Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Femmes    Pratiques    Le Burkina Faso    Publicité
aOuaga.com NEWS
Comment

Accueil
News
Société
Article
Société

Audit de la transition et enquête parcelles SONATUR : l’ASCE-LC parle de “manque d’éthique et de transparence”
Publié le lundi 25 avril 2016  |  L`Observateur Paalga
La
© Autre presse par DR
La Société Nationale d’Aménagement des Terrains Urbains (SONATUR)




L’audit de la Transition, d’abord annoncé pour « fin février-début mars », a finalement été rendu public ce vendredi 22 avril 2016 par l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de Lutte contre la corruption (ASCE-LC), qui a organisé pour l’occasion une conférence de presse dans ses locaux de Zaabr-Daaga (Ouagadougou). Le gendarme de l’Etat en a également profité pour publier les conclusions de ses investigations concernant les ventes présumées fraudeuses de parcelles à Ouaga 2000. Malgré « des efforts », de nombreuses irrégularités sont pointées du doigt dans le premier document, tandis que six allégations sur sept ont été confirmées par le second, contribuant un peu plus à resserrer l’étau autour de l’ex-Premier ministre, Yacouba Isaac Zida.



Deux fois plus nombreux que prévu, les hommes de média n’en finissent pas d’affluer dans une salle de réunion du premier étage déjà exiguë, contraignant les organisateurs à installer de nouvelles rangées de chaises tout autour de la grande table en bois. Une fois assis, il n’est plus facile de se déplacer, mais chacun essaie tant bien que mal de positionner, qui son micro, qui sa caméra. Tout est en place. Les journalistes n’ont même pas le temps de spéculer sur l’objet de la conférence que déjà l’impassible Luc Marius Ibriga met fin au suspense en débarquant avec deux dossiers sous le bras : le premier est intitulé « Rapport de synthèse de l’audit/investigations de la Transition », le second, «Résultats des investigations relatives aux allégations sur des ventes de parcelles par la SONATUR ».

Le plan est donné. Rapidement, les lumières s’éteignent et le Secrétaire général (SG) de l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE-LC) lance sa présentation Powerpoint. Une à une, Jean-Pierre Siribié développe les principales conclusions auxquelles lui et son équipe (voir encadré) sont parvenus dans les quatre domaines de la gestion de la Transition audités :

- Premièrement, sur les 1 238 commandes publiques passées au cours de l’année 2015, 348 ont fait l’objet d’une procédure exceptionnelle, c’est-à-dire d’une entente directe de gré à gré ou d’appel d’offres restreint. En termes de montant, cela représente plus de 63 milliards de FCFA, soit plus de la moitié du budget total des achats effectués par le service public, bien au-delà du seuil maximum de 15% fixé par l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Concernant les passations de marchés publics, près d’une sur deux n’a pas respecté les principes de mise en concurrence, n’a pas fait l’objet de lettre d’autorisation de la part du ministère de l’Economie et des Finances, ou bien ne comportait pas le visa réglementaire de la Direction générale du contrôle des marchés et des engagements financiers (DG-CMEF). « C’est sûrement l’urgence dans laquelle a voulu agir la Transition pour combler les fortes attentes au niveau social qui a conduit à ce recours massif aux procédures de gré à gré », explique M. Siribié.

- Deuxièmement, le contrôle des comptes de dépôt a montré que plus de 5 milliards de FCFA (sur 192) constituent des dépenses irrégulières, dont près de 10% ont même été jugées inéligibles. Le Premier ministère et le ministère de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Sécurité (MATDS) se disputent la première place en la matière, avec respectivement 1,7 milliard et 2,5 milliards d’opérations sous-tendues par des pièces justificatives irrégulières ou inexistantes, et il faut ajouter à cela 436 millions de dépenses inéligibles pour le second. Au total, 1 240 comptes de dépôt ont été identifiés. « L’utilisation de ces comptes dans l’exécution des dépenses a tendance à se substituer à la procédure normale », note le document.

- Troisièmement, 485 millions de FCFA sur 14 milliards de dépenses effectuées sur le compte de régies d’avance sont irrégulières - parmi lesquelles 31 millions de dépenses inéligibles, mais surtout 161 millions de dépassement des seuils autorisés, « inacceptables puisque contraires à la loi ». Cette fois-ci, les mauvais élèves sont plus nombreux, avec toujours le MATDS qui culmine à 207 millions d’opérations sans pièces justificatives satisfaisantes, le ministère de l’Education nationale et de l’Alphabétisation (MENA) et celui de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat (MICA), respectivement 16 et 12 millions de montants inéligibles, et enfin le ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques, de l’Assainissement et de la Sécurité alimentaire (MARHASA) et celui des Infrastructures, du Désenclavement et des Transports (MIDT), qui cumulent, pour le premier, à148 millions de sortie d’argent excédentaires, et pour le second à 13 millions de FCFA.

- Enfin, quatrièmement, le gendarme de l’Etat met en exergue « une gestion irrationnelle et non transparente du carburant et des lubrifiants ». Sur un total de 7,5 milliards, plus de 632 millions de FCFA ont ainsi été consommés de façon irrégulière. Allongeant encore un peu plus la liste des institutions pointées du doigt, se distinguent notamment le ministère de l’Economie et des Finances (MEF), 570 millions d’opérations effectuées avec des pièces non-valides, le Plan social d’urgence de la Transition (PSUT), 2,6 millions de FCFA de détournement de destination au compteur, ou encore le ministère des Enseignements secondaire et supérieur (MESS) et ses 181 000 FCFA ne respectant pas les actes de répartition. Pour l’ASCE-LC, il est grand temps que l’administration publique « réglemente et rationalise » ces dons de « carburant qui n’est plus seulement du carburant ».

Cette longue liste d’irrégularités, Ibriga et ses hommes tiennent néanmoins à la relativiser en soulignant que la Transition a fait « des efforts » pour améliorer une gouvernance bien plus catastrophique sous les régimes précédents - beaucoup moins médiatisée cependant, la plupart des rapports n’ayant pas été rendus publics. Fort de son succès, l’ASCE-LC espère désormais pouvoir réaliser à chaque début d’année un audit similaire des comptes publics.

Les projecteurs se rallument alors et se braquent sur l’homme réputé « le moins corruptible du Burkina ». D’un ton franc et assuré, Luc Marius Ibriga commence à lire le compte-rendu de l’enquête sur des ventes de parcelles présumées frauduleuses par la Société nationale d’aménagement des terrains urbains (SONATUR). « L’investigation fait suite à des allégations parues dans la presse en février 2016 (notamment dans la rubrique « Une Lettre pour Laye », L’Observateur Paalga du vendredi 12 février 2016, ndlr). Elle a été demandée par son Excellence Monsieur le président du Faso, et diligentée par deux contrôleurs d’Etat de l’ASCE », explique le patron de cette structure. « Au terme de ces vérifications et des entretiens avec les acteurs concernés, la mission est parvenue aux résultats ci-après pour chacune des sept allégations.»

- Allégation n°1 : retrait d’une parcelle acquise en 2008 par un « baron » de la Transition.

Cette allégation est avérée.

Le « baron » dont parle la presse est l’ex-Premier ministre, Yacouba Isaac Zida. Il a été attributaire d’une parcelle en 2008, d’une superficie de 7 746 m2, au prix de 8 000 FCFA le m2. Cette parcelle lui a été retirée en 2008, au profit de la société SENI qui ne l’a soldée que le 30 avril 2015, largement hors délai. Le retrait s’est opéré sans lettres de relance de paiement des frais ni notification de retrait.

- Allégation n°2 : attribution d’une parcelle de 7 848 m2 au pris de 8 000 FCFA à Madame Rehanata Stéphanie Kaboré, épouse de Monsieur Yacouba Isaac Zida.

Cette allégation est avérée.

Cette parcelle est située côté nord-ouest du Monument des martyrs, non loin du goudron (et non en face de l’ambassade des Etats-Unis, comme écrit dans la presse). C’est un terrain non mis en valeur, en friche. Mme Zida a reçu trois lettres de notification de frais d’acquisition, respectivement de 40 000, 8 000 et 40 000 FCFA le m2, concernant cette même parcelle. Les termes du contrat ayant été modifiés, elle est donc libre de rendre le terrain et de récupérer son argent.

- Allégation n°3 : vente du terrain situé en face de la salle des conférences de Ouaga 2000.

Cette allégation n’est pas avérée.

Ledit terrain est et demeure la propriété de la présidence du Faso.

- Allégation n°4 : morcellement d’un espace d’une superficie de 50 000 m2, situé en face de l’ambassade des Etats-Unis.

Cette allégation est avérée.

L’espace, initialement constitué de deux grand lots, a été fusionné, puis réaménagé par la SONATUR en trois réserves foncières, un espace vert et trois lots de 52 parcelles. Toutefois, ces réaménagements n’ont pas respecté les dispositions du code de l’urbanisme (articles 94, 98 et 100), qui rend obligatoire, avant tout changement de destination, une autorisation préalable du conseil des ministres.

- Allégation n°5 : attribution de parcelles à des membres du gouvernement et à des leaders d’Organisations de la société civile (OSC)

Cette allégation est en partie avérée.

Sur les trois lots de 52 parcelles, dans l’espace réaménagé situé en face de l’ambassade des Etats-Unis, des attributions ont été faites au profit de certains membres du gouvernement, des membres de leur famille et de deux autres personnes. Sur les 52 parcelles dégagées, 18 ont fait l’objet d’attributions. Aucun leader d’OSC n’a été attributaire de parcelles dans cette zone (d’où le terme « en partie »). Toutefois, dans la zone A, section 290 (B), lot 4, des membres du gouvernement, des membres de leur famille, un leader d’OSC (le directeur exécutif de la Fondation Zida pour le Burkindi, Fousséni Ouédraogo, ndlr) et un fonctionnaire international ont été attributaires. Par ailleurs, certains membres du gouvernement ont déposé des demandes mais n’ont pas été servis.

- Allégation n°6 : attribution de parcelles faites à Maitre Guy Hervé Kam (lot 4, parcelle 11, 12, 13 et section SC) et à son épouse, Wendtoulsom Sonia Kam/Tiendrébéogo (lot 2, parcelles 5, 6 et section GI, zone B).

Cette allégation est avérée.

Lesdites parcelles ont cependant été attribuées en 2010, et non sous la Transition.

- Allégation n°7 : attribution à la Fondation Zida pour le Burkindi (FZB) de la parcelle 00, lot 5, section CD, zone B5, site A, d’une superficie de 18 993m2.

Cette allégation est avérée.

L’ex-Premier ministre est le président de la Fondation. La demande d’acquisition a été faite par le directeur exécutif, Monsieur Fousséni Ouédraogo. Le 14 décembre 2015, la fondation a été attributaire de deux parcelles jumelées, respectivement de 2 350 et de 2 369m2, dans un lot de huit parcelles. Ces deux parcelles ont fait l’objet, le 6 janvier 2016, de paiement d’acomptes de 15 161 600 FCFA chacune. Par la suite, les deux parcelles ont été fusionnées avec les six autres du lot afin d’obtenir les 18 993 m2 attribués à la FZB, faisant disparaître du même coup les deux premières. Les sommes versées ont été transférées comme avance sur acompte de la nouvelle attribution, selon une demande de transfert datant du 18 janvier 2016.

« La gestion de l’attribution des parcelles est entachée d’un manque d’éthique, d’équité, de transparence et d’impartialité, ce qui constitue un terreau fertile à la spéculation foncière. (…) La fixation du prix d’acquisition des parcelles est souvent faite à la tête du client, sans égard au prix réel », dénonce M. Ibriga, ajoutant que 352 parcelles ont été retirées et 327 réattribuées.

L’ACSE-LC conclut son rapport par quelques recommandations, notamment la suspension des attributions et ventes de parcelles en vue d’un audit approfondi, le respect strict des délais de paiement et un retrait effectif des terrains, l’ouverture d’une enquête sur l’existence éventuelle d’un réseau parallèle de ventes de parcelles, le retrait pour non-respect des délais de paiement de la quasi-totalité des parcelles attribuées, ainsi qu’une « profonde restructuration » de la SONATUR, l’organe de contrôle ne peut cependant que dresser des constats, car c’est à l’autorité administrative concernée d’engager une procédure disciplinaire, ou bien à la justice de décider de poursuivre ou non les individus incriminés*.


Thibault Bluy
Commentaires