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Le Pr Albert Ouédraogo sur les Koglweogo: «Ayons l’intelligence d’entrer dans leur logique»
Publié le mardi 29 mars 2016  |  FasoZine
M.Albert
© Autre presse par DR
M.Albert Ouédraogo , ministre des Droits humains et de la promotion civique,




Un des faits qui fait ces derniers temps les choux gras de la presse et alimentent les différents cadres d’échange est le phénomène des comités d’autodéfense appelés «Koglweogo». Ces groupes d’autodéfense qui assurent la sécurité des biens et des personnes dans les zones rurales du pays sont de plus en plus accusés -à tort et à raison- de mener des pratiques aux antipodes des principes d’un Etat de droit. Pour le Pr Albert Ouédraogo, professeur titulaire de littérature orale à l’Université Ouaga 1 professeur Joseph Ki-Zerbo et spécialiste des questions traditionnelles, la résurgence des « Koglweogo nouvelle formule » traduit la faillite de l’Etat en matière de sécurité des populations. Rappel historique sur l’origine de ces groupes d’autodéfense, les raisons de leur montée en puissance et les solutions envisagées pour mettre fin ou encadrer le phénomène… sont les questions abordées dans cet entretien avec l’homme de Lettres et ancien ministre.


Fasozine: Avant l’arrivée du colonisateur au Burkina Faso, comment les différentes sociétés s’organisaient pour assurer leur sécurité ?

Pr Albert Ouédraogo : Tout groupe social organisé a besoin d’assurer sa propre sécurité, sa sécurité alimentaire et sa sécurité humaine. Il n’existe aucun groupe humain qui ne puisse avoir cette préoccupation en vue de sécuriser ses biens, sa progéniture et la terre sur laquelle il vit. Toutes les entités du Burkina avaient ce souci dans la mesure où les humains n’ont pas toujours été en d’odeur de sainteté et d’amitié les uns avec les autres. Il y avait des querelles, des guerres et des razzias. Il était donc important que chaque groupe humain puisse prendre des dispositions pour prévenir l’irruption d’autres assaillants. C’est en cela que si vous prenez la société Bobo, Moagha, gourounsi, il y avait des groupes d’initiés qui étaient chargé sous la coupe des maîtres d’assurer la surveillance du village. De groupe d’âge en groupe d’âge. A l’ouest c’est à travers la pratique du Do, chez les Mossés, c’est la pratique de la circoncision. Ceci dit il y a aussi en fonction des sociétés, des groupes humains dont la fonction sociale c’est de combattre pour le bien de leur patrie. Comme les Tansobtenga chez les Mossés dont la fonction était de s’organiser rapidement pour riposter en cas d’attaque extérieure.

Et qu’en est-il des Koglweogo?

Quand on parle des Koglweogo, c’est chez les Mossés. Quand on décompose le terme on a « koglé » qui veut dire protéger- et Weogo qui est brousse. Donc le terme veut dire protégeons la brousse. D’une manière générale, il s’inscrit dans le cadre de la protection de l’environnement. Selon mes informations, c’est une organisation que l’on mettait en place lorsqu’il y avait des situations de famines. Lorsque la saison pluvieuse n’a pas été bonne, les hommes sont obligés de compter plus énormément sur les productions fruitières que sur les productions céréalières de leurs champs. Par conséquent, il fallait faire de sorte que les arbres fruitiers ne fassent pas l’objet de déprédations et d’agressions de la part de certains inconscients. Et c’est ainsi qu’on mettait en place une sorte de brigade chargée de veiller sur les arbres forestiers, d’empêcher quiconque de les abattre et d’y mettre le feu. Ils avaient autorisation d’arrêter tous ceux qui faisaient cela et de les amener devant le chef qui les jugeait, eux ils ne jugeaient pas. Ils étaient des agents au service de la communauté sous la coupe du chef. Voilà ce qu’était la fonction essentielle des Koglweogo…

Mais qu’est ce qui explique cette montée en puissance de ces comités d’autodéfense actuellement?

Pendant la colonisation, le colon a pris sur lui d’assurer l’essentiel des prérogatives de l’Etat si bien que ces groupes d’autodéfense pouvaient être vécus comme des groupes susceptibles de créer des rébellions et la sédition. Donc, bien entendu, il n’était pas question de voir des gens en armes en dehors de l’entité coloniale. Par conséquent, il était loisible de voir que ces organisations avaient fini par mourir de leur belle mort puisque il y avait des gens chargés de veiller sur l’environnement et sur la sécurité à l’intérieur des villages. Avec les indépendances, l’Etat moderne s’est mis en place et s’est inscrit dans cette dynamique.

La résurgence des Koglweogo, nouvelle formule, qui ne sont plus chargés de veiller à la protection de l’environnement mais plutôt à la protection des biens des individus contre les voleurs, à mon sens, traduit une faillite de l’Etat en matière de sécurité. Il faut reconnaître qu’avec l’urbanisation galopante, la démographie, les mœurs ont eu tendance à s’effriter et certaines personnes ont pensé qu’on pouvait réussir en utilisant les courtes échelles à travers les vols, les rapines. Résultat : les populations sont victimes de vols de leurs cheptels. C’est devenu une sorte de pratique quotidienne et quand les auteurs se font prendre et qu’ils étaient conduits devant les instances de la justice, ils sont souvent libérés soit au niveau de la gendarmerie, du commissariat ou au niveau du palais de justice. Donc cela montre sérieusement que ceux qui étaient chargés de rendre la justice ont quelques parts failli.

Et c’est leur faillite qui est à la base du fait que certaines personnes aient éprouvé le besoin de s’organiser de façon autonome. La nature a horreur du vide. Si l’Etat ne remplit pas sa mission, les citoyens ne peuvent pas rester les bras croisés et regarder les choses se faire. Plutôt de jeter la pierre aux Koglweogo, il est bon que nous regardions notre propre pratique en matière de sécurité et de justice. Si l’Etat burkinabè avait une sécurité fiable, digne et forte et une justice transparente, équitable et correcte, les Koglweogo n’auraient pas vu le jour. Donc je crois qu’il ne faut pas s’en prendre à là où on est tombé mais à là où on a trébuché. Si la justice de l’Etat n’est pas à la hauteur des attentes des populations, elles vont se faire justice. C’est dommage… elles vont dériver et elles vont même aller à l’encontre des droits les plus élémentaires consacrés par les lois universelles. Mais donnons-nous les moyens de faire mieux pour que ces Koglweogo n’aient plus de raison d’exister.

Maintenant ils sont là et ils osent défier l’autorité de l’Etat, que faire en ce moment ?

N’oubliez pas que nous avons affaire à des populations qui ne comprennent pas les subtilités de notre appareil judiciaire. Sur ce plan, on a l’impression que tous les Burkinabè sont au même niveau, mais c’est faux. Nous avons des Burkinabè qui vivent toujours au 19e siècle sur le plan mental et d’autres qui sont déjà au 22e siècle. Les subtilités de la justice ne sont pas accessibles à ces populations rurales qui ne connaissent que la loi du talion « œil pour œil dent pour dent ». Malheureusement ou heureusement, les Koglweogo ont commencé à glaner quelques résultats. Actuellement ce sont les voleurs qui ont peur des Koglweogo alors qu’avant, c’était les populations qui avaient peur des voleurs. Il ne faut donc pas donner l’impression aux populations que l’appareil judiciaire et de répressions roulent pour les malfrats. Lorsqu’on dit que nul n’est censé ignoré la loi, c’est une expression commode mais appliquée, à nos pays, c’est à la limite une aberration. Qu’est que l’on fait pour que les populations, qui sont en majorité analphabète, puissent s’approprier cette loi écrite en Français ? Ce que l’Etat peut faire, c’est de les encadrer…

Et comment faire pour les encadrer ?

Il faut que nous ayons l’intelligence d’entrer dans leur logique. En le faisant, nous saurions que ces Koglweogo-là ne sont pas accrochés au vide. Ce qu’ils sont en train de faire, ils ont pour référence la tradition et les traditions ont des garants et des dépositaires que sont les chefs coutumiers et traditionnels. Vous pensez que si nous passons par ces garants, on n’aura pas des interlocuteurs vis-à-vis de ces Koglweogo ? Vous pensez que si l’administration entre en contact avec ces chefs, on ne pourrait pas avoir un dialogue fécond avec ces groupes ? Cela nous permettra d’éviter certaines dérives comme les infiltrations des délinquants, etc. Aussi, il n’est pas exclu que certains créent des Koglweogo désordonnés qui jetteront le discrédit sur le mouvement. A ce niveau rien n’est à exclure.

Il serait important dans cet encadrement qu’on puisse donner le B.A-BA de droit et de justice à ces Koglweogo. Il n’est pas exclu que si ces groupements sont bien organisés, on arrive à réduire le fossé qui existe entre les citoyens, les forces de sécurité et la justice. On pourrait imager que dans les patrouilles de ces Koglweogo, on y ajoute deux à trois policiers ou gendarmes, cela sera le début d’une confiance renouvelée. Outre cela, il faudrait que les membres des Koglweogo soient irréprochables et aient des casiers judiciaires vierges. Il faut également une traçabilité sur les amendes perçus par ces comités d’autodéfense encadrés. Et sur cette base, on peut décider d’un pourcentage ou d’un montant qui revient à la communauté.

Par l’encadrement, on viendra à bout des dérives comme la possession illégale d’armes à feu et le fait qu’il jure sur le Coran avant la mise en place de leur mouvement. Ce qui est dangereux car il ouvre la voie à l’extrémisme religieux et rien n’est exclu le cas d’une infiltration des mouvements comme Boko Haram. C’est pourquoi cet encadrement est urgent. Si on ne peut pas les encadrer, autant ne pas leur permettre d’exister. Mais j’estime que il n y a pas de raisons que l’Etat ne puisse pas les encadrer. Cela de gré ou de force…

Mais les rares discussions à l’amiable avec les Koglweogo n’ont pas abouti et les dérives ont continué…

Les Koglweogo par leurs dérives doivent nous amener à réfléchir sur notre système judiciaire. L’insurrection a emporté l’exécutif et le législatif. Mais l’insurrection n’est pas encore passée dans l’appareil judiciaire me disait quelqu’un. Nous avons un système judiciaire hérité du temps colonial. Nous jugeons comme si nous étions toujours encore sous la colonisation. Qu’est-ce que nous avons fait pour «tropicaliser» notre justice ? La justice plane à mille lieux, les citoyens ont peur de la justice. Il y a un problème et il faut qu’on ait le courage de crever l’abcès pour que la justice descende un peu de son piédestal. Il faut faire en sorte que le juge ne soit pas considéré comme un dieu. Il faut aussi se donner les moyens de juger les juges indélicats et fautifs. Il ne faut pas simplement dire que le monopole de la justice revient à l’Etat et à l’appareil judiciaire. Je n’aime pas le monopole. La justice ne saurait être la seule affaire de la justice formelle. Même dans les Etats démocratiques évolués comme le Canada, tout ne se règle pas à la justice. Beaucoup de cas de divorces se règlent à travers des médiateurs sociaux. On fait en sorte que cela s’inscrive dans la légalité. On ne part voir le juge que pour entériner ce que les différentes parties ont accepté et qui ne dérogent pas aux grands principes du droit.

Qu’est-ce que nous faisons aujourd’hui pour qu’on puisse responsabiliser certains corps de la société en vue de régler certains dossiers qui n’ont pas besoin d’aller encombrer les palais de justice ? J’estime que certains chefs traditionnels sont capables de régler certains différends tels les vols de bœuf, les querelles de voisinage, les enlèvements et les questions de sorcellerie. Tout cela peut s’encadrer. Il faut que nous travaillions à dégraisser le pachyderme qu’est notre justice. Il faut laisser quelques espaces de médiation de certains conflits qui n’ont pas besoin d’arriver jusqu’en justice. Il y a beaucoup de nos traditions de médiation que l’on peut mettre à profit et nous allons construire la paix et le vivre ensemble.

Propos recueillis par Dimitri Kaboré
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