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Art et Culture

Scarification en pays peulh : dans le secret du "pésocka"
Publié le vendredi 3 juin 2016  |  Sidwaya




Anciennes marques faciales et signes culturels distinctifs, le « pésocka » ou la scarification est aussi un effet de mode en pays peulh dans le Sahel burkinabè. Ingénieusement appliquées sur le visage, une diversité de modèles nait des visages des « amateurs » de la scarification.

Le Yagha, le Djiagour et le Liptako, ou «libataako » qui veut dire celui que l’on ne peut pas terrasser en fulfuldé, sont trois cantons Peulh dans le sahel burkinabè. Ces derniers forment une communauté importante parmi les Mossi, Fulsé, Touharegs, Malabé, Sonraï, Gourmantché et Bella, autres ethnies présents dans cette partie du « pays des Hommes intègres ». Autochtones de la région, les Peulh ont subi tour à tour la domination des Dogon, des Fulsé et des Gourmantché avant de prendre leur indépendance en 1810. Ethnie dominante du Sahel, les Peulh sont reconnus par la langue fulfuldé, mais surtout par le trait physique et autres coiffures féminines le «djoubourou », le « bidjadji » ou le « arden n’guesse ». Au-delà de cette identification physique et de reconnaissance sociale, les Peulhs s’identifient et se reconnaissent aussi par un signe distinctif perceptible uniquement sur les visages. Il se matérialise par des incisions faites à l’aide du « pémborki », ou couteau en fulfuldé. Cette cicatrisation répondait à des normes familiales, ethniques et culturelles. « La scarification est un signe d’identification et d’appartenance à une famille, à un clan. Elle trouve ses origines dans le temps et était utilisée pour lutter contre les razzias d’esclaves et les vols d’enfants », explique Hanafi Amirou Dicko, le président des éleveurs traditionnels du Sahel, animateur du monde rural et historien du Liptako. Il poursuit en ajoutant qu’à une époque lointaine, en pays peulh, la grand-mère ou la tante avait l’honneur de procéder à la scarification du bébé. A son tour, le bébé recevait soit un mouton, une chèvre ou une couverture en guise de cadeau. Et pour la cicatrisation de ces plaies en pays peulh, « on utilise un mélange de la suie du dos de la marmite et du beurre de vache que l’on applique sur les plaies », confie M. Dicko. « Au bout d’une semaine, la cicatrisation est effective », dit-il. Sur les visages de la plupart des femmes et de certains hommes, un constat se dégage : une multitude de mode et de style de scarification. Chez les hommes, au-delà du turban, un seul trait sur la joue et souvent, deux traits verticaux en parallèles sur la tempe sont visibles. Chez les femmes par contre, ces incisions assez nombreuses et de dispositions différentes, ont une allure de maquillage. Trois petits traits aux coins de la bouche, trois traits parallèles de petite taille à la verticale sur le front, le menton et sur les deux joues sont perceptibles sur le visage de certaines femmes et d’autres jeunes filles. «A mon adolescence, je me suis faite cette cicatrisation en une journée au coût de 1 000 F CFA pour me faire belle et être comme les autres», avoue Aminata Bokoum, ménagère de 40 ans, résidant à M’ Bam’ga, dont les cicatrices sur le visage sont un mélange de «gangnalé », de « mouiporté» et de « wodel ».

De nombreuses vertus

Comme Aminata, nombreuse sont celles qui vont se scarifier suivant leur goût. « Je me suis faite ce mélange de wodel et de mouiporté, lorsque j’avais 15 ans, grâce à une amie. J’ai d’abord fait les dessins sur mon visage avec un crayon avant de la rejoindre pour l’incision », témoigne, Aïssatou Diallo, ménagère au village de Lerbou. Dicko révèle, ainsi, que l’on distingue trois catégories de cicatrisations chez les Peulh. Le « lassigue-tèlguè », matérialisé par une cicatrisation sur la tempe en un ou deux traits verticaux en parallèle pratiquée par les deux genres, hommes et femmes. Ensuite, il y a le «mouiporté ». Une incision finement appliquée en trois traits sur les coins de la bouche. Ce modèle a des ressemblances avec le «wodel», qui relève de l’esthétique chez les Peulh de Béguentigui. De même aspect que le « mouiporté », le « wodel » se matérialise par trois traits fins, sur le front, le menton et souvent sur les joues. Enfin, le « gangnalé », une cicatrisation faite en un seul trait sur l’une des joues. C’est le plus populaire des cicatrices que l’on retrouve un peu partout dans la région du Sahel, selon Hanafi Dicko. Cependant, aussi populaire soit-il, le « gangnalé » se distingue d’un canton à un autre. Celui des Peulh du Djiagour est marqué par une incision de petite taille finement appliquée entre le nez et la paupière inférieure. Cette marque de cicatrisation ethnique se constate aussi chez les gourmantché. Au Liptako, « le gangnalé » est de taille moyenne avec un aspect fin. Il est perceptible chez les Peulh de «derrière la colline », M’Bam’Ga, un village situé à une quinzaine de kilomètres au Sud de Dori. « Le gangnalé est appliqué sur la joue droite des membres de la famille royale à M’Bam’Ga », affirme Amadou Abdoulaye Dicko le «rouga», chef éleveurs. Enfin, pour le Peulh du Yagha le « gangnalé », a l’allure d’une blessure. Il est d’une taille imposante. On le constate chez les Rimaïbé vivant à Béguentigui, « le village de l’abondance » en gourmatchéma, localité située à 7 kilomètres au Nord-Ouest de la ville de Dori. « Le bébé rimaïbé subit la cicatrisation dès le septième jour », indique Ama Amadou Dicko, un des 44 chefs de famille que comptent, le village de Béguentigui.
La scarification peulh a aussi une signification thérapeutique semblable à d’autres ethnies du Burkina Faso et des contrées africaines. Elles ont une valeur de protection pour l’individu qui les porte. Aussi, ces scarifications sont appliquées sur certaines parties précises du corps humain. Autour du nombril, sur les poignets, et sur les seins on voit à de petites incisions. En effet, ce même genre de cicatrisation est aussi remarqué chez les Mossi au Burkina Faso et chez le peuple Haoussa que l’on retrouve au Benin, au Niger et au Nigeria. C’est le cas aussi de la cicatrisation du signe (+) de l’addition sur l’une des joues. Cette incision du signe de l’addition est constatée chez les Peulh Sonraï, chez les Mossi. Elle est aussi portée par des Peulh du Niger et de la sous-région. En outre, dans le Sahel, il y a une cicatrisation à signification sociale. Elle est matérialisée par une incision proéminente sur la tempe. Celle-ci est révélatrice de l’individu. « Une cicatrisation sur la tempe informe que l’intéressé porte le nom de mossi qui signifie un enfant revenant », souligne, l’historien du Liptako.

La tradition peut-elle se perpétuer ?

De nos jours, les visages sont de moins en moins cicatrisés dans le Liptako et dans le Sahel. Selon, l’animateur du monde rural, ce constat est une suite logique selon laquelle, les causes qui ont prévalu à sa création n’existent plus. Il y a aussi l’apport indéniable de la religion et de l’avancée du modernisme sont, entre autres, des facteurs qui influent sur cette pratique, ajoute-t-il. « Je suis un jeune de 30 ans, je ne porte pas de cicatrices et cela ne me dérange pas. Je me reconnais peulh et je ne pense pas qu’il me soit nécessaire de me faire une cicatrice, pendant que mes parents me l’ont pas fait », affirme Amidou Dicko.

Aussi, la jeune génération et des personnes âgées à l’image de Dicko Amadou Abdoulaye, sexagénaire de M’Bam’Ga, dénoncent, de nos jours, la pratique de la scarification raciale. « Je préfère que l’on arrête cette pratique, car ce sont des blessures que l’on fait sur les visages et mieux encore notre monde actuelle n’a plu besoin de ça pour s’identifier parce que nous avons des cartes d’identités », confie, Amadou Abdoulaye. Mme Dicko du même village tout en soulignant le fait que son application ne requiert le plus souvent le consentement de la personne scarifiée, admet que pour se faire belle maintenant, la fille ou la femme peulh on n’a plus besoins de se faire mal en se blessant sur le visage. Car, «les tatouages qui sont de simple application de surface pourraient jouer le jeu et leur avantage est qu’on peut, à souhait, changer de modèles comme la coiffure ».
Reconnaissant ces faits, l’historien du Liptako, souligne la mise en écart «injuste » dans la foulée de certaines pratiques culturelles peulh. Il s’agit entre autre, selon lui, de l’initiation des jeunes garçons suivant le rituel de la circoncision. Ainsi, « par promotion, appelée waldé en fulfuldé, les enfants peulh sont à l’épreuve de l’initiation. Amenés hors des parents de la ville, ce groupe d’enfants reçoit durant 2 à 3 mois une formation pour toute la vie, suivant le rituel de la circoncision, des règles de vie communautaire et de la culture peulh », défend Hanafi. C’était une valeur qui faisait la force de toute une communauté, le levier du pacte social traditionnel africain, conclut-il.
Toutefois, même si la pratique de tatouage semble être une orientation qui prend à contre-pied la scarification raciale de nos jours, le « pésocka », jouit d’une survie sujette à un effet de mode et d’esthétisme chez la plupart des Peulh. En effet, la scarification raciale peulh est aussi un grain de beauté dont l’application et le style répondent d’une volonté personnelle à l’image du port des perles et des pièces d’argent, atouts de beauté et de charme sur les coiffures traditionnelles peulh toujours d’actualité.

Rémi ZOERINGRE
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