Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Femmes    Pratiques    Le Burkina Faso    Publicité
aOuaga.com NEWS
Comment

Accueil
News
Société
Article
Société

Associations d’auto-défense Kogl-Wéogo : dans l’univers des justiciers populaires
Publié le vendredi 5 fevrier 2016  |  Sidwaya




Les associations Kogl-Wéogo, structures villageoises d’auto-défense spécialisées dans la lutte contre le vol, les braquages et les attaques à mains armées, font parler d’elles depuis un certain temps dans diverses localités du pays. Accusées à tort ou à raison de porter atteinte aux droits de l’Homme, à la dignité et d’assassinats, elles sont décriées et craintes d’un côté, applaudies et adulées de l’autre. Sidwaya est allé à la découverte de ces justiciers populaires qui défraient la chronique.

Issiaka Diallo est un éleveur dans le village de Ballogo, dans la province du Ziro, région du Centre-Ouest. En 2013, il est accusé par Aladji et Hamidou Diandé, de complicité de vol de 12 têtes de bœufs. Très vite, les deux frères plaignants saisissent un comité villageois d’auto-défense nommé Kogl-Wéogo, qui signifie en français littéral «protéger l’environnement». Ce dernier est chargé de traquer les voleurs. Le comité mène ses investigations et met le grappin sur deux présumés voleurs des bovins. Soupçonné d’être de mèche avec les deux interpellés, Issiaka Diallo est appelé à la barre du tribunal populaire des Kogl-Wéogo de Tiaré, village situé à une trentaine de kilomètres de Sapouy, chef-lieu de la province du Ziro. « J’ai refusé », raconte l’éleveur, arguant qu’il ne connaît pas les « deux coupables ». Dès lors, sa tête est mise à prix par « les justiciers». Pour échapper aux Kogl-Wéogo, Issiaka Diallo s’exile. Sa cavale prend fin le 7 janvier 2016. Ce jour, il est retrouvé chez lui à Ballogo, où il vit avec sa femme, ses enfants et son troupeau. Saisi par des inconnus, il est conduit avec une autre personne, accusée de vol à Koumilli, à une vingtaine de kilomètres de Tiaré. Au tribunal des Kogl-Wéogo, il vit les pires moments de son existence. « On chauffe le fouet, l’enduit de beurre de karité et me roue de coups », nous conte-t-il le 9 janvier, la voix étreinte par l’émotion. Il est ainsi passé à tabac, 24 heures durant. « Je ne pouvais même plus me lever », se souvient-il, le visage triste. Les cicatrices laissées par les coups sur son dos en disent long sur son calvaire. En plus du supplice, M. Diallo se voit retirer sa moto, qu’il dit avoir achetée à la sueur de son front. Il abandonne les siens et se réfugie cette fois-ci chez son frère Mamadou Diallo à Ouagadougou. Là, il prend attache avec la justice et réclame sa motocyclette qui lui a été retirée contre une amende de 455 000 F CFA.
A la suite de ses révélations qui ont créé le « buzz » dans les médias et auprès d’une partie de la population, nous décidons de nous rendre sur le terrain pour comprendre l’univers des hommes de Kogl-Wéogo. Très vite, nous nous rendons compte que leur espace d’intervention va au-delà du village de Tiaré. En plus d’être dans presque tous les villages du Ziro, on les retrouve dans le Zoundwéogo, le Ganzourgou et dans bien d’autres provinces du « pays des Hommes intègres », d’où les différents démembrements de l’association agissent en synergie. Disposant de téléphones portables, et dotés de carburant, la « police » de Kogl-Wéogo patrouille 24 heures/24.

Notre périple nous conduit à Manga, Zorgho, Méguet, Boulsa et Koupèla.

Kaïbo, village situé à une vingtaine de km de Manga dans la région du Centre-Sud. Dans cette localité, les Kogl-Wéogo sont appelées ‘’Pab n’sonsè’’ qui signifie littéralement ‘’bastonner en causant’’. Lorsque nous arrivons dans ce village, nous sommes accueillis par un groupe d’une dizaine de personnes dont l’âge varie entre 45 et 65 ans. « L’arbre à palabre est juste à quelques mètres d’ici, nous irons ensemble », nous lance Souleymane Compaoré, porte-parole de la section Kogl-Wéogo de Kaïbo. Nous les embarquons dans le véhicule de Sidwaya. Cinq minutes de route, nous voilà sous l’arbre. Quelques instants plus tard, le groupe se gonfle. Ils sont presqu’une cinquantaine. Visiblement fiers de parler de sa structure qui a vu le jour le 13 avril 2015, le porte-parole se livre à son historique. « C’est à Rasamkandé que tout a commencé. Un homme qui avait le désir de vendre son bœuf à 410 000 F CFA a fini par l’offrir à son frère indigent. Celui-ci malheureusement s’est vu voler la bête. La conjugaison de leurs efforts a permis de mettre la main sur le voleur. Il avait vendu le bœuf à Pouytenga à la somme dérisoire de 60 000 F CFA. Depuis lors, les habitants de la localité ont décidé d’agir désormais de la sorte pour résoudre ces genres de situation. Ainsi, la belle initiative s’est répandue comme une traînée de poudre jusqu’à chez nous à Kaïbo », relate-t-il. Il ajoute que chaque bureau au niveau village comprend 20 personnes. L’adhésion est libre et soumise à des conditions souples : une copie de la pièce d’identité de l’adhérent, 1000 F CFA et un numéro de téléphone. Dans le Zoundwéogo, Kogl-Wéogo compte 92 sous-sections réparties dans les différents villages. Au bas chiffre, ils sont plus de 1800 membres, si l’on tient compte des 20 personnes que compte chaque sous-bureau. Pour Souleymane Compaoré, depuis la mise en place des structures, le banditisme a nettement diminué. De l’avis du président du tribunal populaire de Kaïbo, El Hadj Hamidou Ouédraogo, les châtiments infligés aux voleurs et à leurs complices entrent dans l’ordre des ‘’ procédures’’ de leur association. « Si vous attrapez quelqu’un parce qu’il a volé votre animal, et vous pensez qu’il reconnaîtra son forfait à l’issue de simples questions, vous perdez votre temps », justifie-t-il.

Des amendes pécuniaires

Sur les questions d’assassinats, El Hadj Ouédraogo nie tout en bloc. Il souligne que leur objectif n’est pas d’ôter la vie aux voleurs, mais plutôt de réduire les cas de vol de bétail. « Les policiers et les gendarmes nous prennent pour des gens venus se substituer à eux. Et pourtant ce n’est pas le cas », indique le président Ouédraogo.
Saïdou Bikienga est le président des Kogl-Wéogo de Kourittenga. Contrairement à la section de Kaïbo, dans les deux localités, les frais d’adhésion s’élèvent à 2000 F CFA. Mais, la copie de la pièce d’identité et les amendes, elles, sont des dispositions standard chez toutes les associations Kogl-Wéogo. Les amendes infligées, de l’avis de Saïdou Bikienga, varient en fonction de la gravité du délit. Pour un œuf volé, le fautif paie 15 000 F CFA, 55 000 F CFA pour un poulet, un canard ou un coq contre 155 000 F CFA pour un mouton ou un porc volé, et 305 000 F CFA pour un bœuf, un cheval ou un âne. « Toutes ces amendes n’ont pour autre but que de dissuader tout potentiel récidiviste. On nous accuse de nous faire de l’argent. Mais en réalité, l’argent que nous percevons ne sert qu’à financer nos déplacements dans le cadre de nos rondes et nos enquêtes », développe M. Bikienga. Pour lui, les détracteurs des Kogl-Wéogo ignorent les réalités des villages. « Si on peut mettre derrière chaque éleveur, famille ou citoyen, un agent de police ou de la gendarmerie pour éviter qu’on les vole, nous allons laisser tomber nos activités. Sans cela, nous allons continuer à protéger nos biens », rétorque-t-il, l’air révolté.

Des dérives

Il affirme que certains policiers, gendarmes ou agents de la justice sont complices des braqueurs. «Nous avons arrêté plusieurs fois des voleurs. Dans leurs portables figuraient des numéros de gendarmes ou de juges. Quand nous appelons, les intéressés décrochent. Dans la communication, l’on déduit qu’ils sont familiers. Vous amenez ce voleur devant son ami gendarme ou juge, il va le juger comment? », s’interroge le président des Kogl-Wéogo du Kourittenga. Concernant les armes qu’ils détiennent, ils déclarent qu’il y en a qui ont été acquises légalement et d’autres retirées avec les braqueurs.
« Les procédures ». C’est ainsi que l’on pourrait qualifier les sévices corporels infligés aux présumés voleurs par les Kogl-Wéogo. Comme Issiaka Diallo, dans la Sissili, Paul Zoungrana, habitant du village de Yinga dans le Kourittenga, a connu la terreur des Kogl-Wéogo. Sauf que dans ce dernier cas, c’est l’intéressé lui-même qui a été accusé de vol de 2 bœufs appartenant à Mathieu Damiba, habitant de Nakalbo, village voisin de Yinga. En effet, suite à une plainte du sieur Mathieu, Paul est détenu à la brigade de gendarmerie de Koupèla pendant six jours avant d’être libéré. Cette libération ne rencontre pas l’assentiment de Mathieu Damiba qui s’attache les services des Kogl-Wéogo de Zorgho. Paul Zoungrana est alors enlevé par six hommes armés, le 5 décembre 2015 à son domicile. Il est ligoté et suspendu à un arbre dans la brousse, bastonné avec des fouets flambés. Les cicatrices sur son dos en disent tout. Il doit sa vie sauve au chef du groupe qui aurait demandé à ses éléments de le libérer, car il n’est pas coupable. C’est ainsi qu’il a pu rejoindre sa famille sept jours après. « Ces différents éléments révèlent l’existence dans notre pays, d’une organisation armée non républicaine, sans limite territoriale avec un pouvoir d’arrestation, de verbalisation et de torture, voire d’exécution sommaire », s’indigne le président de la sous-section du Mouvement burkinabè des droits de l’Homme et des peuples (MBDHP) du Kourittenga, Saïdou Kaboré, dans un communiqué daté du 4 janvier 2016. Celui-ci appelle l’Etat à prendre des mesures draconiennes pour arrêter ces « hors-la-loi ». Embouchant la même trompette, le directeur régional des droits humains et de la promotion civique du Centre-Sud, Adama Ouédraogo, insiste sur le respect de l’intégrité physique des citoyens. Le procureur du Faso près le Tribunal de grande instance de Manga, Bouma Ido, s’inspire d’une anecdote pour démontrer les dérives de ces groupes. Il soutient qu’un habitant d’un village dont il a tu le nom, courtisait la même femme qu’un membre des Kogl-Wéogo. Rien que pour cela, l’homme a été déshabillé et exposé nu au marché du village.

Satisfecit des populations

L’objectif est de le présenter comme un voleur et ainsi l’humilier aux yeux de la dame qui vend au marché. « C’est la preuve que ces personnes peuvent utiliser ces structures pour martyriser les pauvres citoyens. C’est dangereux », condamne l’homme de droit. Autre lieu, même préoccupation. Au Tribunal de grande instance de Kaya, un ressortissant du village de Wagamsé, commune rurale de Tougouri a été condamné pour vol à 24 mois de prison ferme et à 300 000 F CFA d’amende. L’homme a purgé plus de la moitié de sa peine et a bénéficié d’une semi-liberté accordée par le Tribunal. Rentré chez lui, le comité local de Kogl-Wéogo lui demande de verser 300 000 F CFA à sa victime et 300 000 F CFA au comité. Malgré son ticket de semi-liberté délivré par le juge d’application des peines, il est violenté et sommé de payer les 600 000 F CFA ou de quitter le village. Le procureur du Faso près le Tribunal de Kaya a été saisi de cette nouvelle chasse à l’homme.
Du côté des populations, c’est plutôt un souffle nouveau qui règne dans leurs zones respectives avec l’avènement des Kogl-Wéogo. Issiaka Simporé vend des marchandises diverses à Manga. Selon lui, les châtiments contre les voleurs doivent se durcir. « Maintenant, nous sommes en paix. Avant, il ne se passait pas une semaine sans qu’une boutique ne soit cambriolée. Ceux qui dénoncent les pratiques de Kogl-Wéogo ont peut-être raison. Ils n’ont jamais été victimes de forfaits des voleurs », estime le boutiquier. Une vision que Issiaka Nikièma, confectionneur de briques et Ali Diasso, vétérinaire à Manga, partagent. « J’expose mes briques aux abords du goudron. Je peux même dormir ou voyager sans crainte. Avant, cela n’était pas possible », se réjouit le briquetier. M. Diasso, lui, souhaite vivement le retour de certaines pratiques qui avaient cours sous la Révolution afin de mâter les délinquants. Car, dit-il, la démocratie du « Blanc » détruit nos villes et villages. A Zorgho comme à Koupèla, les habitants sont unanimes et catégoriques : il n’est pas question d’envisager la disparition de ces structures d’auto-défense. « Si on me dit de choisir entre la mort et la fin des activités des Kogl-Wéogo, j’opte pour la mort », hurle Abdoul Boukari Bélembouly, responsable des Kogl-Wéogo du village de Méguet.

La collaboration, une nécessité

Le procureur du Faso près le Tribunal de grande instance de Manga, Bouma Ido, pense que ces structures doivent plutôt s’inscrire dans une dynamique de collaboration avec les forces de sécurité provinciales, puisqu’elles n’ont pas de récépissé leur permettant d’exercer légalement. « Tout ce qui n’existe pas légalement est illégal », soutient le magistrat. Selon lui, les méthodes et les objectifs qui sous-tendent la mise en place de ces groupes laissent à désirer. « Ils séquestrent, frappent et jugent », dénonce le procureur. Et Bouma Ido de souligner que parmi certains membres, plusieurs sont des repris de justice. D’autres, révèle-t-il, depuis la naissance de ces associations, se sont retrouvés avec des millions de F CFA dans leurs comptes bancaires ou caisses d’épargne. Il ajoute que les membres, dans leur écrasante majorité, ont délaissé leurs activités quotidiennes, se consacrant entièrement à celles de Kogl-Wéogo, preuve qu’ils sont plutôt soucieux du gain que de la sécurité de leurs concitoyens. « Les méthodes qu’ils utilisent pour appréhender les voleurs sont les mêmes que celles des braqueurs. Cela veut tout dire », dénonce Bouma Ido. « Avant, j’étais radicale qu’il fallait mettre fin aux activités des Kogl-Wéogo. Maintenant que les populations les couvrent et approuvent ce qu’ils font, je pense qu’il faut les réorganiser afin de mettre fin aux dérives et les convaincre à coopérer avec les forces de sécurité », suggère la directrice régionale de la Police nationale du Centre-Sud, le commissaire principal Marie Denise Sebgo. Elle reconnaît que l’intervention de ces groupes leur a permis d’arrêter plusieurs bandits. De son côté, même si le haut-commissaire de la province du Kourittenga, le lieutenant de gendarmerie, Yrwaya Ouédraogo, recommande une mesure forte contre ces équipes, il reconnaît leur utilité dans la traque des délinquants. Pour lui, ce n’est pas du devoir de ces personnes de trancher des litiges, voire passer à tabac un individu sous prétexte qu’il a volé. « Il y a des structures habilitées à le faire. Dans un Etat de droit, il y a des choses que l’on ne doit pas permettre au risque de sombrer », est-il convaincu. A propos de la collaboration, les membres de Kaïbo disent être favorables. Ils avouent avoir cessé les bastonnades, il y a à peine un mois. Et des doléances ont été formulées aux autorités régionales afin d’éviter les dérives et les infiltrations. Il s’agit, entre autres, des appuis en carburant et pour acquisition d’uniformes. C’est après cela qu’ils mettront fin aux amendes pécuniaires. « En réalité, nous ne travaillons aucunement contre les forces de sécurité, nous leur venons, au contraire, en appui », renchérit Saïdou Bikienga. Il argumente que la plupart des voleurs arrêtés ne sont pas étrangers à leurs membres. « Nous n’avons donc aucune difficulté à mener des enquêtes. Elles sont menées avec sérieux. Nous n’avons jamais procédé à de mauvaises arrestations, ni interpellé quelqu’un sur la base de faux témoignages. Parce que si c’est le cas, le faux témoin est puni », opine le Kogl-Wéogo. Avant de proposer leur aide à la lutte contre le terrorisme, il souhaite qu’on accepte leur délivrer des récépissés.

Gaspard BAYALA
gaspardbayala87@gmail.com
Commentaires