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Victoria Monchuk, économiste principal à la Banque mondiale en charge de la protection sociale : "Les transferts monétaires ont un impact important sur la réduction de la pauvreté chronique"
Publié le lundi 20 juin 2016  |  Sidwaya




Ouagadougou abrite dès ce lundi 21 juin un atelier international sur les filets sociaux. Placée sous le thème "Vers un système coordonné de filets sociaux adaptatifs au Burkina Faso", la rencontre tentera d'asseoir une base d'informations et d'expériences à partir de laquelle les programmes de filets sociaux pourront être élaborés. Mme Victoria Monchuk est économiste principale au sein du groupe de la Banque mondiale qui organise ces assises au cours desquelles le Bénin, le Congo et le Niger exposeront leurs expériences en matière de filets sociaux. Chargée de la protection sociale, elle répond aux questions de Sidwaya. Entretien

Sidwaya: La Banque mondiale et le ministère de la Femme, de la Solidarité nationale et de la Famille organisent, du 21 au 23 juin prochain, un atelier international sur les filets sociaux. Qu'attend concrètement votre institution du développement de ces assises?


Victoria Monchuk (V. M.) : L’atelier entend renforcer les compétences et échanger avec l’ensemble des acteurs nationaux et internationaux sur les filets sociaux adaptatifs au Burkina Faso. L’atelier va se dérouler sur 3 jours. L’objectif de la première journée est de sensibiliser les participants à une vue d'ensemble de la pauvreté et des filets sociaux au Burkina Faso et de faire un plaidoyer sur la nécessité d’investir dans les filets sociaux. Il s’agira donc de sensibiliser et d’informer les participants de l’importance d’utiliser cet instrument efficace de réduction de la pauvreté. La deuxième et la troisième journée sont dédiées aux échanges techniques et au partage des expériences sur les composantes de mise en œuvre des systèmes de protection sociale adaptive.
Nous attendons environ 70 personnes la première journée et environ 40 personnes pendant la deuxième et la troisième journée qui sont plus techniques.

S. : Qu'est-ce qui, selon vous, justifie la pertinence d'une telle problématique au cœur du présent atelier alors que la croissance africaine (autour de 3 % en 2016 pour la zone subsaharienne selon les dernières projections du FMI) doit globalement faire face à des vents contraires dans bon nombre de pays?

V.M. : De nos jours et en raison de la conjoncture socioéconomique internationale, il importe que les gouvernements accordent plus d’attention à l’inclusion de tous les citoyens dans le processus de développement des pays. C’est pour cela que nous souhaitons partager l’idée d’une croissance au service du développement du capital humain, et non uniquement une croissance focalisée sur la capacité à produire pour accroître les ressources. En somme, il s’agit de voir comment les retombées de cette croissance peuvent servir au développement global du capital humain, ce qui sera un gage pour pérenniser la capacité de croissance du pays.

S. : Pour quelles raisons stratégiques et opérationnelles, la Banque mondiale décide-t-elle d'allouer de plus en plus de ressources pour financer des programmes des filets sociaux, ce qui n'était pas le cas il y a quelques années?

V. M. : L’expérience dans beaucoup de pays a montré que les filets sociaux, notamment les programmes de transferts monétaires, ont un impact important sur la réduction de la pauvreté et la vulnérabilité des populations. La preuve de leur efficacité est déjà donnée par des programmes similaires dans le monde . Par exemple, le programme d’aide aux enfants de l’Afrique du Sud a diminué la pauvreté infantile de 7%, pendant que chaque dollar perçu par ménage avec orphelins a généré 1,62 dollar au Kenya et 1,36 au Lesotho; le programme brésilien de transferts monétaires Bolsa Familia est crédité pour presque un quart de la remarquable baisse de l’inégalité économique entre 1995 et 2004.

S. : Au Burkina, entre 2005 et 2009, les dépenses affectées aux filets sociaux n'atteignaient pas 0, 6 % du PIB. Dans le même temps, l’approche utilisée rencontre pas mal de difficultés comme la définition des cibles prioritaires, la mise en place d'outils adéquats de suivi et d'évaluation, etc. Quel commentaire vous est-il possible de faire sur une telle situation?

V. M. : Jusqu’à récemment, les filets sociaux au Burkina Faso étaient distribués presqu’ exclusivement dans le cadre de l’aide d’urgence, sans planification préalable (puisqu’on est généralement surpris par les catastrophes !) et de manière peu coordonnée. L’utilisation de transferts directs ciblés aux couches les pauvres pour les aider à devenir plus résilientes a été très limitée et envisagée souvent au cas par cas. Ces dernières années, avec l’appui de ses partenaires au développement, le gouvernement s’est engagé dans un processus continu de rationalisation et de modernisation des filets sociaux non contributifs. Les simulations réalisées au cours d’une évaluation des filets sociaux en 2011 montraient que si 1, 4 à 1,6 % du PIB avait été consacré aux transferts monétaires en 2007-2008, on aurait diminué de manière drastique la pauvreté chronique. De même, les analyses conduites dans le cadre de la préparation du projet de filets
sociaux « Burkina Naong Sa-Ya », financé par la Banque mondiale , ont démontré que le programme de transferts monétaires efficace pourrait couvrir la totalité du territoire national pour un coût ne dépassant pas 1% du PIB. Ceci permettrait d’atteindre environ 300 000 ménages pauvres (environ 2,4 millions de personnes, ce qui équivaudrait à la moitié de la population pauvre chronique) ; un tel investissement serait en mesure de réduire l'écart de pauvreté à 17 % et le taux de pauvreté à 21 %. Vous conviendrez que c’est une réflexion qui vaut la peine d’être approfondie.

S. : Les expériences du Burkina, du Congo, du Bénin et du Niger alimenteront les débats entre les participants. Quelles sont les ressemblances et les dissemblances les plus notables que vous auriez pu relever dans la mise en œuvre des filets dans ces pays sus-cités?

V. M. : Les pays invités sont déjà passés par le même processus et envisagent un passage à échelle dans un avenir plus ou moins proche selon les moyens mobilisés. Le Burkina Faso est gagnant car le pays va profiter des expériences des différents acteurs ! C’est à partir de ces expériences et expertises qu’un système coordonné de filets sociaux pourra se construire.


S. : Le Burkina exécute en ce moment un projet filets sociaux dénommé "Burkina Naong Sa-Ya », financé par la Banque mondiale à hauteur de 25 milliards de FCFA ; ce projet est censé atteindre plus de 40 000 ménages pauvres, choisis selon des critères précis. Quel bilan vous est-il possible de dresser sur l'état de sa mise en œuvre?

V. M. : Actuellement, le projet a ciblé et enregistré environ 15 000 ménages pauvres dans la région du Nord – la région la plus pauvre du pays (selon EICVM 2005). Les ménages ont bénéficié des transferts monétaires trimestriels depuis septembre 2015. En juillet 2016, ces ménages seront également accompagnés à travers des séances de sensibilisation et de promotion sociale pour renforcer les pratiques familiales liées à la nutrition et au développement de la petite enfance.
Le projet est également en train de commencer la deuxième vague de transferts monétaires à environ 27 000 ménages dans l’Est et le Centre-Est. Pendant les deux premières années du projet, l’équipe a aussi mis en place les outils nécessaires pour effectivement gérer des programmes de filets sociaux : il s’agit du Système informatique de gestion (SIG), un mécanisme de ciblage et un système de paiements réguliers. C’était un défi pour le gouvernement – mais les efforts commencent à produire des résultats !


Entretien réalisé par Saturnin N. Coulibaly
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