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Planification familiale : l’otage d’un environnement pro-nataliste
Publié le samedi 13 fevrier 2016  |  Sidwaya
Planification
© aOuaga.com par Séni Dabo
Planification familiale et santé de la reproduction : une campagne de prise de conscience lancée
Vendredi 15 janvier 2016. Ouagadougou. Sept organisations de la société civile active dans le domaine de la santé sexuelle et de la reproduction ont animé une conférence de presse pour annoncer le lancement d`une campagne de communication dénommée "1 000 000 de voix pour la planification familiale et la santé de la reproduction"




L’accès à la planification familiale est un droit consacré au Burkina Faso par la loi Santé de la reproduction de 2005, de nombreux autres textes nationaux, traités et pactes internationaux auxquels le pays a souscrit. Mais, l’exercice effectif de ce droit relève, parfois, d’un parcours du combattant. Diagnostic !

«Le droit à la Santé de la reproduction (SR) est un droit fondamental garanti à tout être humain (…) Les couples et les individus ont le droit de décider librement, et avec discernement, du nombre de leurs enfants, ainsi que de l’espacement de leurs naissances ». Ce sont là quelques dispositions de la loi 049 du 22 décembre 2005 portant Santé de la reproduction. Ladite loi fait, en outre, obligation à l’Etat, aux collectivités territoriales, aux groupements communautaires, etc., de veiller à la sauvegarde, à la promotion et à la protection du droit à la SR, dont la Planification familiale (PF), pour tout individu. Combien de Burkinabè connaissent l’existence de ce droit ? Les acteurs du domaine sont unanimes à répondre : « très peu ». Le coordonateur national du Conseil burkinabè des ONG et associations de lutte contre le Sida (BURCASO), un réseau en santé communautaire, Ousmane Ouédraogo, est plus amère dans le constat. « Le drame est que les personnes pour lesquelles ces lois sont faites, les ignorent royalement. Comment jouir d’un droit dont on n’a pas connaissance ? », se demande-t-il. Toutefois, le terrain et les professionnels témoignent d’une situation globalement encourageante, à améliorer. « Le pays a fait de la planification familiale une priorité », rétorque la Directrice de la santé et de la famille (DSF), Dr Isabelle Bicaba. Elle rappelle la création, depuis 2008, d’une ligne budgétaire de 500 millions de F CFA pour l’achat de contraceptifs. Ce montant représente le quart des dépenses annuelles en produits de la PF, le reste étant financé par des partenaires.

Tendances prometteuses

En plus, le Burkina Faso a pris des résolutions conformément à l’esprit du Partenariat de Ouagadougou et de Family planning 2020. Le premier cadre est un mouvement né en 2011, dans la capitale burkinabè, pour accélérer les progrès dans l’utilisation des services de PF dans neuf pays de l’Afrique de l’Ouest francophone. Le second est une initiative mondiale, qui a vu le jour au sommet de Londres, en 2012, sur la PF, pour faire du droit en la matière, une réalité. Au Burkina Faso, la lettre de ces deux visions, qui s’intègrent au niveau national, a été traduite dans un plan de relance de la planification familiale. Dans la première phase dudit plan, sur la période 2013-2015, l’ambition était de recruter 332 000 nouvelles utilisatrices de produits contraceptifs, pour faire passer le Taux de prévalence contraceptive (TPC) de 15 à 25%. Les objectifs visés ont-ils été atteints ? A cette interrogation, Dr Isabelle Bicaba invite à attendre l’évaluation du plan ou des enquêtes populationnelles pour obtenir des chiffres fiables. Néanmoins, elle affiche un optimisme. « Nous pouvons être satisfaits », lance Dr Bicaba, qui dit se fonder sur les données de routine des centres de santé selon lesquelles les objectifs sont atteints. Elle évoque aussi des tendances de l’Institut national de la statistique et de la démographie (INSD) qui ont relevé, en 2014, un taux de 24%. Le coordonnateur de BURCASO, Ousmane Ouédraogo, lui, également, déclare que les indicateurs laissent présager que le Burkina va atteindre ces objectifs. « Même si nous atteignons les 25% de couverture PF, ce n’est pas un bon taux », nuance Dr Bicaba. Elle signale que l’aspiration du "Pays des Hommes intègre”, in fine, est de réaliser une révolution contraceptive, avec des TPC atteignant 70, voire 80%. Cela suppose que l’on réussisse à surmonter les adversités de divers ordres qui empêchent encore la femme, la fille et les jeunes dans leur ensemble, de jouir pleinement et à visage découvert, du droit à la PF.

Les hommes au banc des accusés

Pour le responsable du Centre d’écoute pour jeunes de La mission de l’Association burkinabè pour le bien-être familial (ABBEF) de Koudougou, Nestor Lallogo, le principal obstacle est à rechercher du côté des hommes (voir encadré 1). L’amère expérience récemment vécue par l’une des équipes du Centre atteste bien cette lecture de la situation. La scène se déroule à Kolgrogogo, un village situé à une dizaine de km à l’Est de la ville. L’ABBEF y est déployée en stratégie avancée, c’est-à-dire s’y est déplacée pour offrir des services de PF. Comme il est de coutume lors de ces sorties, l’opération commence par une causerie avec les femmes de la localité, mobilisées à l’occasion, sur des informations d’ordre général sur la PF. Ensuite, celles qui sont intéressées bénéficient de counseling spécifique. C’est entre les deux étapes qu’un garçon, d’une douzaine d’années, arrive à vive allure sur son vélo. N’ayant pas de freins, c’est à l’aide de ses pieds qu’il tente d’immobiliser sa monture, non sans soulever la poussière. Essoufflé, respirant à fond, il s’adresse, en langue nationale mooré couramment parlée dans le village, au groupe de femmes assises. En substance, il dit ceci : « Mon père m’a chargé de venir te mettre en garde que si jamais tu prends une de ces choses-là (contraceptifs), ce serait mieux pour toi de suivre, en même temps, l’équipe (ndlr : de l’ABBEF) ». Ce message lancé au groupe a bien un destinataire. Sitôt le messager reparti d’où il est venu, qu’une dame se lève et quitte les autres, sans piper mot. De l’avis de M. Lallogo, l’hostilité encore vivace de certains époux vis-à-vis de la planification familiale, est liée, en partie, aux prêches pourfendeurs de leaders religieux et aux considérations socioculturelles. Ce genre de prises de position, à l’analyse de M. Lallogo, relève, soit de l’hypocrisie, soit d’une déconnexion d’avec les réalités du moment. De l’hypocrisie, parce qu’il se rappelle avoir été approché par l’un de ces leaders pour un service d’avortement (ndlr : il précise que sa structure n’avorte pas, mais offre des services de soins post-avortement) sur l’épouse de ce dernier. En effet, explique-t-il, la femme en question était (re) tombée enceinte à peine que ses règles aient réapparu, juste quelques mois après l’accouchement. Le leader religieux en cause, poursuit Nestor Lallogo, avait peur d’être la risée de ses fidèles du fait d’avoir des enfants « trop rapprochés ». « Faut-il continuer à faire la politique de l’autruche face à la précocité sexuelle des jeunes ? », questionne, pour sa part, Armel Yaméogo, pair éducateur de 26 ans au secteur n°4 de la « Cité du cavalier rouge », l’autre nom de Koudougou. Cela fait six ans, que Armel multiplie les causeries sur les questions de Santé de la reproduction (SR). Il affirme, sans sourciller, que c’est méconnaître ses pairs jeunes que de leur proposer uniquement l’abstinence. « Dans notre démarche, nous leur proposons toujours le triptyque A, B et C. A, comme abstinence ; B comme la Bonne fidélité avec une personne non infectée; ou bien vous choisissez d’utiliser la Capote, donc le C.», a développé M. Yaméogo. Avant de défendre : « Nous ne les encourageons pas à avoir des rapports sexuels. Mais au cas où ils voudront y aller, qu’ils en connaissent les risques et les moyens de protection ». Au moment où nous terminons nos échanges avec le pair éducateur dans l’enceinte de l’antenne ABBEF de Koudougou, une jeune fille sort du bâtiment, l’air désemparé et la mine défaite. « Elle a 14 ans, elle vient de chez la sage-femme où elle a appris qu’elle est enceinte…elle ne veut pas garder la grossesse», apprend-on plus tard. Nos tentatives pour tirer les vers du nez à la sage-femme, Mme Brigitte Bayili, à propos de la jeune patiente, sont restées vaines, confidentialité oblige. En revanche, Tantie Bayili, comme on l’appelle, concède à nous confier : « Nous recevons en moyenne 18 cas d’avortement, sans distinction de type (provoqué ou non), par mois. La plupart du temps, il s’agit d’adolescentes enceintées par des partenaires approximativement du même âge ». A l’échelle nationale, une étude de l’Institut supérieur des sciences de la population (ISSP) et Guttmacher Institute publiée en 2014 révèle qu’au Burkina Faso, un tiers de toutes les grossesses ne sont pas intentionnelles, et un autre tiers de ces cas se terminent par un avortement.

Les préjugés persistent

La méfiance des populations vis-à-vis de la PF tient aussi à des insuffisances en matière d’information sur la contraception. Il s’agit moins d’information sur l’existence de produits contraceptifs. Car, les résultats de l’Enquête démographique et de santé (EDS) de 2010 montrent que 97% connaissent, au moins, une méthode contraceptive quelconque. Le problème communicationnel d’actualité est lié aux nombreux préjugés qui hantent ces produits. « Ce n’est pas pour les jeunes filles, les produits contraceptifs font grossir, rendent stériles… », véhicule-t-on. Le pire est que ces informations n’émanent pas que de néophytes. Elles proviennent, parfois, d’agents de santé ou de l’action sociale, d’enseignants, de mères, etc. En tout cas, de sources a priori fiables. L’appréhension autour de supposés effets stérilisants des contraceptifs a gardé Simone Nikiéma, longtemps, loin de la PF. Cette épouse d’une trentaine d’années, dit avoir « aligné », selon ses propres termes, cinq enfants en dix années de mariage avec son conjoint, vigile de profession. Simone affirme que le nombre ainsi que le rapprochement de ces grossesses ne lui ont pas permis de se reposer et de s’occuper convenablement de son petit commerce de condiments. Aujourd’hui, bien qu’elle ait décidé de se mettre sous contraception, Simone n’a pas vraiment vaincu les rumeurs sur la contraception. Puisque le jour où nous l’avons rencontrée, dans la matinée du 22 janvier 2016, elle était venue pour changer de méthode contraceptive au centre d’écoute pour jeune de l’ABBEF à Koudougou. La raison principale de ce changement, c’est qu’une de ses voisines de cour vivrait des effets secondaires désagréables d’un contraceptif. Il s’agit du même qu’elle utilisait. « Avez-vous vécu les mêmes effets » ? Avec un sourire, elle répond par la négative à notre question. Tout compte fait, elle demeure dans son droit de pouvoir choisir volontairement une méthode PF.

Un problème d’équité

Par ailleurs, la reconnaissance des droits à la PF implique la facilité d’accès aux services de contraception. C’est dire qu’une femme, quel que soit son lieu de résidence, devrait pouvoir accéder à la méthode contraceptive de son choix. Cela signifie que la structure sanitaire de niveau primaire, c’est-à-dire le Centre de santé et de promotion sociale (CSPS), doit offrir toute la gamme de contraceptifs introduite au Burkina Faso. Mais, pour le moment, le pays ne parvient pas à assumer pleinement cette obligation. La faute aux normes des services de SR en vigueur, qui ne permettent pas à une catégorie d’agents, de procurer un certain nombre de produits. Ainsi, il faut, au moins un infirmier d’Etat/sage-femme pour faire l’injectable, poser ou retirer l’implant et le Dispositif intra-utérin (DIU). Les Infirmiers/accoucheuses brevetés (IB/AB), les Agents itinérants de santé (AIS), les accoucheuses auxiliaires, qui constituent pourtant le gros du personnel dans les CSPS ne peuvent pas prescrire ou administrer ces services PF. Donc, face à ces agents « non qualifiés… », les choix de la cliente sont de facto réduits à la planification familiale naturelle, aux contraceptifs oraux (pilules), aux barrières de base (condoms masculins et féminins, etc.), entre autres. Si la femme ne trouve pas son compte dans les propositions à lui faites, il lui reste deux choix : soit elle abandonne son projet de PF, soit elle va dans d’autres structures de santé, plus éloignées. C’est cette dernière option que la maman (qui a requis l’anonymat) de Angéla, un bébé de 11 mois, a prise. Cette enseignante en poste à Samba dans le Passoré, a dû se déplacer dans la « Cité du cavalier rouge », pour accéder à la méthode contraceptive de son choix. « Maman Angéla », qui affirme vouloir se reposer, « cinq ans durant », avant de « faire le petit frère de Angéla », a été obligée de parcourir, en une journée, les 53 km (106 km en aller-retour) qui séparent les deux localités. « Il y a forcément un problème d’équité lorsqu’en milieux rural et périurbain, des femmes sont limitées dans leur choix de méthodes contraceptives», note avec regret, le coordonateur de BURCASO, Ousmane Ouédraogo. C’est pourquoi, de nombreuses OSC ont fait le plaidoyer en faveur de la délégation des tâches. Autrement dit, la formation des prestataires peu qualifiés et des agents communautaires pour fournir des services de santé de la reproduction, dans l’optique d’accroître l’accès à la PF.

Démocratiser et décentraliser

L’appel a été entendu, assure la DSF, Dr Isabelle Bicaba. « Il n’y a pas d’obstacles à la marche vers la délégation des tâches », répond-elle tout de go. Elle confie qu’un projet pilote élaboré à ce propos, a été validé, en novembre 2015. Elle ajoute que plus de la moitié (environ 700 millions de F CFA ) des ressources nécessaires a été mobilisée pour cette phase qui va concerner quatre régions (sur 13) du Burkina Faso. Il s’agit du Centre, du Centre-Ouest, de la Boucle du Mouhoun et des Hauts-Bassins. De façon formelle, il sera permis aux personnels, jusque-là non qualifiés, en fonction de leur formation de base, de pouvoir offrir certaines méthodes contraceptives. « Cela va se faire en formation continue pour ceux qui sont déjà sur le terrain. Pour ceux qui sont à l’école, nous allons inclure les modules dans leur curricula de formation pour qu’ils sortent déjà avec les aptitudes à offrir ces méthodes », détaille la DSF. Elle fait savoir qu’en réalité, il y a déjà, par moment, une délégation de fait des tâches. Dr Isabelle rapporte qu’il arrive que des sages-femmes apprennent « les gestes » à leurs collègues accoucheuses afin que ces dernières puissent pratiquer, sous leur supervision. Cependant, pour la délégation de certaines tâches au niveau des agents de santé à base communautaire, la DSF pense qu’il va falloir attendre plus longtemps. Actuellement, ces agents peuvent assurer le réapprovisionnement en condoms et pilules. Pour les autres produits, il faut plus de délicatesse dans l’administration, alors que, certains ASC sont des personnes âgées et ne savent ni lire ni écrire, justifie le médecin. Avec la redéfinition du profil des ASC par le ministère de la Santé, Dr Bicaba espère avoir affaire, prochainement, à des ASC plus jeunes, lettrés et habiles. A ceux-ci, indique-t-elle, des modules pourront être dispensés sur la manipulation d’autres contraceptifs. Toutefois, les efforts pour démocratiser la contraception ne serviront pas si cette offre ne rencontre pas une forte demande. Jusque-là, les populations, à une grande majorité, ont toujours un esprit pro-nataliste, diagnostique la DSF. Pour preuve, le nombre d’enfants par femme est quasiment stagnant à six. Or, l’enquête multisectorielle continue de l’INSD de 2014, relève que la pauvreté croit avec le nombre de personnes du ménage. Il ressort que les individus des ménages les plus pauvres sont ceux des familles de taille importante (huit personnes et plus). C’est pourquoi, le responsable de l’ABBEF Koudougou soutient qu’il faut poursuivre les activités de communication pour un changement de mentalité aussi bien des hommes, des religieux, des agents de santé, que des femmes elles-mêmes. Si l’enfant est perçu comme un don de Dieu, l’on a la possibilité de choisir « comment et quand accepter ce don », fait-il comprendre.

Koumia Alassane KARAMA
(karamalass@yahoo.fr)
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Sidwaya N° 7229 du 8/8/2012

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