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Personnel des ex-garderies populaires : trois décennies de travail au noir
Publié le mercredi 1 juin 2016  |  Sidwaya




Le personnel des ex-garderies populaires, recruté à partir de 1985, n’a ni statut, ni plan de carrière. Depuis leur prise de service, ces agents n’ont pas d’avancement et ne disposent pas non plus de bulletin de paie. N’ayant pas été déclarés à la caisse, abandonnés à eux-mêmes, ils ne savent plus à quel saint se vouer. Les multiples démarches entreprises çà et là pour la reconstitution de leurs carrières, n’ont pas abouti. Chronique d’une carrière bafouillée.

Le 5 mars 2016 mourait Monique Nonguerma, une monitrice du Centre d’éveil et d’éducation préscolaire (CEEP) de l’ex-secteur n°17, actuellement secteur n°26 (Pissy) à son domicile à l’âge de 46 ans. Elle a commencé à travailler depuis le 1er octobre 1990 à la garderie populaire de Pissy. Mais avant de rendre son dernier souffle, elle a laissé entendre à ceux qui étaient à son chevet qu’elle voulait rentrer en possession de son argent pour se soigner. Pendant plusieurs années, Mme Nonguerma et ses collègues se sont battus pour que l’Etat régularise leur situation afin qu’elles puissent bénéficier de la pension de retraite. Peine perdue ! Cette révélation de Mme Séraphine Sourwema, camarade de lutte de la regrettée, dépeint la misère dans laquelle vit le personnel des ex-garderies populaires. Au nombre de 548, ces agents qui travaillent aujourd’hui dans les CEEP ne savent plus à quel saint se vouer. Concernant leur mode de recrutement, les versions sont divergentes. Certains ont été recrutés à l’issue d’un test avec le niveau de la classe de 4e. D’autres par contre ont été désignés par les comités de gestion. Mais pour le chargé de mission du ministère en charge de la solidarité nationale, Joanis Kaboré, ce personnel a été recruté sous la révolution sur la base du volontariat. Le flou demeure toujours quant à leur mode de recrutement, ce qui expliquerait le sort qui leur est actuellement réservé. Constitués majoritairement de femmes, ces agents sont payés en monnaie de singe après avoir accompli, pour la plupart d’entre eux, 31 ans de service révolu. Ils ne sont rattachés à aucune structure. Ils n’ont jamais connu de bulletin de paie. En effet, dans la plupart des centres d’éducation, les agents touchent leurs salaires au niveau du service. Comme si cela ne suffisait pas, ils sont méconnus des organismes de sécurité sociale, donc sans garantie de retraite. Face à cette «injustice» ils entreprennent de multiples démarches auprès de l’administration burkinabè pour la reconstitution de leurs carrières, sans succès. Depuis 20 ans, le dossier avance à pas de caméléon. La situation de ces agents, privés de statut professionnel et de traitement adéquat depuis 1985, ne laisse pas indifférents les responsables syndicaux. Le Secrétaire général (SG) du Syndicat national des travailleurs de l’action sociale (SYNTAS), Logobana Juste Koumara, pense qu’il faut revoir la situation du personnel des ex-garderies populaires qui vit dans des ‘’conditions exécrables’’. «Ils ne connaissent pas la couleur de l'argent du trésor public, parce qu’ils sont payés par le comité de gestion des CEEP», dit-il. Leurs salaires disparates sont sensiblement supérieur ou égal au SMIG et varient selon la santé financière de chaque structure. Mariam Ouédraogo indique qu’elle percevait 47500 F CFA, aujourd’hui, elle gagne 52 500 F CFA. Avec un tel traitement, beaucoup ont ‘’plié bagage’’, surtout les hommes, pour aller chercher mieux ailleurs. « Les moniteurs ont déserté leurs postes. Certaines travailleuses des ex-garderies n’ont pas pu scolariser leurs enfants, par manque de ressources financières », avoue M. Koumara. Puis d’ajouter qu’avec le transfert de ces ex-garderies aux collectivités, la situation du personnel s’est détériorée davantage. Mariam Ouédraogo, 31 ans de service dans la CEEP de Tampouy, trime pour joindre les deux bouts.

Des mamies employées dans le ‘’noir’’

Mère de 7 enfants, sa condition s’est aggravée avec le décès de son mari, en 2002. « J’ai souffert avec mes 7 enfants. Il fallait les nourrir, les habiller et les inscrire à l’école avec des perdiems que je percevais. Pour faire face à la scolarité des enfants, je prenais un prêt à la garderie. Mais de nos jours, il n’est plus possible d’avoir un prêt », déplore-t-elle. En dépit de leur âge relativement avancé, ces dames sont toujours actives. Juste avoir de quoi survivre parce qu’elles disent n’avoir pas de choix. Sophie Conombo, également monitrice est, tout comme Mme Ouédraogo, à sa 31e année de service. La soixantaine révolue, elle se garde d’aller à la retraite et continue d’exercer son activité. « J’ai dépassé l’âge de la retraite. Mais, je suis toujours au four et au moulin », s’exprime Sophie Conombo. La raison est toute simple. Pour n’avoir pas cotisé durant sa carrière, elle se retrouvera sans pension de retraite. Mariam Ouédraogo se veut claire : «Les caisses d’épargne sont vides. Rien ne peut vraiment, nous motiver à partir à la retraite, surtout quand tu te rends compte que tu iras les mains vides ». Elle et ses consœurs nourrissent le même espoir de voir leur situation se régulariser afin qu’elles aient des vieux jours paisibles. Bintou Ouédraogo est de celles-là. En 2007, elle a jeté l’éponge à 57 ans, sans aucune mesure d’accompagnement. La misère, à l’en croire est son vécu quotidien. En cas de maladie, c’est la croix et la bannière pour ces agents des ex-garderies populaires de se prendre en charge. Bintou Ouédraogo, diabétique et souffrant également de tension, a été une fois hospitalisée à l’hôpital. N’eut été le soutien de ses proches, elle aurait passé de vie à trépas. « Pendant mon séjour à l’hôpital, c’est ma famille et mon mari qui me sont venus en aide pour l’achat de mes produits. N’eut été leur accompagnement et l’aide de Dieu, je serai déjà sous terre », se désole-t-elle. Les pionnières de l’éducation des bambins sont laissées à elles-mêmes. Elles se battent comme elles peuvent pour améliorer leurs conditions de vie. Selon le responsable syndical, Juste Koumara, ce personnel se retrouve dans une situation « d’esclavagisme ». « Voilà des gens qui ont travaillé, qui ont rendu service à ce pays. Aujourd’hui, cela fait 31 ans qu’ils ont mis leurs énergies au servir de la Nation. Jusque-là, aucune reconnaissance administrative envers eux. Ils sont sans statut, en réalité ils sont méconnus », confie-t-il. Sophie Conombo d’enfoncer le clou. « Personnellement, je me demande qui nous gère ? Tantôt c’est la commune, tantôt c’est l’Action sociale ». Les témoignages de certaines femmes font froid dans le dos. En réalité, ce personnel n’a pas d’interlocuteur auprès de l’administration burkinabè quoique travaillant dans des structures publiques. Voilà pourquoi certains disent travailler au « noir». « Un jour, je devais aller en France et il fallait que mon employeur signe un papier. J’ai fait le tour de Ouagadougou et personne ne pouvait signer mon autorisation de sortie. Avant le transfert, c’est la mairie de Baskuy qui gérait notre garderie et je suis allée voir le maire en 2004 pour qu’il signe mon autorisation. Je n’ai pas eu gain de cause.
Mais avant cela, j’ai vu notre directrice qui a refusé de signer soi-disant qu’administrativement on n’est pas connu », affirme Mme Sourwema, l’air triste. Mais certains ont trouvé d’autres « parades» afin de profiter des opportunités qui se présentent à eux. C’est le cas de Sophie Conombo. « Moi j’étais obligée de changer ma fonction sur ma pièce pour vaquer à d’autres occupations qui puissent me procurer de l’argent. Car, nous sommes méconnues de l’administration burkinabè. C’est pourquoi, j’ai toujours affirmé que nous travaillons au noir», déclare-t-elle.

Des décennies de combat

Depuis 20 ans, le dossier de la reconstitution des carrières du personnel des ex-garderies n’a pas connu d’avancée significative. « Nous avons commencé la lutte à partir de l’inspection du travail puis au Médiateur du Faso. Nous n’avons pas eu gain de cause», avance Mme Conombo. Selon le responsable du SYNTAS, Juste Koumara, la revendication que le syndicat pose aujourd’hui est la suite logique du combat que ces agents mènent depuis belle lurette. « Nous sommes en train de revenir sur le reste des aspects du texte qui n’avait pas été appliqué. Aujourd’hui, ils continuent toujours de demander la reconstitution de leurs carrières afin que certains d’entre eux qui n’ont pas l’âge d’aller à la retraite continuent de travailler ». Mais lasse d’attendre et de lutter sans succès Perpetue Kéré, une autre monitrice crie son ras-le-bol. « Nous n’avons plus envie d’aller travailler. Nous sommes fatiguées et complètement malades ». En effet, les initiatives pour rentrer dans leurs droits n’ont pas manqué. Pour sortir de l’ornière, elles ont frappé à toutes les portes. Une correspondance a été adressée au Médiateur du Faso, à la date du 18 mars 1999. Après examen du dossier, des recommandations ont été faites à l’ex-ministère en charge de l’action sociale. L’une des solutions proposée était qu’au plus tard fin 2013, la carrière de ce personnel soit reconstituée. Mme Kéré s’indigne que jusqu’à présent, le gouvernement n’ait pas réagi. La régularisation de la situation des monitrices est une préoccupation régulièrement inscrite dans la plateforme revendicative du SYNTAS.
En 2003 déjà, le syndicat avait conduit une grève les 19, 20 et 21 novembre autour de la question et d'autres sujets tels que les indemnités et la gestion des livrets pédagogiques du préscolaire. « Actuellement, j’ai perdu espoir et je n’attends plus rien, puisque toutes les luttes pour la régularisation de notre situation semblent vaines jusqu’à présent », désespère Bintou Ouédraogo.


Wamini Micheline OUEDRAOGO

Vers le bout du tunnel ?

La reconstitution des carrières des agents des ex-garderies populaires est en voie d’être une réalité. « Pour avoir suivi le dossier personnellement depuis le 30 mai 2011, c’est la première fois que le dossier a pris un envol décisif en mon sens. Le ministre en charge de la solidarité nationale est en train de prendre des dispositions pour accélérer au maximum ce dossier », a affirmé le chargé de mission du ministère en charge de la solidarité nationale, Joanis Kaboré. En effet, selon lui, des échanges en vue de solutionner le problème de ce personnel ont eu lieu au secrétariat général du ministère en charge de la solidarité. «Ces échanges complémentaires que nous avons eus avec le secrétaire général ont concerné les simulations pour les prises en charge du personnel des ex-garderies populaires. Avant le vendredi 15 avril 2016, date à laquelle le ministre en charge de la solidarité a reçu la délégation du personnel des ex-garderies populaires, elle nous avait instruit de reconstituer les carrières de ce personnel », précise-t-il. M. Kaboré espère que la nouvelle ministre en charge de la solidarité nationale va réagir afin d’accélérer le dossier de la reconstitution des carrières de ce personnel. Il a, de ce fait, indiqué que depuis quelques semaines, une équipe travaille sur le dossier pour faire les estimations du montant financier qui va être demandé au gouvernement pour ces 548 agents. Le chargé de mission du ministère en charge de la solidarité nationale a fait savoir que les conclusions du comité interministériel qui a travaillé sur le dossier du personnel, disaient, entre autres, de procéder à la reconstitution des carrières du personnel par une prise d’acte d’engagement, classification catégorielle, prise en COMPTE DE l’évolution dans le temps par rapport au niveau des salaires, la détermination des salaires, le calcul du différentiel de salaire, le calcul des primes d’ancienneté, l’avancement, l’apurement de la dette sociale, le paiement des rappels de salaires et accessoires de salaire. Ces mesures mises en ensemble, selon lui, ont débouché à une évaluation financière. De l’avis de Joanis Kaboré, le dossier est en très bonne voie. Il souligne qu’à la rencontre entre le ministre en charge de la solidarité nationale et la délégation du personnel, celle-ci a pris l’engagement solennel devant eux de suivre spécifiquement ce dossier. En outre, elle a promis à la délégation de garder le contact avec elle. « Si nous avons la chance que le dossier voie le jour tel que nous l’avons expliqué, ces agents seront rétablis dans leurs droits», espère Joanis Kaboré.


W.M.O
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