j’avais refusé qu’il me touche après l’accouchement du premier enfant. Pour lui, la seule fois qu’on a couché à nouveau ensemble ne peut pas conduire à une grossesse. Selon sa théorie, un seul rapport, même sans protection, ne peut pas aboutir à une grossesse. Par conséquent, il a refusé de reconnaître l’enfant». Le visage sombre et les yeux baissés, plus préoccupée à regarder son enfant en pleine séance tétée, E.B jure n’avoir connu aucun autre homme que le père de ses enfants.

«Mais qu’est-ce qu’il a bien pu te promettre pour que tu acceptes une fois de plus d’aller avec lui?», la question Viviane Bakyono, la responsable de l’association. «Le jour où on a couché ensemble, il a promis de me présenter à sa famille en vue de la tenue de nos fiançailles futures. Et comme moi je voulais le foyer, j’ai accepté», répond E.B., dépitée. Justifiant cette situation par la naïveté de sa protégée, Dame Bakyono avance que la seule solution envisagée est la saisine des services de l’Action sociale en vue d’une confrontation avec l’homme dont il est question. Cet entretien peut aboutir ou pas…

La note des centres d’accueil

Il existe au Burkina plusieurs foyers et associations venant en aide aux filles mères et en situation difficile. Les services de l’Action sociale et de la solidarité nationale interviennent en amont comme en aval, en fonction de la situation. Ne disposant pas de local d’hébergement ni de prise en charge de grande capacité, ils sont obligés de référer certaines filles à des centres privés agréés. Chaque foyer, en fonction de ses moyens essaie alors de donner une seconde vie à ces filles en difficulté. Leur mission est d’amener la jeune fille à regagner confiance en elle-même, éviter l’abandon scolaire et l’aider à réintégrer la cellule familiale, et chercher à prouver la responsabilité des «pères» afin d’obtenir d’eux le versement d’une pension alimentaire dans la mesure du possible.

Le gros problème est que ces centres privés manquent réellement de moyens financiers pour la prise en charge des filles et de leurs enfants, et surtout dans les processus de réintégration. Et pour mieux mener leurs activités entrant dans ce cadre, les responsables sollicitent l’accompagnement de l’Etat et des structures exerçant dans ledit domaine. Pour venir à bout de ce phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur, diverses solutions sont préconisées par ceux et celles qui mènent le combat.

Pour Sœur Delphine Nébié, responsable de Carmen Kisito, «il faut, entre autres, sensibiliser les parents pour qu’ils se préoccupent davantage de l’éducation de leurs enfants. Il y a des parents qui démissionnent et qui laissent les enfants faire ce qu’ils veulent. Tant qu’on ne réglera pas ce problème, il y aura toujours ces cas de grossesses et d’inconduites des filles».

Quant à Viviane Bakyono de l’Association SOS Filles mères, «il y a urgence et il est même temps que l’éducation sexuelle revienne dans les salles de classes».

Dimitri Kaboré
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