Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Femmes    Pratiques    Le Burkina Faso    Publicité
aOuaga.com NEWS
Comment

Accueil
News
Société
Article
Société

Sibiri Kam Eric: «Les Koglweogo, ce n’est pas un phénomène nouveau»
Publié le vendredi 25 mars 2016  |  FasoZine




Sibiri Eric Kam est bien connu dans les milieux de luttes pour les libertés d’expression et le respect des droits humains. Il a été membre de la Commission d’enquête indépendante sur la mort du journaliste Norbert Zongo. Fonctionnaire à la retraite, il est également juriste, a enseigné l’éthique professionnelle et la déontologie administrative à l’Ecole nationale d’administration et de magistrature et à l’Ecole nationale de police. Il donne, dans l’entretien qui suit, sa lecture quatre questions qui défrayent la chronique au Burkina Faso: la reprise des concours de la fonction publique entachés de fraudes en 2015, les Koglweogo, le gaz dans les voitures et la grève des magistrats.



Fasozine: Le gouvernement a promis de reprendre les concours de la fonction publique annulés en 2015. Comment cela va se passer selon vous et est-ce que les chances des candidats de 2015 seront préservées ?

Sibiri Eric Kam : Si on s’en tient au communiqué du gouvernement, il sera organisé une session spéciale pour les candidats aux concours de 2015 qui ont été annulés pour raison de fraudes. Les listes de l’an passé seront automatiquement reconduites. Maintenant, en même temps seront lancés les concours de 2016 qui vont concerner tous ceux-là qui n’étaient pas candidats en 2015, et évidemment les candidats aux concours annulés de l’an passé pourront postuler. Ils ont donc plutôt une double chance, ce qui garantit l’égalité de chance. Le problème, c’est la capacité d’accueil des centres de formation. Est-ce que tous les centres pourront disposer de salles qui peuvent contenir deux promotions qui arrivent en même temps ? Ou bien ils vont s’organiser pour avoir deux cohortes ? En tout cas il faut faire attention pour ne pas reproduire le phénomène qu’on a à l’université de Ouagadougou où plusieurs promotions d’un même niveau d’étude se retrouvent. Mais comme dans les centres de formation les effectifs ne sont pas si élevés que cela, on doit pouvoir s’en sortir.

Mais un groupe de candidats aux concours annulés en 2015 estiment que leurs chances sont réduites….

C’est qu’ils n’ont pas compris le communiqué.

L’actualité est également marquée par les actes posés par les Koglweogo et qui sont diversement critiqués. Qu’en est-il de la légalité ou la légitimité de ces associations d’autodéfense et que peut-on faire au stade actuel pour éviter qu’elles ne deviennent un boulet au pied du gouvernement ?

Les Koglweogo, ce n’est pas un phénomène nouveau. Dans beaucoup de communautés ça existait. Peut-être que le contexte a favorisé leur émergence et a surtout fait que les citoyens que nous sommes avons pris conscience du phénomène. Les Koglweogo sont appréciés des populations majoritairement, ils trouvent donc leur fondement dans le fait que la population approuve ce qu’ils font. Mais il y a problème par rapport à l’Etat de droit où une garantie doit être donnée à un délinquant qu’il bénéficiera de la présomption d’innocence. Donc leurs méthodes posent problème, c’est un débat entre la légalité et la légitimité. Mais quand on parle de les supprimer, ce n’est pas aussi simple que ça, puisque quelque part ils ont la caution populaire. Et en plus de cela, l’existence des Koglweogo montre que l’Etat n’a pas réussi à être suffisamment présent sur l’ensemble du territoire. C’est vrai qu’on nous enseigne que l’Etat est le seul détenteur de la violence légitime, mais quand les populations ont le sentiment que l’Etat les a abandonnées à elles-mêmes, elles vont s’organiser elles-mêmes, et leur façon de s’organiser peut porter atteinte aux principes de l’Etat de droit.

Au-delà du débat sur la légalité ou la légitimité de l’existence des Koglweogo, c’est un débat de droit qui est posé. Au-delà des Koglweogo, dans les villages il y a des associations qui existent. Et elles sont “légales“ puisque s’étant constituées sur des bases traditionnelles et communautaires, comme les groupes de culture, les groupes de danse traditionnelle, qui n’ont pas tous des récépissés mais qui s’expriment. Elles ne sont pas illégales puisque le récépissé ne fait que conférer la personnalité juridique. Ce qui veut dire qu’on peut créer une association, ne jamais demander un récépissé et ne pas être en porte à faux avec la loi. Donc ici, ce n’est pas l’absence de récépissé qui pose problème. Le problème c’est que nous avons un droit dit moderne qui n’a pas d’emprise sur une bonne partie de la population. Quand, au niveau des villes, nous luttons pour abolir la peine de mort, c’est un argumentaire qui s’entend difficilement au village parce que les gens estiment que c’est œil pour œil, dent pour dent. Si quelqu’un a tué on le prend on le tue.

Dans la société traditionnelle,la prison en tant que lieu de punition n’existe pas. Les délinquants, notamment les voleurs sont punis autrement, et ce sont ces sanctions anciennes que les gens sont en train d’appliquer aujourd’hui, à savoir ligoter le voleur, l’exposer au soleil, le torturer. Puisqu’on ne peut pas supprimer les Koglweogo, parce que cela va demander un tel investissement à l’Etat qu’à la limite il va passer son temps à combattre les Koglweogo plutôt que les délinquants, ce qu’il faut peut-être faire, c’est essayer de les encadrer, les amener à une meilleure collaboration avec les forces de l’ordre et leur expliquer le bien-fondé du respect d’un certain nombre de règles quand bien même quelqu’un viendrait à être soupçonné de vol. Parce que si, dans certains cas, la personne arrêtée est effectivement le délinquant, il y a des cas où la personne arrêtée n’est pas le délinquant. Il faut que l’Etat se montre plus présent et que le système judiciaire réponde, et il faut qu’on prenne le temps d’expliquer aux gens comment fonctionne la Justice moderne pour qu’ils comprennent pourquoi quelqu’un qui a été déféré, mis sous mandat de dépôt, peut se retrouver trois mois après dehors en attendant un jugement qui va venir dans 5 ou 10 ans. C’est tout ça qui explique la résurgence des Koglweogo, qu’il faut encadrer, former, et sévir vite quand il y a excès, car force doit rester à la loi.

Que pensez-vous de l’interdiction d’utiliser du gaz pour faire fonctionner les véhicules ?

Il y a des voitures qui sont conçues au départ pour rouler avec du gaz ou bien au diesel. Là ça sort de l’usine avec le système de garantie et de sécurité. Il y a aussi des mécaniciens spécialisés qui transforment un véhicule diesel ou essence en un véhicule à gaz avec des garanties de sécurité aussi. Le problème qui se pose avec nos taxis, c’est qu’ils prennent une bouteille de gaz qu’ils mettent dans le coffre de la voiture et font le branchement. Economiquement pour eux c’est rentable puisque le gaz est bien moins cher donc ils peuvent offrir des tarifs acceptables aux usagers. Le problème, c’est le risque de catastrophe que l’Etat a le devoir de prévenir. Faut-il revenir sur le délai pour donner plus de temps aux gens pour revenir aux normes ? Ce n’est pas maintenant qu’on parle de ça, ça fait longtemps. Je pense que le nouveau gouvernement doit relever le défi de la restauration de l’autorité de l’Etat. Il faut qu’au bout du délai d’un mois qui a été accordé on applique rigoureusement la règle.

Pensez-vous que le droit de grève acquis et les autres avantages que réclament les magistrats sont indispensables à l’indépendance de leur corps et de l’institution judiciaire ?

Le droit de grève est inscrit dans la Constitution et a priori tous les corps de métier devraient en bénéficier. Seulement il y a des variations selon les Etats. En France par exemple la police a le droit de grève, ce qui n’est pas le cas au Burkina Faso. Les magistrats chez nous avaient le droit de grève depuis l’indépendance. Ils en ont fait rarement usage, par la suite ils ont commencé à en faire usage, on a voté une loi complémentaire pour supprimer leur droit de grève. Dans le cadre du pacte pour la renaissance de la justice, ils ont relu la loi et inscrit le droit de grève, et depuis, on voit ce qui se passe. Est-ce que par rapport à ce qu’on voit il faut de nouveau leur interdire le droit de grève ? Les magistrats disent être une élite. Ce qui n’est pas toujours le cas parce que les meilleurs juristes ne sont pas forcément à la magistrature, comme disait quelqu’un. Mais s’ils en font un usage excessif, l’autorité publique peut penser que la solution, c’est de supprimer le droit de grève.

En réalité, si on va plus loin dans la réflexion, beaucoup de conflits sont réglés en dehors de l’institution judiciaire moderne et classique que nous connaissons. Quelle est donc la pertinence d’ériger en corps super privilégié un noyau de gens qui, à l’échelle de la Fonction publique est une minorité, et à l’échelle de la nation une infime minorité ? Je ne crois pas que le niveau de salaire soit un critère déterminant pour lutter contre la corruption et garantir l’indépendance de la justice.

La loi, le statut donnent les moyens juridiques au magistrat d’affirmer son indépendance. C’est une question de personnalité. Si vous n’avez pas de personnalité, si vos ambitions c’est de gravir le plus vite possible les échelons du corps de la magistrature, d’être le président du… ou le procureur de …, vous allez vendre votre indépendance.

Propos recueillis par juste SAMBA
Commentaires