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Luc Marius Ibriga, Contrôleur général de l’ASCE-LC á propos de la déclaration de biens :« c’est une obligation qui peut conduire à la perte de la fonction occupée »
Publié le vendredi 12 fevrier 2016  |  Le Pays
Luc
© Autre presse par DR
Luc Marius Ibriga ,contrôleur général d’Etat de l’ASCE.




La déclaration des biens des personnalités continue d’alimenter les débats au sein de l’opinion publique. Celle du président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, faite au Conseil constitutionnel le jour de son investiture, a été jugée incomplète par le Réseau national de lutte anticorruption (REN-LAC). « Le REN/LAC a raison », rétorque le Contrôleur général de l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE-LC), Luc Marius Ibriga. Toutefois, celui-ci précise que la faute revient plutôt au cahier de déclaration qui n’a pas été mis à jour conformément à la loi. « Ce cahier de remplissage est incomplet et ne donne pas toutes les informations que l’on aurait dû donner. L’ASCE-LC est en train de le revoir et tout le monde va reprendre la déclaration sur le nouveau formulaire », a-t-il annoncé dans une interview qu’il nous a accordée, le jeudi 4 février 2016 à Ouagadougou. Dans cette interview, le Contrôleur général évoque la situation de la déclaration des biens des anciens dignitaires et dévoile les sanctions encourues par ceux qui ne se seraient pas exécutés ainsi que les moyens dont dispose l’ASCE-LC pour accomplir ses missions.

Le Pays : Combien d’anciens dignitaires de la Transition sont en règle vis-à-vis de la déclaration des biens ?

Luc Marius Ibriga : A ce niveau, il faut sérier deux choses, à savoir la situation gérée par la Charte de la Transition et celle qui relève de la loi n°004-2015/CNT portant prévention et répression de la corruption au Burkina Faso. La Charte de la Transition faisait obligation aux membres du gouvernement et aux hauts responsables de la Transition de faire la déclaration de leurs biens un mois après leur entrée en fonction. Et un mois après la fin de leur mission, ils devraient déclarer leurs biens auprès du Conseil constitutionnel qui est chargé de les faire publier. A ce jour, au niveau de l’ASCE-LC, nous n’avons pas de responsabilité concernant ces déclarations de patrimoine faites au Conseil constitutionnel qui, avec la Cour des comptes, est chargé de vérifier la déclaration des biens des membres du gouvernement de la Transition et des hauts dignitaires de la Transition. Maintenant, il y a la nouvelle loi, celle n°004-2015/CNT qui, en ses articles 13 et suivants, pose le problème de la déclaration de patrimoine. A ce niveau, la déclaration est faite, pour les politiques, au greffe du Conseil constitutionnel qui transmet une copie à l’ASCE-LC qui est chargée de la publication de ces déclarations. C’est dans ce cadre qu’après la déclaration des biens du président du Faso faite le jour de son investiture, une copie nous a été envoyée par le Conseil constitutionnel et nous avons immédiatement saisi le Secrétariat général du gouvernement et du Conseil des ministres pour la faire publier. Donc, la déclaration est, depuis le mois de décembre dernier, aux mains du Secrétariat général du gouvernement et du Conseil des ministres. Ce sont les activités matérielles de publication dues à l’imprimerie parce que ces déclarations sont manuscrites. Il y a une sorte de cahier que l’impétrant remplit de sa main. Mais quand on veut publier au Journal officiel du Faso, il faut reprendre cela sous un certain nombre de formats. A ce jour, nous pensons que les formations matérielles devraient permettre la publication de la déclaration du patrimoine du président du Faso qui est d’ailleurs déjà dans le domaine public puisque tout le monde a déjà parlé du contenu. Maintenant, nous n’avons pas, jusqu’à présent, reçu de la part du Conseil constitutionnel, en ce qui concerne les politiques, de déclarations des biens des membres du nouveau gouvernement. Nous n’avons pas non plus été saisis au sujet de déclarations de biens concernant les ministres de la Transition. Nous ne nous attendions pas à cela puisqu’ils sont régis par un autre texte. La question doit être donc posée au Conseil constitutionnel pour savoir s’il a reçu les déclarations des biens des dignitaires de la Transition. A notre connaissance, quelque temps avant la fin de la Transition, le chef du gouvernement avait prié l’ensemble des ministres de faire leur déclaration de biens et de les faire rassembler.

Est-ce que cela a été transmis ou pas ?

Je ne saurais le dire. Il faut s’adresser au Conseil constitutionnel pour en savoir davantage.

Quelles sont les sanctions qu’encourent ceux qui ne se sont pas encore exécutés ?

Dans le cadre des textes de la Charte de la Transition, il n’avait pas été prévu de sanction particulière. Mais dans le cadre de la loi n°004-2015/CNT, il y a des sanctions parce que cela suppose que la personne se voit une rupture de salaire faite sur ses émoluments et cela peut aller jusqu’à la perte de la fonction qu’elle occupe. Normalement, il y a un rappel qui lui est fait par l’ASCE-LC et si dans le délai imparti, la personne ne le fait pas, il y a des sanctions. A ce niveau, il y a des dispositions qui concernent cette obligation. Ainsi la loi 004-2015/CNT indique en son article 18 qu’il est fait obligation aux personnes visées aux articles 14, 15 et 16 de communiquer à l’ASCE-LC, pendant l'exercice de leur mandat ou de leur fonction, toutes les modifications de leur patrimoine dépassant 100% de leur revenu annuel imposable. Et l’article 19 précise que l’ASCE-LC est chargée de vérifier l’accomplissement de ces formalités auprès des greffes du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation et des Tribunaux de grande instance dans les délais impartis et, le cas échéant, d’en faire le rappel conformément aux dispositions de l’article 29. Cet article indique que toute personne assujettie à la déclaration de patrimoine qui, à l’expiration des délais prévus aux articles 14, 15, 16 et 116 de la présente loi, et trois mois après un rappel par exploit d’huissier notifié, à la diligence de l’ASCE-LC, à personne ou à domicile réel, n’aura pas rempli cette formalité, est privée d’un quart de ses émoluments jusqu’à ce qu'elle fournisse la preuve de l'accomplissement de cette formalité. L’ASCE-LC a pour obligation de produire ce rappel dans un délai de soixante jours. Et « toute personne qui, sciemment, fait une déclaration incomplète, inexacte ou fausse, ou a formulé de fausses observations dûment constatées, est privée du tiers de ses émoluments avec poursuites judiciaires » (article 30). Au vu de ces dispositions, cela est clair. Si d’aventure, après le délai imparti, nous n’avons rien reçu, nous allons saisir le chef du gouvernement pour qu’il rappelle à tous les membres du gouvernement de faire leur déclaration de bien. Et si ce n’est pas fait, sur leur traitement de ministres, on va prélever un quart avec ce que tout cela peut comporter. C’est une obligation qui peut conduire à la perte de la fonction occupée.

La déclaration de ses biens faite au Conseil constitutionnel par le président du Faso est jugée incomplète par le RENLAC. Qu’en dites-vous ?

Le dossier a été jugé incomplet parce qu’il a été fait sur la base d’un cahier de déclaration préparé par le Conseil constitutionnel. Ce cahier de déclaration n’a pas été mis à jour conformément à la nouvelle loi. Et actuellement, le Conseil constitutionnel, la Cour des comptes, l’ASCE-LC sont en discussion pour refaire le document de déclaration afin qu’il soit le plus complet possible. Parce que tel qu’il se présentait dans la déclaration, on mettait l’accent sur les biens immobiliers et les biens meubles. On demande si vous avez, par exemple, des poulets, des bœufs, des chevaux, des maisons bâties ou non. Et même pour les comptes bancaires, il n’y a pas de place dans le document pour les remplir. Idem pour les actions dans les sociétés. On demande seulement si la personne a des actions mais on ne demande pas quel est son patrimoine, ni combien lui rapportent ses actions. Il faut que l’on améliore la déclaration pour pouvoir, par exemple, au niveau des actions, juger de ce que les actions ont rapporté à la personne les trois dernières années. Cela permet de voir le patrimoine de l’intéressé. Donc, nous sommes actuellement en réflexion et l’ASCE-LC doit effectuer bientôt des missions d’exploration dans d’autres pays pour voir comment ces déclarations sont faites afin de d’améliorer notre fiche de déclaration. Et c’est sûr que nous demanderons à tout le monde de devoir se plier à la nouvelle exigence pour avoir une déclaration exhaustive. Sinon, si vous voyez le cahier de déclaration, vous constaterez en personne qu’il n’est pas complet. D’ailleurs, pour le remplir, il y a des endroits où la personne qui doit faire sa déclaration de biens doit écrire tout petit parce qu’il n’y a pas assez d’espace. Alors que si l’on pouvait le faire sur un support électronique, les gens pouvaient le remplir comme ils veulent avant de l’imprimer et signer ou bien envoyer cette version scannée. Le REN/LAC a raison parce que si l’on est marié sous le régime de biens communs, ce qui appartient à la femme appartient aussi à l’homme, cela fait aussi partie de son patrimoine. Quand vous prenez un compte, les gens veulent savoir combien existe dans ce compte. Mais ce n’est pas cela qui est le plus important. On peut avoir 100 000 FCA dans son compte et quelques minutes après, il y a un problème, je pars retirer et le compte se vide. Ce qui est important, ce sont les mouvements dans le compte. Cela veut dire que la personne donne son compte et l’ASCE-LC peut aller demander les différents mouvements dans ce compte.
Suivant votre argumentaire sur l’état de la fiche de déclaration, on peut dire que la faute ne revient pas au président Roch Marc Christian Kaboré…
Oui, c’est la fiche qui est incomplète. Elle ne donne pas toutes les informations que l’on aurait dû donner. Dans la fiche, par exemple, on ne demande pas de dire ce que les actions ont rapporté à la personne qui déclare ses biens, mais si la personne a des actions dans les entreprises et autres. C’est tout. On peut dire en son temps que cela a été fait sciemment pour garder secrets certains biens puisqu’ils n’étaient pas publiés. Maintenant que c’est publié, il faut que l’on puisse savoir, pour une action, ce que l’on récolte comme dividende. Il y a aussi la possibilité de préciser un certain nombre de choses dont la partie réservée au conjoint ou conjointe, pour le régime patrimonial, etc. Nous sommes en train de revoir cette fiche de déclaration et tout le monde va reprendre sa déclaration de patrimoine sur le nouveau formulaire. Que le REN/LAC se rassure. Au moment où nous allons vouloir arrêter la fiche qui sera prise par un acte, tous les acteurs de la lutte contre la corruption seront invités pour que l’on ait une fiche qui réponde aux besoins de tous.

Est-ce que l’ASCE-LC dispose de moyens pour vérifier les biens déclarés par une tierce personne ?

Aujourd’hui, si l’ASCE-LC, dans ses activités, en vient à demander aux banques de lui fournir des mouvements de compte d’une tierce personne suivant une période bien déterminée, la loi dit que les banques ne peuvent pas lui opposer le secret bancaire. Donc, il y a cette possibilité de vérification. Par rapport aux biens immobiliers, cela suppose et c’est là où la question est importante, que l’on donne les moyens à l’ASCE-LC de pouvoir aller vers des expertises. Si quelqu’un déclare par exemple qu’il a une maison qui vaut 50 millions, si l’ASCE-LC veut vérifier, il faut qu’elle puisse faire une expertise contradictoire. Il faut des expertises contradictoires pour pouvoir dire si cette déclaration est fondée ou pas avec une certaine marge d’erreurs. Parce qu’une maison peut être bâtie à 50 millions au moment de sa construction et comme elle se trouve dans un endroit qui n’a plus de la valeur, elle perd aussi de la valeur. Tout cela suppose que l’ASCE-LC puisse s’attacher les services d’experts et cela coûte de l’argent. Il ne faut pas que l’on pense que les contrôleurs d’Etat vont se transformer brusquement en experts immobiliers pour aller vérifier. Ils devront avoir le concours d’experts qui vont évaluer et leur permettre d’avoir la balance pour voir s’il y a eu enrichissement illicite ou si la personne doit être passible de délit d’apparence et justifier son patrimoine.

Est-ce que l’ASCE-LC ne peut pas aller au-delà du Journal officiel du Faso pour rendre publiques les listes des biens des dignitaires ?

Non, parce que cela relève de la question juridique de l’opposabilité. Cela veut dire que le délai qui court après la publication au Journal officiel du Faso et qui fait que l’information fait foi et que les autres citoyens peuvent considérer que cette information est vraie, ils peuvent la contester. Quand on publie la loi au Journal officiel du Faso, il y a un certain temps, il fallait 8 jours francs, avant que la loi ne puisse vous être opposée. Parce que le temps que vous puissiez prendre connaissance de la loi, on considérait qu’il faut 8 jours francs. Et à partir de ce moment, si vous n’observez pas la loi, on peut vous sanctionner. Là aussi, il faut qu’il y ait un certain temps pour que ce qui est considéré comme véridique, quand il est publié au Journal officiel du Faso, c’est la sanction de l’exactitude, donc le temps nécessaire pour que les gens puissent contester. Puisque nul ne peut être tenu, s’il n’est informé de l’existence de la loi. Donc, pendant la période de la publication, avant que ce ne soit publié, l’intéressé peut venir pour dire qu’il avait, par exemple, oublié quelque chose et une fois que c’est publié, cela veut dire que sciemment il a occulté un aspect. C’est pour cela que l’on veut que ce soit publié au Journal officiel du Faso. Et quand vous allez le reprendre, c’est quelque chose qui est considéré comme authentique. Sinon, on peut l’envoyer dans les journaux. L’intéressé même peut décider de l’envoyer dans les journaux. Mais la valeur juridique de sa déclaration qui peut l’amener à être poursuivi pour fausse déclaration, ne viendra que par la déclaration du Journal officiel du Faso.

Quelle est la finalité de l’exercice de déclaration des biens ?

La déclaration des biens a deux finalités majeures. La première est d’instaurer une culture de lutte contre la corruption à savoir que ceux qui gouvernent doivent considérer que le service qu’ils rendent à la Nation ne doit pas être l’occasion d’une prédation de la République. Voilà pourquoi on leur demande de déclarer ce qu’ils ont comme biens avant de prendre fonction et ce qu’ils en ont au moment où ils finissent d’accomplir leurs missions. On fait la balance pour savoir ce qu’ils ont eu. Et ce qu’ils ont obtenu dans l’intervalle correspond aux ressources qu’ils ont honnêtement eues pendant la période. Donc, cela a une valeur d’exemplarité à savoir que ceux qui sont susceptibles d’avoir la main dans la bourse pour prendre l’argent ne le font pas. Pour dire que ceux-là aussi doivent respecter le bien public. Cela veut dire également que l’on veut qu’il y ait une gouvernance vertueuse. Il ne faut pas qu’à la tête de l’Etat, de nos structures, de notre haute administration, de nos collectivités territoriales, etc, il y ait des gens qui ne soient pas mus par le bien commun et l’intérêt général. Quand vous prenez la liste de tous ceux qui doivent faire leur déclaration de patrimoine, il y a des milliers de personnes qui sont concernées. On peut citer entre autres, les responsables d’organisations associatives, d’organes de presse, les personnes occupant les emplois de l’administration civile et militaire, les présidents et vice-présidents des universités, les représentants des collectivités territoriales, etc. (voir liste en encadré).

Est-ce que vous pourrez amener tous ces milliers de personnes à déclarer leurs biens ?

Bien sûr. Parce que la loi a imaginé un système décentralisé. Cela veut dire que selon là où vous êtes, vous faites la déclaration au greffe du tribunal de grande instance du ressort qui l’envoie à l’ASCE-LC. Mais les politiques, les parlementaires et autres plus le pouvoir judiciaire le font au greffe au Conseil constitutionnel et il revient à l’ASCE-LC de le faire publier. Mais c’est uniquement pour les politiques, c'est-à-dire le pouvoir législatif et les membres du gouvernement, qui est publié. Pour les autres, cela doit rester confidentiel et cela pose un problème de moyens. L’ASCE-LC doit avoir les moyens de garder confidentielles les déclarations des responsables des organisations associatives ou d’organes de presse par exemple. La loi a donné jusqu’au mois de mars prochain pour que l’application soit effective. A partir de cette date, on écrira aux personnes concernées pour leur demander de faire les déclarations de leurs biens. Mais sur ce point, il faut que nous puissions garder la confidentialité. Ceux pour qui on doit publier sont limitativement énumérés par la loi (les membres du gouvernement et les députés). Pour les autres, ce sera gardé au secret et c’est l’ASCE-LC qui peut demander à ces gens de prouver l’exactitude de leurs biens. Et si le juge ou un organe judiciaire a besoin d’informations, l’ASCE-LC peut lui en donner. Cela suppose la mise en place d’une infrastructure technique qui permet de garder la confidentialité. Ce qui serait bien, c’est que les citoyens qui veulent voir la déclaration des biens des autres et qui seront concernés, acceptent de faire leur déclaration en mettant la leur sur la place publique.



Interview réalisée par Saïdou ZOROME (Collaborateur)
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