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Toma-île : les poissons nagent moins, les hommes s’inquiètent
Publié le mardi 2 fevrier 2016  |  L`Observateur Paalga




Une île dans un pays sahélien ! De surcroît peuplée à 100% de pêcheurs. Ça se passe bien au Burkina Faso, plus précisément à Toma-Île, province du Sourou, dans la Boucle du Mouhoun. Ici, on trouve différentes variétés de poissons d’eau douce à des prix défiant toute concurrence comme disait jadis une réclame. C’est ainsi que des commerçants viennent de partout s’y approvisionner. Malheureusement, le potentiel halieutique baisse d’année en année. Les spécialistes de la filière pointent du doigt le changement climatique, mais les principaux acteurs de la pêche sur l’Île, eux, dénoncent certains comportements humains, car «le phénomène du changement climatique est plus fort que nous», soutiennent-ils.

8 heures de voyage à bord d’un car non climatisé sur une route non bitumée. C’est le premier calvaire que j’ai dû endurer ce vendredi 8 janvier 2016 pour rallier Toma-Île. Une fois à Di, à une quinzaine de kilomètres de ma destination, me voilà confronté à une nouvelle difficulté : ma moto que j’avais fait transporter pour les courses supplémentaires est en panne. Quelle poisse !

Un problème de carburateur que s’emploie à réparer un plus bricoleur que mécanicien de la place. Je profite de cette halte forcée pour reprendre des forces. Après réparation, cap ensuite sur Gnansan (environ 10 kilomètres de Di). A peine 800 mètres plus loin que la monture, tel un baudet rétif, me lâche de nouveau. Et me voilà obligé de la pousser sur au moins 2 kilomètres pour trouver un second réparateur à Bengadi.

Il commence à faire nuit. « Vite, amène une torche », dit le jeune mécano à son frère. Toujours la même panne que le mécano arrive à réparer après une demi-heure. Mais dans une mauvaise manipulation, il fait griller l’ampoule du phare de la moto. Visiblement déçu de son acte, il hésite à dire le montant de la réparation. Sur mon insistance, il finit par prendre 300 francs. Me revoici donc en route sans phare, mais juste pour environ 500 mètres. Même panne. Plus de mécano avec la nuit tombée. Il faut pousser jusqu’à Gnansan. Soit environ 5 kilomètres à pied dans le noir, à travers la brousse, ensuite à travers les champs d’oignon et de tomate.



Ouaga - Toma Île, une journée et demie de voyage



A la vue des premiers lampadaires, je saute de joie croyant être arrivé à destination. Mais ma joie sera de courte durée, car lorsque je demandai au premier venu où était l’auberge de Gnansan, il me répondit que je n’étais pas encore arrivé. J’étais seulement à Gnansan-Koura (Nouveau Gnansan). Encore 2 kilomètres à parcourir. A bout de souffle, sale et affamé, j’arrive aux environs de 21 heures au vrai Gnansan.

Une vraie odyssée. La première personne à qui je demande où se trouve l’auberge du coin nous indique un groupe de personnes arrêtées une cinquantaine de mètres plus loin, au bord de la route. Parmi ces hommes qui tenaient chacun une calebasse de gnontôrô (bière locale à base de petit mil), un monsieur du nom d’Alphonse se propose de nous accompagner.

Je le préviens que notre moto est en panne. «Ça ne fait rien, on va marcher», me rassure-t-il. En cours de route, il me confie que ses frères qui sont restés au cabaret s’indignaient, dans leur patois, qu’il accepte d’accompagner un inconnu par ces temps qui courent, surtout dans la nuit. Mais étant lui-même un ancien aventurier, il dit qu’il ne pouvait refuser porter secours à un étranger : «Tu sais, l’étranger, il ne faut pas le laisser comme un bœuf. Aujourd’hui, c’est moi qui t’accompagne. Demain quelqu’un me fera du bien ou à mon enfant», dit-il.

Après un quart d’heure de marche, nous arrivons à l’auberge de Gnansan. Je lui demande de prendre une bière en guise de remerciement pendant que la gérante me montre ma chambre. A mon retour sur la terrasse, je constate la présence d’un autre homme aux côtés d’Alphonse. «C’est mon frère qui nous a suivis pour venir voir si nous sommes effectivement venus ici», me lance-t-il. Et l’autre d’ajouter : «Comme mon frère est parti avec un inconnu, je suis venu ici voir si réellement vous êtes là, car on ne sait jamais». Je lui demandai si je ressemblais à un malfaiteur et il me répondit que les malfaiteurs n’avaient pas de signe distinctif. La causerie est par la suite alimentée par la parenté à plaisanterie qui existe entre nos deux ethnies (Mossé et Samo).

Après une bonne nuit d’un sommeil réparateur qui m’a remis de mes courbatures, le travail peut commencer le samedi matin avec Mme Solange Simboro née Zoma, chef du service Unité technique du périmètre halieutique et économique, et le régisseur, Abdoulaye Nébié.

A 9 heures, cap sur Toma-Île à bord d’une double cabine du service des Eaux et Forêts que nous laisserons sur la rive pour embarquer dans une pirogue qui nous attendait. Juste après une trentaine de minutes de rame, nous y sommes.



Un village atypique nommé Toma-Île



Habitée par à peine un millier de personnes, Toma-Île se distingue facilement par sa situation géographique (en plein milieu de l’eau) et son architecture (elle est composée de maisons en banco et de multiples mosquées). Ici, ce ne doit pas être le chant du coq qui réveille les îliens mais le concert mélodieux des muezzins pour l’appel au fadjiri, la première prière du jour chez les Mohametans. Voilà un village où l’établissement des CNIB (Carte nationale d’identité burkinabè) des habitants doit être moins fatigant pour les agents recenseurs.

En effet, tout le monde a la même profession et presque tous ont le même nom de famille. Petit exercice : Sabo Ousmane, profession pêcheur, fils de Sabo Oumarou : profession pêcheur, et de Sabo Aminata, profession pêcheur. Sur l’Île, on nait, on grandit et on meurt pêcheur. D’où leur volonté de tout mettre en œuvre pour la sauvegarde de leur principale sinon unique source de revenus.

A cet effet, ils font des sacrifices annuels et ont des règles qui s’imposent à tous comme l’interdiction de laver les marmites au bord de la mare, et surtout d’y verser de l’eau chaude. Mais ces consignes ne sont pas respectées par tout le monde.

Aussi, l’Île ne disposant pas de latrines et de poubelles on peut imaginer aisément les conséquences environnementales liées notamment à la gestion de ses ordures ménagères quotidiennes. «Il y a également l’augmentation considérable des pêcheurs qu’il ne faut pas négliger. Faute de travail, les jeunes se rabattent sur cette activité aux côtés des anciens. Comment voulez-vous que ça suffise ?» s’interroge Souleymane Sabo, un conseiller du village.

Comme on dit que qui veut aller loin ménage sa monture, les pêcheurs sollicitent du matériel de pêche subventionné et des pirogues motorisées qui serviront à la fois à la pêche, au transport des personnes et des marchandises ainsi qu’aux sauvetages en cas de besoin. En cette période de vœux de nouvel an, son autre souhait est l’arrêt par d’autres pêcheurs du système de barrage des poissons qui migrent vers la frontière du Mali pendant la saison sèche. «Les poissons doivent nager librement. Si tout le monde les en empêche et les capture tous, ce sera la fin de la pêche ici», ajoute Sabo Adama, président des pêcheurs.

Dame Solange, quant à elle, n’écarte pas le rôle négatif que le changement climatique joue sur les peuples piscicoles : «Le changement climatique joue un rôle négatif sur le rendement de la pêche et nous l’avons constaté sur les statistiques de la province. A titre d’exemple, nous avons enregistré 32 tonnes de poisson l’année dernière. Ce chiffre est en deçà de ceux des années antérieures que je n’ai malheureusement pas sous la main. Il faut dire également que malgré les séances de sensibilisation, il y en a qui continuent de capturer les petits poissons qui sont censés grandir et se reproduire. Nous continuons de multiplier les réunions de sensibilisation et de formation pour la sauvegarde de l’environnement, la préservation des espèces halieutiques. Il y va de l’intérêt de tous.»

Ceux pour qui l’eau c’est vraiment la vie n’oublient pas l’ensablement de la mare, et ils comptent sur les autorités pour sauvegarder l’alpha et l’oméga de leur existence. En attendant, une femme se précipite pour évacuer sa marchandise périssable. C’est Adjara Woni qui doit se rendre immédiatement à Di pour livrer le poisson qu’elle vient d’acheter. « Nous allons partir dans la même pirogue », dit-elle à Solange qui ne trouve pas d’inconvénient. Nous embarquons donc sous les regards des Toma-îliens qui nous font des signes d’au revoir avec toutefois des mines visiblement inquiètes quant à l’avenir de leur gagne-pain, ou gagne-poissons si vous préférez.



Emmanuel Ilboudo
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L`Observateur Paalga N° 8221 du 27/9/2012

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