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Cheick seydou Sagnon, Islamologue : « L’idéal serait que l’Etat interdise les prêches des étrangers qui viennent ici »
Publié le jeudi 21 janvier 2016  |  Le Quotidien




Le Burkina Faso a été touché en plein cœur par une attaque terroriste qui a fait 33 morts et des dizaines de blessés. Une attaque condamnée par diverses sensibilités à travers le monde. Quelle est l’origine du terrorisme ? Y-a-t-il des égarements dans la pratique de la religion au Burkina que les terroristes pourraient exploiter? Ce sont entre, autres, des questions que nous avons abordées dans l’entretien qui suit avec l’islamologue Cheick Seydou Sagnon.
Le Quotidien: Le Burkina Faso a été touché par des attaques terroristes qui ont fait plusieurs morts et des blessés il y a quelques jours ; quel est l’origine du terrorisme ?

Cheick Seydou Sagnon: Je remercie « le Quotidien » qui déploie des efforts pour recueillir des informations pour ses lecteurs. Je remercie également le journal qui, à chaque question importante, m’accorde ce mérite. L’attaque terroriste qui a terrorisé les Burkinabè et même tous les Africains m’a profondément touché ainsi que bien d’autres Burkinabè. On ne s’attendait pas à cette attaque. Nous Burkinabè nous nous croyons amis à tous les Africains. Nous sommes ouverts et nous acceptons tout le monde et beaucoup de gens viennent au Burkina. Mais si des gens débarquent et commencent à ouvrir le feu sur des citoyens paisibles, je suis complètement rebiffé. J’ai mal digéré et jusqu’à l’heure où je vous parle, cette situation a un impact sur moi. Parce que je ne peux pas comprendre. C’est quoi le terrorisme ? Vous voyez bien que le mot terrorisme avec un suffixe « isme », est une idéologie. Les terroristes sont des gens qui ont opté d’effrayer d’autres à travers la violence. Ceux qui ne sont pas du même bord qu’eux idéologiquement et peut-être religieusement. Pourtant, chacun est libre de choisir sa religion, d’avoir son option pour mener sa vie. Nul n’a le droit de forcer quelqu’un, ou le contraindre à le suivre. Si nous regardons le côté politique ou religieux, je dirais que ces terroristes sont salafistes. Ils se font d’ailleurs appelés des salafistes. Salafiste, c’est un mot arabe qui a été peut-être francisé avec le « iste ». En arabe on dit Salafia ce qui veut dire salafiste. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Salaf en arabe signifie antécédent. Et on ne peut parler de cela sans évoquer la mort du prophète Mohamed. Puisque la mort du prophète a creusé un grand trou au sein de l’Islam, un bouleversement total. Et tout tourne autour de la succession. Puisque étant Hachimite, il avait bien préparé un de ses cousins, le nommé Ali. Ali fait partie de la famille du prophète, c’est son cousin direct. Le prophète avait donc formé Ali afin que la succession revienne de droit à sa famille, plus précisément à Ali. Mais les Arabes et les musulmans en ont décidé autrement. Ils ont dit non. Bani Hachim dont le prophète même est descendant ne peut avoir cette prophétie et aussi rentrer en droit de succession. Ils ne se sont donc pas compris. Quand je parle d’Arabes, c’est notamment Aboubacar Omar qui a dit non. On ne peut pas accepter que Bani Hachim soit successeur de la situation. Ils ont donc décidé avec le concours de quelques membres, des habitants de la Mecque qui avaient reçu le prophète et fourni des efforts afin que l’Islam puisse se propager. Ces gens, on les appelle des Al Hansars. Les Hansars et Omar Aboubacar se sont mis en commun accord pour écarter Ali. Depuis ce jour, ceux qui avaient écouté le prophète, et qui avaient connaissance du testament ont refusé de se rallier à Ali et au groupe de Omar c’est-à-dire les dissidents. Il y avait donc le groupe d’Ali qui est le premier groupe, le groupe d’Omar qui est le 2e groupe et un 3e groupe qui est également rentré dans la dissidence qu’on appelle les Nawassi. Et ainsi de suite jusqu’à ce qu’un autre groupe se crée. Ce groupe est appelé Salafia avec comme philosophie « la voie de nos ancêtres ». Salafia veut dire donc la voie des ancêtres. C’était au 5e ou 6e siècle après la mort du prophète. Ce groupe de salafistes n’était pas nombreux. Numériquement, ils étaient faibles, mais ils étaient puissants dans l’activisme et très forts dans les agressions. Ils ont donc été bannis et même chassés par d’autres groupes musulmans. Ces salafistes se sont donc retrouvés en Egypte, en Libye, Tunisie, Algérie et Maroc. Mais la majeure partie des salafistes sont installés en Algérie et ils rentrent toujours dans l’activisme. C’est un groupe musulman, mais qui a aussi des philosophies, des écoles différentes des autres groupes musulmans. Il y a donc des musulmans qui sont pacifiques, mais il y en aussi qui sont activistes.

Est-ce que vous voulez dire que le terrorisme religieux notamment tire ses racines des salafistes ou bien ce sont des relations internationales entre l’Occident et les pays arabes ? Quelle explication donnez-vous par rapport à cela ?

Si le mot existe en arabe cela veut dire que ça existait bien avant cette relation arabo-européenne. Puisqu’en arabe, on appelle le terrorisme Al irhabia. Ce qui veut dire terroriser quelqu’un, semer la peur au sein de quelqu’un, le forcer à nous suivre ou dans le cas contraire l’exterminer (soit il rentre dans la dissidence soit il est exterminé). Peut-être que l’Occident les a utilisés. On entend beaucoup de gens dire qu’ils sont formés par l’Occident ou par ceci cela, mais je ne saurais dire quelque chose exactement sur cela. Je n’ai pas mené une étude spécifique pour savoir s’ils ont une relation aussi étroite avec l’Occident, ou bien c’est une machine de production européenne, je n’en sais rien. Mais ce qui est sûr c’est que le terrorisme a toujours existé avant même cette relation arabo-européenne. J’ouvre une parenthèse pour vous expliquer cela. En effet si on prend les Hébreux, les juifs avec le sionisme international, ils ont usé de terrorisme jusqu’à ce qu’on leur trouve une terre, l’Israël, où ils habitent présentement. Pour les Arabes, je ne pense pas qu’ils sont en train de terroriser le monde pour avoir un Etat. Tous les pays arabes sont indépendants. Chaque Etat arabe est autonome. Mais que veulent ces groupes? S’ils sont lésés, l’Occident n’est pas responsable. Mais s’ils sont lésés par leurs propres pays, ils n’ont qu’à terroriser les tenants du pouvoir, mais ne pas extérioriser jusqu’à d’autres pays qui ne sont pas arabes. Voilà ce que je n’arrive pas à comprendre dans cette situation.

Ces terroristes s’appuient sur des fondements religieux, puisqu’ils disent que c’est au nom d’Allah et il y en a même qui emploient le mot djihad. Est-ce qu’il y a une explication dans le Coran par rapport à leur revendication ?

Le djihad en arabe, il y en qui le traduisent ou qui l’interprètent comme conquête. Il y a plusieurs conceptions par rapport au djihad. Cela peut être la quête de soi-même, un continent ou encore conquérir une communauté. Tout cela fait partie du djihad. C’est vrai, il y a un verset dans le Coran par rapport à cela, mais est-ce qu’on peut faire usage de ce verset ? Ce verset dit : « Combattez dans le chemin de Dieu ». Et ce verset va jusqu’à dire que « si ne voulez pas combattre dans le chemin de Dieu, restez à l’écart. Dieu fera venir des gens qui vont combattre pour sa cause ». Il y en a qui exploitent ce verset à leur guise. Si vous ne combattez pas dans la voie de Dieu, restez à l’écart, c’est-à-dire en retrait. Dieu enverra quelqu’un qui va combattre. Si quelqu’un a un esprit belliqueux, il va dire que Dieu lui a dit de faire cela. Et il va en ce moment traiter les musulmans qui ne le font pas comme des musulmans non engagés. Il y a un autre verset qui dit que les gens étaient venus voir le prophète souhaitant user de la force, pour contraindre les gens à devenir musulmans afin que le nombre s’accroisse. Et le prophète a refusé et leur a dit que s’il fait cela, il n’aura aucune récompense auprès de Dieu. Il y a donc ce passage où le prophète a refusé l’usage de la force, et il y a un autre passage qui dit de combattre ou se mettre en retrait. Tout dépend donc de la compréhension de ces versets-là et les circonstances dans lesquelles ces versets ont été révélés. Comme c’est dans le Coran et on dit que le Coran est bon en toute saison, chacun l’exploite donc comme bon lui semble et selon sa compréhension.

Revenons au Burkina par rapport même à la pratique de la religion ; selon vous en tant que spécialiste, est ce qu’il y a des égarements quelque part que les terroristes pourront exploiter ?

Il y a un proverbe en dioula qui dit que si vous voyez un cafard à travers un mur, c’est qu’il y a une fissure. Qu’est-ce que cela veut dire ? Les terroristes pensent que le Burkina est arrivé à un degré de foi dans la religion musulmane. On nous fait souvent comprendre qu’on est à tel pourcentage. Et cela est très dangereux. Et je dis et je vais loin dans mes propos pour dire qu’au Burkina, on n’a pas de musulmans. Et quand je dis cela, il y en a qui ne comprennent pas. Parce que quelque part, musulman égal à arabe. Il y en a qui ne sont pas d’accord avec moi, mais je leur dis non. Le Coran est en arabe, tous les hadiths sont en arabe, toutes les prières se font en arabe. Tous les actes et les pratiques culturelles se font en arabe. Nous, nous avons quoi là-dedans ? On est mossi, on est sénoufo, on est bobo. Qu’est-ce qu’on fait là-dedans ? Toutes les pratiques cultuelles sont en arabe. Donc c’est à quelque part à 100% arabe. Si on est devenu musulman, on est adepte de cette religion. Maintenant pour répondre à votre question, je dirai qu’il y en a qui arrivent à se considérer plus musulmans que les autres. Nous avons combien de groupes ici au Burkina ? Il y a les Sunnites qui se distinguent par leur accoutrement notamment des robes noires chez les femmes et la barbe chez les hommes avec des pantalons un peu sautés. Il y a les Chiites rattachés à l’Iran et qui sont des adeptes d’Ali. Nous avons aussi les Tidjania. De ces trois groupes, les Sunnites se croient plus musulmans que les autres, puisqu’ils traitent les autres de « Morzaala » en langue moré qui veut dire musulman simple. S’il y a ces genres de distinctions dans un pays, c’est très dangereux. Il n’y a plus de citoyenneté Burkinabè. Si un Burkinabè va considérer l’autre de musulman simple, quelle sera l’attitude vis-à-vis des deux autres ? Et Il y a un groupe qu’on appelle communauté musulmane. C’est là qu’il faut beaucoup faire attention. Moi je dirai qu’on est tous Burkinabè. Tu as choisi d’être Mohamedien (pratique de la religion de Mohamed), ou autres tu es Burkinabè. Chez moi, c’est le mot Burkinabè, la citoyenneté burkinabè qui m’intéresse. Qu’on cesse de se distinguer par telle ou telle autre communauté. Parce que ce sont toutes ces considérations qui peuvent occasionner l’infiltration de ces gens-là. Parce qu’ils vont d’abord chercher à savoir qui sont ceux qui, plus ou moins ont rallié leur cause et c’est par là qu’ils passent facilement. Ils peuvent se faire facilement des adeptes et des valets locaux. Et c’est là qu’il faut faire très attention.

Vous avez vécu dans un pays arabe. Aujourd’hui les gens les perçoivent comme des êtres méchants.
Quelle expérience avez-vous des peuples arabes ?

On dit souvent que si tu as vécu dans un pays arabe, tu auras vécu dans plusieurs pays arabes. Les arabes ont la même mentalité. Il peut y avoir quelques petites différences, mais ils ont la même mentalité. J’ai vécu en Tunisie où j’étais allé faire des études coraniques, et après un an à l’institut de théologie, j’ai bifurqué. Je suis allé dans l’enseignement technique. J’ai même fait la 5e industrie, la mécanique auto. Les élèves voltaïques étaient au nombre de 15 à l’époque. Et ceux qui s’exprimaient un peu en français ont bifurqué et on a accepté de nous réorienter. En ce qui concerne donc ma vie avec les Arabes, je ne peux pas les mettre sur le même pied d’égalité. Il y a toujours eu des bons et des mauvais. Personnellement, je n’ai pas rencontré des gens mauvais. J’étais le seul Africain à faire le collège rue de Fès. J’ai fréquenté le lycée technique de Sousse où j’étais le seul noir. Il y avait quand même des brebis galeuses qui venaient me dire wassif qui veut dire noir, mais ils n’étaient pas nombreux. Même dans la rue nous rencontrions quelques tracasseries. Il y en a qui nous demandaient l’heure. Et le fait de regarder l’heure lui donner, ils rient. En fait, c’était une façon de te dire de regarder comment tu es noir. Nous avons accepté cela, on est passé et il n’y avait pas de problème. Mais ce que je voulais dire, c’est que les islamistes qui sont là aujourd’hui, on les avait connus dans les écoles tunisiennes dans les années 70-80. Ce sont ces enfants qui ont grandi aujourd’hui. Dans ces écoles, il y a une frustration. Parce qu’il y avait deux classes sociales. La classe aisée et la classe moins aisée. C’est la classe moins aisée qui est frustrée. Il y a des professeurs islamistes qui ont profité de cette situation pour endoctriner les jeunes. Nous, nous avons refusé d’être endoctrinés. Nous leur avons dit à l’époque que nous étions là pour apprendre. J’ai même dit à mes camarades de faire attention parce que nous n’avons pas d’avenir avec ce que ces gens veulent nous mettre dans la tête. Je vous donne l’exemple. Sous le régime de Gbagbo, il y a un imam qu’on a tué. J’ai connu le docteur Mamoud Samassi en Tunisie en 1978. Quand il arrivait pour la première fois, on a voulu créer une association, mais vu qu’il avait une tendance politique, j’ai dit aux élèves Voltaïques de prendre de la distance. Je lui ai même dit de faire attention. Mamoud Samassi avait voulu qu’on lutte parce que c’était les chrétiens qui détiennent le pouvoir dans nos pays. On lui avait fait comprendre que chacun était là pour apprendre quelque chose et nous n’allons pas nous laisser emporter par des vents politiques. Il a traité les Burkinabè à l’époque de machines de production pour les Ivoiriens. C’est quelques années plus tard que j’ai appris qu’il a été tué. Nous avions donc compris à l’époque qu’on voulait nous inculquer une idée qui ne nous servira pas à notre retour au pays et avec laquelle on aurait du mal à vivre avec les autres. Personnellement, je vis avec tous les Burkinabè sans problème. Il n’y a pas de différence, ni de frontière entre un Burkinabè et moi. Pour moi un Burkinabè est un Burkinabè, qu’il soit pratiquant de la voie ancestrale communément appelée animiste, ou qu’il soit chrétien, chez moi il est le bienvenu. Pour moi, c’est le patriotisme qui me préoccupe. Nous devions voir le sens de la citoyenneté d’abord.

Quels conseils avez-vous à donner pour qu’on puisse faire face au terrorisme ?

Au Burkina Faso, nous avons un seul ennemi en face de nous. Et c’est le terrorisme. Faisons beaucoup attention, luttons ensemble contre le terrorisme et ses valets locaux. Il faudra à cet effet, faire attention avec les prêches. Il y a souvent des prêches à travers les ondes auxquels il va falloir faire attention. L’idéal serait que l’Etat interdise les prêches des étrangers qui viennent ici. On doit prêcher l’amour et le patriotisme entre nous. Personne ne viendra construire le Burkina à notre place. On a fait trois jours de deuil national, quel est le Burkinabè qui n’était pas dans l’émotion ? Ce n’était donc pas une question de religion. Nous avons tous vu qu’il y a des gens qu’on a tués et chacun s’est senti touché par cette tragédie. On a qu’à commencer à enseigner l’amour entre nous. Il y a des sujets de prêches qui ne servent à rien. Ça n’enseigne seulement que la haine. Il faut qu’on enseigne l’amour pour tous et la haine pour personne. Et c’est cela mon conseil1

Interview réalisée par
K. Kiswendsida
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