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Robert Sangaré, DG du CHU-Yalgado Ouédraogo : "Il faut de la solidarité pour affronter l’insuffisance rénale"
Publié le mardi 22 mars 2016  |  Sidwaya
Robert
© LeFaso.net par DR
Robert Sangaré, DG du CHU Yalgado Ouédraogo




La 11e Journée mondiale du rein a été commérée au Burkina Faso, le samedi 12 mars 2016. Nous avons saisi l’occasion pour rencontrer le directeur général du CHU-YO, Robert Sangaré, dont l’établissement abrite l’unique centre de dialyse du pays. L’interview, qui suit, aborde la problématique de la prise en charge des dialysés à travers les préoccupations liées à l’acquisition des équipements et consommables.

Sidwaya (S.) : Ces temps-ci, un problème de rupture de consommables pour les malades dialysés a défrayé la chronique. Qu’en est-il exactement ?

Robert Sangaré (R.S.) : Effectivement, il y a environ trois semaines, nous avons enregistré une rupture de deux éléments du kit dialyse que sont le concentré d’acide et l’héparine. Ce fait a suscité divers articles de presse écrite et audiovisuelle, à la suite de l’appel de certains parents de malades et/ou de malades eux-mêmes. Les images véhiculées par des médias ont beaucoup ému l’opinion nationale et cela se comprend aisément, vu qu’il s’agit de la vie d’êtres humains. Il faut savoir que l’épuisement d’un ou de deux éléments, en temps, peut empêcher le déroulement normal des séances de dialyse. C’est ce qui est arrivé. Vous savez, nous sommes tous des potentiels insuffisants rénaux, donc des potentiels clients de la dialyse, en raison de nos modes de consommation et de vie. Hélas, l’insuffisance rénale prend, à l’heure actuelle, des dimensions effrayantes et inquiétantes. Sachez que de nos jours, au moins 60% des patients qui nous arrivent aux urgences médicales qui constituent le passage obligé des malades, débouchent, après les premiers examens, sur la néphrologie pour insuffisance rénale. La néphrologie est le service qui a, aujourd’hui, le taux d’hospitalisation le plus élevé du CHU-YO. Souvent, quand vous voyez des malades à ras de plancher aux urgences médicales ou y trainant depuis plusieurs jours, c’est parce que, ce sont des malades destinés à la néphrologie qui ne peut les recevoir, parce que tous les lits sont déjà occupés. La situation ci-dessus évoquées explique, en partie, les difficultés que nous rencontrons dans la prise en charge efficace et efficiente de cette pathologie. Pour la rupture du 15 février 2016, la pharmacie nous a alertés cinq jours plus tôt sur une menace sérieuse de rupture des deux éléments du kit. Nous sommes aussitôt entrés en contact avec notre fournisseur habituel pour un dépannage à partir du Bénin ou du Togo, vu que pour des raisons budgétaires et de procédures des marchés publics, nous n’avions pas encore lancé notre commande de kits de 2016. Le jour même où la presse a été alertée, le dépannage était arrivé dans la soirée, comme nous l’avions annoncé au président de l’association des dialysés dès qu’il nous a approché le matin. Nous avons d’ailleurs dit cela aussi à vos confrères qui ont eu la courtoisie de venir vers la direction générale pour avoir sa version des faits. En général, lorsqu’il y a des menaces de rupture, et en attendant l’arrivée d’une vraie commande, le chef de service réorganise les séances de dialyse en faisant en sorte que chacun puisse avoir un peu pour se maintenir en vie. Si les malades étaient par exemple dialysés tous les trois jours, il peut être amené à espacer tous les quatre jours, voire tous les cinq jours; ou bien il peut diminuer la durée du temps de dialyse pour chaque malade en passant de 4 heures à 3 heures etc. Il peut même prioriser tel malade dont la situation est jugée plus critique que son camarade souffrant de la même maladie. Cela n’est pas sans provoquer des incompréhensions au sein des malades, vu que chacun pense à son propre sort ; un réflexe humain qu’on se saurait blâmer. Alors, on entendra des accusations d’affairisme, de corruption des agents soignants pour se faire programmer avant les autres ou plusieurs fois, etc. Donc le 15 février, nous avons bien reçu un dépannage pour tenir juste pour une dizaine de jours. Puis nous sommes encore repartis pour un dépannage de 2000 kits qui pourra nous amener jusqu’au 25 mars, mais en rationnant comme indiqué précédemment et dans l’espoir que nous n’enregistrerons pas beaucoup de nouveaux malades à dialyser d’ici-là. Il suffit de dix nouveaux malades de la forme aiguë nécessitant au moins trois séances par malade et par semaine pour déjouer toutes les prévisions. Avec le ministère, nous sommes en train de voir si, avec le concours de la CAMAEG, on peut commander une plus grande quantité de kits qui seront mis à notre disposition à partir de fin mars. Mais, la dialyse ne repose pas seulement sur les kits. Il y a plein d’autres besoins (équipements, médicaments et autres accessoires) qui sont tous aussi essentiels pour une prise en charge appropriée des malades sous dialyse. Sachez que le nombre de malades sous dialyse à vie, ceux que nous appelons les malades de la file active, s’élève à 320 personnes et ce chiffre va croissant. Peut-être même à l’heure où je vous parle, il y a au bas mot trois à cinq nouveaux cas à dialyser.

S. : Est-ce la première fois que le CHU-YO vit une telle situation ?

R.S. : Il s’agit plutôt des menaces sérieuses de rupture qui nous conduisent à rationner les séances de dialyse. Ces tensions nous arrivent de temps en temps, mais généralement nous arrivons à nous dépanner très rapidement en cours de journée ou au plus tard le lendemain dans la soirée, à partir du Bénin ou du Togo. Tant que nous n’aurons pas une subvention plus élevée, au moins dans les 3,5 milliards de francs CFA par an, qui puisse nous permettre de commander, d’un coup au moins, la moitié ou le tiers des besoins exprimés par le chef de service (par exemple cette année ce serait entre 11000 et 17000 kits pour quatre à six mois), nous enregistrerons toujours ce genre d’aléas.
Il convient surtout de préciser aussi que les équipements et consommables de la dialyse ne peuvent être fournis n’importe comment et par n’importe qui. Il faut disposer d’un agrément ou d’un certificat d’exclusivité du fabricant. Au Burkina Faso, et en attendant une possible diversification de nos équipements, nous utilisons essentiellement des générateurs de la firme allemande FRESENIUS. Cette marque a été retenue au début de l’installation de la dialyse en 2006 et ce sont les meilleurs au monde d’après les spécialistes. Du coup, seuls les kits d’origine FRESENIUS ou d’origine ASAHI, compatibles avec générateurs FRESENIUS, peuvent être utilisés sur nos générateurs d’aujourd’hui. Jusque-là, il y a un seul fournisseur agréé par FRSESENIUS et ASAHI pour livrer leurs produits au Burkina Faso, au Bénin, au Togo, qui est basé à Lomé. C’est lui, également, qui a remis en état de fonctionnement la salle d’eau du dispositif de dialyse qui avait été fortement endommagée par les inondations du 1er septembre 2009. Il en assure la maintenance jusqu’à nos jours. Par conséquent, toute structure privée ou publique, quelle qu’elle soit, qui veut commander des consommables FRESENIUS doit passer obligatoirement par lui. C’est la même règle pour tous les autres fabricants d’équipements et consommables de dialyse. C’est pour cela aussi, qu’il arrive à nous dépanner très rapidement chaque fois que de besoin. Oui, j’avoue que ce n’est pas la première fois, que ce genre de tension au niveau des consommables nous arrivent, même avant mon arrivée au CHU-YO. Dès que la situation se rétablit, nous mobilisons le personnel de soins pour prendre en charge les malades toute la nuit jusqu’au lendemain, pour rattraper le programme, moyennant parfois de petites motivations.

S. : Quels sont les différents produits que l’hôpital doit commander pour les dialysés ?

R.S. : N’étant pas médecin encore moins spécialiste de cette maladie, je préfère vous donner simplement les propositions de besoins exprimés par le chef de service et qui devraient être supportées par la subvention spéciale dialyse. Vous voyez qu’outre les kits, il y a des médicaments, des équipements et bien d’autres accessoires de la dialyse. C’est dire, qu’autant une maison repose sur plusieurs poutres, autant le système de dialyse repose sur plusieurs socles.

S. : Les fabricants de ces produits sont-ils en Afrique ou en Occident ?

R.S. : Les fabricants d’équipements et de consommables de dialyse se trouvent généralement en Europe (Allemagne surtout) et en Asie (Japon). Mais ils ont des représentants pour l’Afrique ou par région, sous-région, pays par lesquels il faut passer obligatoirement pour commander les produits.
Par exemple, le représentant de FRESENIUS Afrique est basé au Maroc. Lui aussi donne des agréments à des représentants sous régionaux ou de pays au nom de la maison mère. Le représentant de chaque marque détient généralement, ce qu’on appelle « un certificat d’exclusivité » pour vendre ses produits. En d’autres termes, quelqu’un d’autre ne peut vous fournir les produits de cette marque. Vous savez, toutes ces grandes firmes semblent s’être accordées sur des codes et règles de bonne conduite qui permettent de se partager le marché mondial. Dans certains pays, les hôpitaux disposant d’un service de dialyse sont autorisés à commander directement auprès de la maison mère sur la base d’une convention sans passer par les procédures des marchés publics. Cela à ses avantages, mais aussi son exigence. Il faut, par exemple au préalable, faire des provisions à l’avance auprès du fournisseur, avant que celui-ci ne vous envoie les produits. Pour que cette formule marche bien, il faut en réalité payer cash, ce qui implique qu’il faut avoir l’argent d’abord. Un EPE peut-il faire cela, sans l’autorisation du ministère des Finances ? Avec la grande réflexion que le ministère de la Santé envisage d’organiser dans les tout-prochains jours sur la problématique de la prise en charge de la dialyse sur le plan national, ce sont des aspects qu’il va falloir aborder. Mais l’idéal est que, si plusieurs centres de dialyse voyaient effectivement le jour au Burkina Faso (CHU-SS, HNBC) comme cela se projette, l’approvisionnement en kits, notamment par le canal de la CAMEG qui peut avoir une plus grande capacité d’acquisition et par des procédures simplifiées, pourrait nous prémunir contre les ruptures.

S. : Il semble que l’Etat donne une subvention de 1 milliard pour la dialyse. Comment cette somme est-elle utilisée au profit des dialysés.

R.S. : Grâce à leur propre action et lobbying, les dialysés ont effectivement pu obtenir de l’Etat burkinabè l’octroi d’une subvention spéciale annuelle de 1 milliard de francs pour contribuer à leur prise en charge. La première subvention a été versée en 2010 et a été gérée au ministère de la Santé qui devait acquérir les équipements et les consommables pour les dialysés par l’intermédiaire de la CAMEG. Il semble qu’il y a eu quelques difficultés pour l’acquisition des produits. En fin 2011, lorsque je suis arrivé à la tête du CHU-YO, c’est vers décembre 2011 par le canal du PCA, que la décision a été prise de confier la gestion de la subvention au CHU-YO pour l’acquisition des consommables et des équipements de la dialyse avec tout le necessaire. Depuis lors, chaque année, au moment de l’élaboration du budget du CHU-YO, le chef de service de la Néphrologie-hémodialyse est instruit pour proposer la liste des dépenses éligibles sur la subvention. Compte tenu de la spécificité de cette subvention et la délicatesse de la maladie, sur instruction du PCA, un comité de gestion intégrant les représentants des dialysés (ils ont trois places) examine et donne son avis sur les propositions du chef de service. Puis c’est la soumission à l’examen et à l’adoption du CA à la session budgétaire normale du CHU-YO. Jusque-là, les choses se passent tant bien que mal, avec les difficultés évoquées.

S. : Que représente ce montant, au regard du nombre de vos malades ?

R.S. : Cette somme est insuffisante, au regard du nombre de malades de ce que nous appelons la file active, c’est-à-dire nécessitant au minimum deux séances par semaine. Un kit de dialyse coûte au bas mot 48 mille F CFA. Cette année 2016, la demande est de 34 mille kits. Multipliez 34 mille par 48 mille FCFA et vous êtes déjà à 1,632 milliard F CFA. La subvention ne suffit même pas à acheter la quantité de kits qu’il faut pour pouvoir prendre en charge les malades à dialyser suivant les normes admises. Que dire alors des autres éléments clés de la dialyse tels les générateurs, les fauteuils, les médicaments et autres accessoires ? L’attelage Générateur fauteuil va chercher dans les 22 à 25 millions de F CFA l’unité, selon la marque. Nous en avons entre 20 et 22 qui marchent en permanence alors qu’il nous aurait fallu disposer d’au moins 70 générateurs. Pour parler comme les Mossé « l’effort de l’Etat est bon, mais ce n’est pas arrivé » !
Mais les choses ont bougé cette année. En effet, pour le budget 2016, la subvention est passée de 1 milliard à 1,8 milliard de FCFA. Sur ce point précis, il faut avoir l’honnêteté de remercier le gouvernement de la Transition, notamment le ministre de la Santé, Pierre Guiguimdé et le Premier ministre Yacouba Isaac Zida (qui m’a personnellement reçu sur ce dossier) qui ont pris l’engagement de l’augmentation. Naturellement, il faut se réjouir que le nouveau gouvernement soit allé dans la même direction et que l’effort de l’Etat va continuer. De même, il faut remercier la LONAB qui a été très sensible à notre demande d’acquisition de générateurs au profit des dialysés. En effet, la nationale des jeux nous a annoncé la programmation de l’acquisition de dix générateurs-fauteuils au profit du CHU-YO sur son budget 2016. En dépit de tous ces acquis, il faut encore de l’argent, car le traitement de l’insuffisance rénale par voie de dialyse, est extrêmement coûteux. Le problème, c’est que le nombre de malades ne fait que croître tous les jours, rendant très difficile la maîtrise des prévisions. Même dans les pays développés, aucun citoyen ne peut supporter, à lui seul, le coût de traitement de la dialyse. Il faut toujours le grand concours de l’Etat et de bonnes volontés. En somme, il faut de la solidarité pour affronter le mal. En France, le traitement annuel par personne revient à environ 80 mille euros, soit environ 50 millions FCFA. Le remède radical serait la transplantation rénale mais, là c’est un autre sujet complexe que les spécialistes peuvent mieux développer, nonobstant les procédures très complexes en la matière.

S. : Les malades doivent déposer une caution élevée avant de commencer les séances de dialyse et ils s’en plaignent. Qu’est-ce qui peut être fait pour diminuer les coûts ?

R.S. : Avant notre arrivée, tout malade devant subir la dialyse devait préalablement déposer la somme de 1,5 millionfrancs CFA comme une sorte de droit d’entrée. La séance de dialyse revenait à 73 milleFCFA et vous devez pouvoir en effectuer au minimum deux fois par semaine pour pouvoir vous maintenir en vie. Ils ne sont pas nombreux les Burkinabè à pouvoir honorer de telles dépenses. Vous pouvez imaginer la suite en termes de dégâts humains au sein de ceux qui contractaient cette maladie !
A notre arrivée et le transfert de la gestion de la subvention au CHU-YO, en accord avec le président du conseil d’administration d’alors, le Dr Bocar Kouyaté, nous avons proposé une révision à la baisse tant du forfait obligatoire que du prix de la séance. Depuis 2012, le forfait est descendu à 500 mille F CFA et la séance à 15 mille F CFA pour les nationaux. Même cela, combien de Burkinabè peuvent y faire face à vie ? Les malades ont donc raison de s’en plaindre. Comme solution, il faut, à l’instar de certains pays voisins , d’abord et avant tout, que la subvention soit relevée à hauteur de trois milliards cinq cents millions de francs CFA environ, ce qui permettrait peut-être de soulager purement et simplement les malades du forfait obligatoire de 500 mille F CFA et de baisser encore le coût de la séance à 2500 ou au maximum 5000FCFA. Ensuite, au regard de l’accroissement exponentiel du nombre de malades, faudrait-il faire comme certains pays, en mettant en place un comité de sélection des malades par an pour bénéficier des effets de la subvention. En d’autres termes dans certains pays, le nombre de malades est arrêté au 31 décembre de l’année n-1. Par exemple, ce sont les malades enregistrés au 31 décembre 2015 qui seront pris en charge sur la subvention 2016. Si vous contractez la maladie à partir du premier janvier 2016, vous devez vous débrouiller par vos moyens pour vous soigner jusqu’à finir l’année 2016 et vous ne bénéficierez que des effets de la subvention de 2017.
Je ne suis pas sûr que si nous instaurons un tel système au Burkina Faso, la population ne puisse pas, avec juste raison, réagir durement, vu que le coût de traitement de la dialyse, même mensuel, n’est pas à la portée du Burkinabè lambda.

S. : En plus des problèmes de consommables, il est fait cas d’insuffisance de ressources humaines, est-ce fondé ?

R.S. : Tout le Burkina Faso ne comptait que deux néphrologues. Ils étaient appuyés par un néphrologue coopérant cubain. Pendant plus de 20 ans, sinon plus, c’est le Pr Adama Lengani qui a affronté seul la maladie en tant que spécialiste. Lui, il part à la retraite cette année, mais c’est évident qu’on va le réquisitionner, sauf s’il refuse. Il y a deux jeunes médecins spécialistes qui viennent de rentrer. Selon les normes, il nous aurait fallu une dizaine, rien qu’au CHU-YO. La spécialisation étant longue, apparemment la néphrologie n’attirait pas beaucoup de vocation. Mais ces derniers temps, j’ai constaté que des jeunes médecins cherchent à aller se spécialiser en néphrologie et ceci est à encourager par les autorités.
Au niveau du personnel para-médical, en raison de la pénibilité du travail, personne ne veut venir à la dialyse actuellement. Tant et si bien que le ministère de la Santé a dû lancer un appel au volontariat pour les agents paramédicaux de l’intérieur du pays, désirant se faire affecter à Ouagadougou de déposer leur demande à condition d’accepter servir à l’unité de dialyse du CHU-YO. Savez-vous, que jusqu’à présent, on n’a pas eu les 20 infirmiers souhaités. Pourtant, les gens cherchent à se faire affecter à Ouagadougou. Donc le problème des ressources humaines est aussi réel et devra trouver sa solution dans une réflexion globale sur la dialyse.

S. : Il semble que la règlementation nationale n’est pas adaptée en matière d’acquisition des produits spécifiques comme ceux de la dialyse. Pouvez-vous nous en parler ?

R.S. : Quand vous êtes DG d’un EPE et que vous parlez de règlementation non adaptée des procédures d’acquisitions de certains biens et services, on vous regarde toujours avec suspicion. On ne vous accorde même pas la présomption de bonne foi. Ce problème a toujours été évoqué à chaque assemblée générale des sociétés d’Etat en ce qui concerne certains produits médicaux. En 2014 ,grâce à notre plaidoyer à l’assemblée générale des sociétés d’Etat de 2013, le statut général des Etablissements publics de Santé a bien retenu, en son article 57, que dans le cadre de l’exécution des marchés publics, un arrêté conjoint, ministre des Finances / ministre de la Santé, énoncera certains assouplissements en faveur des hôpitaux pour l’acquisition de certains produits médicaux. Sous l’égide du ministère de la Santé, nous nous sommes réunis à Bobo-Dioulasso (tous les DG des EPS et des services centraux du ministère) pendant trois jours pour identifier et lister les produits et services dont les procédures d’acquisition peuvent bénéficier d’assouplissements. Les consommables et autres produits de la dialyse figuraient en bonne place sur cette liste. Mais des gens se sont assis et ont refusé sous diverses arguties de mettre en œuvre la disposition, bien que le texte soit toujours en vigueur. Peut-être, avec les nouveaux ministres, les choses vont changer dans cette direction. En tous cas, c’est souhaitable, car il me semble, qu’on sacrifie parfois des vies humaines sur des questions de procédures. On peut bien lutter contre la corruption, sans pour autant sacrifier des vies humaines, à travers des procédures parfois inutilement compliquées et longues.

S. : Quelles solutions pouvez-vous proposer pour éviter de telles situations à l’avenir, au niveau du CHU-YO et au niveau de l’Etat ?

R.S. : Le traitement de la maladie aura toujours besoin d’un effort spécial de l’Etat et de la solidarité nationale. Tout le monde est unanime pour dire que l’insuffisance rénale avec son corollaire qu’est la dialyse est devenue un problème de santé publique. Dès lors, la recherche de la meilleure parade contre cette terrible maladie requiert une analyse froide et approfondie en examinant le problème sous tous ses aspects. Personnellement, j’ai toujours pensé que dans ce pays, quand il y a un problème sérieux, on se complait toujours dans des solutions de bricolage conjoncturel, si ce n’est dans cette propension maladive de désignation de boucs émissaires face à un problème objectif et rationnel. On aime surtout occulter royalement la relation causes –effets d’une situation qui survient pour tomber dans des considérations subjectives. C’est pourquoi, les problèmes ne sont jamais résolus de façon structurelle, avec efficacité, en profondeur, et dans la durée. Les ruptures que nous enregistrons de temps en temps et bien d’autres difficultés que nous rencontrons (insuffisance des générateurs et autres) jusque-là pour assurer une prise en charge appropriée des malades sous dialyse , sont tout simplement liées à l’insuffisance des ressources financières pour acquérir les produits et équipements de la dialyse en quantités suffisantes. A l’insuffisance des ressources, il faut ajouter nos procédures budgétaires et d’acquisition qui ne sont pas forcément adaptées pour ce genre de consommables. Nous ne pouvons pas commander d’un coup plus de 4000 kits par exemple et les livraisons sont faites suivant la programmation du fabricant. Pendant que les autres pays commandent des millions de kits et payent cash, nous, nous commandons quelques milliers et on veut être parmi les premiers servis. Le déblocage de la subvention se fait en deux tranches, c’est-à-dire premier et deuxième semestre. Le premier déblocage est reçu souvent au mois de mars de l’année nouvelle. Si on met les délais de demande d’autorisation et de réponse du ministre de l’Economie et des finances avant de lancer la commande, d’acheminement des produits par bateau, puis par train, ou par la route d’Abidjan ou Lomé, les formalités douanières, vous voyez bien qu’on peut faire facilement quatre mois avant l’arrivée des consommables. Pendant ce temps, il y a l’augmentation fulgurante du nombre de malades, et qui peut déjouer tous les calculs. Difficile donc de maîtriser la situation.

Espérons donc que la grande réflexion sur la problématique de la prise en charge de l’insuffisance rénale, par voie de conséquence, de la dialyse que le ministère envisage organiser dans le courant de ce mois, permettra de mener des débats francs et responsables pour trouver la formule la meilleure d’affrontement et de gestion du mal. En attendant, la première des solutions idoines pour freiner ce mal pernicieux me semble être la prévention. C’est pourquoi, que ce soit à l’occasion de la Journée mondiale du rein ou pas, j’invite tout Burkinabè à vérifier au moins une fois par an la santé de ses reins. Moi, je le fais systématiquement tous les six mois. C’est à travers un examen de sang qui ne coûte rien. N’attendez pas que ce soit aux urgences médicales qu’on découvre que vos reins sont foutus et en ce moment c’est trop tard. Revoyons en conséquence nos comportements, nos modes de vie, de consommation, si nous ne voulons pas être demain les clients de la dialyse. Comme le disait un ancien ministre de la Santé, Léné Sébgo, lors de l’émission « Dialogue avec le gouvernement en 2014 : «Par la prévention, chacun de nous est d’abord son propre médecin, avant d’être l’affaire de l’hôpital ».

Interview réalisée
par Achille OUEDRAOGO
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