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Circulation des véhicules à vitres fumées : ça passe difficilement
Publié le mercredi 4 novembre 2015  |  Sidwaya
Voiture
© Autre presse par DR
Voiture teintée




La décision conjointe prise le 14 octobre 2015 par les ministres en charge de la défense nationale et de la Sécurité d’interdire de circulation, «sur toute l’étendue du territoire national », les voitures non immatriculées ou ayant des vitres teintées ou fumées peine à être appliquée. Comme quoi, certaines mesures publiques, quand même bien fondées, peuvent s’avérer difficiles d’application.

Impossible de croiser un propriétaire ou un conducteur de voiture à vitres teintées ou fumées qui se satisfait de la mesure gouvernementale relative à l’interdiction de circulation «sur toute l’étendue du territoire national » de toute voiture non immatriculée ou ayant des vitres teintées ou fumées. «Franchement, ils n’ont qu’à faire pardon, ça nous fatigue. Actuellement, les nouveaux modèles de voitures sortent avec des vitres teintées depuis l’usine. C’est exactement mon cas, que voulez-vous que je fasse, que je gare ma voiture ou que je casse les vitres? », fulmine Yacouba Ouédraogo, au volant d’une voiture de marque allemande aux pare-brise et vitres bien noirs. Comme lui, Adrien Kaboré à bord d’un beau bolide n’arrête pas d’enrager. Après avoir appris de son concessionnaire que le changement de ses vitres va lui coûter près d’un million et demi de F CFA, sans la main-d’œuvre, il ne décolère pas. «Cette mesure devait être prise en concertation avec les concessionnaires et les revendeurs de voitures. Il y a des milliers de véhicules qui circulent dans cette ville avec des vitres teintées ou fumées et ce n’est pas immédiatement que l’on peut changer cela», s’égosille M. Kaboré, refermant avec nervosité sa portière. Il nous a été impossible, même à quelques centimètres, de voir dans quel état était son visage derrière ses vitres bien fumées. Après le putsch manqué du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) le 16 septembre, et à la suite de la dissolution du corps, des recherches ont été engagées dans la foulée contre certains soldats qui ont déserté après la dissolution de leur corps. A propos de ce coup d’Etat, le gouvernement a annoncé que les putschistes étaient en complicité avec des «forces étrangères» et des «djihadistes» pour déstabiliser le pays. Coïncidence ou pas, le jour où les Burkinabè enterraient les quatorze martyrs tombés (le 9 octobre) du fait des éléments de l’ex-RSP pendant le putsch, une attaque terroriste était orchestrée contre la brigade de gendarmerie de la commune rurale de Samorogouan, dans la province du Kénédougou, à la frontalière ouest avec le Mali. Cette attaque a fait quatre morts dont trois gendarmes. Sans prendre un «patriot act», le gouvernement a réagi énergiquement pour conjurer ces multiples menaces gravissimes, en prenant plusieurs mesures de sécurité. Il s’agit, entre autres, du renforcement de la sécurité aux frontières - surtout celles avec les pays où sévi le terrorisme-, des fouilles systématiques de véhicules empruntant les voies interurbaines et internationales et même dans les agglomérations. Ensuite, cette décision d’interdire -avec effet immédiat- de la circulation routière les véhicules non immatriculés et ceux à vitres fumées ou teintées est venue renforcer ce train de mesures sécuritaires. En réalité, l’autorité n’a fait que remettre au goût du jour une vieille mesure datant du milieu des années 70. En effet, l’article 81 d’un décret de 1973 interdit de circulation «sur toute l’étendue du territoire national», «tout véhicule dont le pare-brise et les deux vitres latérales, côté conducteur sont teintés à plus de 25%». Cette décision tout comme bien d’autres, en l’occurrence celle interdisant les mini-jupes de dix centimètres au-dessus du genou, sont tombées dans la désuétude et n’ont presque jamais connu un début d’application, hormis quelques vaines tentatives. La dernière mesure gouvernementale d’interdire de la circulation les véhicules non immatriculés ou à vitres teintées ou fumées est aussi critiquée pour son caractère précipité et sans discernement. En effet, l’application de la mesure a été immédiate. Elle n’a donc donné aucun délai aux contrevenants pour trouver des solutions alternatives. En plus, la décision frappe indistinctement les conducteurs de vitres teintés ou fumées y compris ceux qui respectent les dispositions du décret de 1973 qu’aucune disposition n’a abrogé. Puisque, c’est par simple communiqué et non un décret que la mesure, aujourd’hui querellée, a été prise. La Ligue des consommateurs du Burkina Faso (LCB) a d’ailleurs rencontré le nouveau ministre de la Sécurité, Alain Jean Claude Zagré, pour lui faire part de ses inquiétudes et réserves. «Nous souhaiterions que dans l’application de ces mesures, il y ait de la souplesse à l’endroit de certains citoyens qui sont honnêtes » suggère le président de la LCB, Gilbert Hien Somda.


Une mesure aux conséquences lourdes

Pour l’instant, la mesure gouvernementale a de lourdes conséquences pour les propriétaires dont certains sont désormais contraints de garer leurs voitures à la maison et de trouver d’autres moyens de déplacement. «C’est regrettable. J’ai dû abandonner mon véhicule pour une moto pour ne pas avoir à subir les contrôles inopinés des forces de l’ordre», a indiqué Abdoulaye Sawadogo, un habitant du quartier Ouidi.

«En attendant, j’ai dû emprunter une motocyclette. Or, avec la circulation chaotique dans la ville de Ouagadougou, la moto n’est pas un moyen sûr de déplacement», a-t-il poursuivi, visiblement mal à l’aise sur son nouveau véhicule à deux roues. Cette solution de substitution des moyens de locomotion ne peut être envisagée par tous, si l’on en croit les témoignages de Seydou Sanfo, un homme d’affaires de 38 ans.
«En réalité, ma voiture influence beaucoup mes clients qui me prennent plus au sérieux que si j’étais venu leur proposer des affaires à bord d’une guimbarde. En plus, je voyage à travers le pays pour rechercher ou exécuter les commandes. Est-ce qu’on peut tout le temps prendre l’autocar pour faire ses affaires ou traverser le pays entier à moto parce que nos autorités ne veulent plus voir les voitures à vitres fumées ?», s’exclame-t-il, d’un air quelque peu dépité.

En réalité, toutes les voitures ne sont pas à vitres fumées ou teintées d’origine. Certaines le sont bien après leur achat par les propriétaires pour diverses raisons. Selon le Centre de contrôle des véhicules automobiles (CCVA), il existe différents types de vitres.

Les vitres fumées à 25% sont autorisées

Il y a les vitres teintées à 25% qui sont faites en usine, donc d’origine. «Pour ces types de vitre, il n’y a pas de problème avec la nouvelle réglementation », indique le directeur technique du CCVA, Mamadou Diallo.
«Il y a deux sortes de vitres qui posent problème. La première catégorie concerne celles où l’on a apposé un film pour assombrir la vitre. Pour cette catégorie, la solution c’est d’enlever le film simplement. Pour la deuxième catégorie, c’est-à-dire les vitres à couches réfléchissantes, la solution c’est de les changer, car ce sont des vitres sur lesquelles on a appliqué un revêtement à base de métal ou d’oxyde métallique. Ce revêtement ne peut pas être gratté ou enlevé», revèle-t-il. Du côté des forces de l’ordre chargées de faire appliquer strictement la décision, on éprouve une certaine gêne et même de sérieuses difficultés. «Il nous est difficile d’appliquer la mesure. Les premiers jours, on a mis beaucoup de véhicules en fourrière. Mais, il est difficile de descendre des gens et leur dire de se débrouiller pour aller au travail ou faire leurs courses quand ils n’ont souvent que le seul moyen de déplacement. Ce qu’on a décidé de faire dernièrement, c’est de fouiller simplement les voitures et les laisser partir», explique un agent de sécurité sous couvert de l’anonymat, interrogé sur la RN 1 où il était en service de contrôle.

Jusqu’au vendredi 30 octobre 2015, quelque quarante voitures ont été saisie par le Service régional de la circulation routière de la police nationale basé dans le quartier Tampouy (sud-ouest de Ouagadougou).
«Tous ont été relâchés, sauf ceux qui n’ont pas de teinte d’origine qui ont été verbalisés», a indiqué un agent dudit service. Du côté de la gendarmerie, même constat. Tous les véhicules saisis ont été remis à leurs propriétaires au bout de quelques jours, voire quelques heures.

Les services de sécurité semblent de plus en plus se contenter de contrôles préventifs plutôt d’une réelle répression de ceux qui ne respectent pas la réglementation en matière de vitres teintées ou fumées. C’est tout à fait le contraire des voitures non immatriculées pour lesquelles la fermeté est de mise. Au Centre de contrôle des véhicules automobiles (CCVA), on reconnaît que la mesure semble être en déphasage avec la situation actuelle car, à part les anciens modèles, tous les véhicules qui sont mis en circulation aujourd’hui sont en vitres teintées à 25%. «Avant, les vitres des voitures étaient très claires parce qu’il s’agissait simplement de protéger le conducteur des intempéries. Aujourd’hui, les vitres sont teintées car il s’agit d’atténuer l’impact des rayons de soleil sur les passagers et surtout le conducteur», nuance M.Diallo.

Selon ce responsable, avant la mesure gouvernementale, toutes les voitures, quel que soit le degré de leur teinte, étaient contrôlées. « Mais maintenant tant qu’il n’y aura pas de changement, si nous avons à faire à des voitures qui ne répondent pas à ce nouveau critère nous ne délivrons aucun papier», prévient-il.
Conséquence, des dizaines de voitures arrivent chaque jour sans pouvoir bénéficier de l’indispensable visite technique sans laquelle aucune voiture ne peut circuler.

Leurs propriétaires, qui ne savent à quel saint se vouer, déambulent de bureau en bureau espérant qu’une hypothétique solution leur sera proposée par les techniciens du CCVA. En attendant un assouplissement de la mesure prise par le gouvernement, usagers et propriétaires envisagent des solutions de rechange dont certaines nécessitent des sommes d’argent importantes. «Si l’Etat est prêt à subventionner ou à remplacer les vitres pour moi, il n’y a pas de souci. Je ne peux pas acheter ma voiture à des millions de francs CFA depuis l’usine et encore commander les vitres parce que ça me coûterait la peau des fesses, pas moins de 800 mille F CFA», opine M. Ouédraogo qui n’a pas trouvé de solution «simple» au CCVA pour enlever la teinture de sa voiture.

Difficile de remplacer les vitres…

Plus malin, Issa Kafando, lui, a trouvé une solution provisoire. Il compte enlever ces vitres et les remplacer par du plastique en attendant la levée de la mesure. «C’est la seule solution qui me reste, parce que je n’ai vraiment pas de ressources pour remplacer ces vitres» qui ne sont pas teintées d’origine mais dont il ne peut plus se débarrasser.

Selon El hadj Ablassé Nikiéma, vendeur de pièces détachées de véhicules non loin de l’Eglise de Kolog-Naaba, changer une vitre coûte assez cher selon les types de voitures. «Pour les Mercedes C200 mises en circulation en 2002, une vitre latérale coûte 50 000 francs CFA et la vitre arrière tourne autour de 80 000 francs CFA. Pour les voitures plus récentes de 2010 à 2015, les vitres doivent être commandées et une seule peut coûter plus de 130 000 francs CFA», souligne-t-il, se désolant de ne pas faire de bonnes affaires comme il l’espérait à l’annonce de la mesure gouvernementale.

«L’affluence n’est pas au rendez-vous. Je n’ai reçu qu’une dizaine de clients. Certains passent prendre des renseignements et promettent de revenir mais je ne les revois jamais. Quant à d’autres, dès que je leur donne les prix, ils s’en vont sans même demander leurs restes», dit-il. Même s’il ne doute pas que dans le long terme, la mesure pourrait lui permettre de faire de bonnes affaires, M. Sango souhaite tout de même son allègement.

Quant à Abdoulaye Sanou, il souhaite que la mesure gouvernementale soit reprise pour plus de précisions afin de ne pas sanctionner ou brimer indistinctement ceux dont les vitres sont teintées même s’ils peuvent être identifiés à une certaine distance. «Il est établi qu’aucun concessionnaire ne fabrique encore des véhicules avec des vitres non teintées. Ce que l’Etat peut faire, c’est de définir le degré de teinte et de dire à toute personne qui aurait des véhicules à vitres fumées de circuler les vitres abaissées», affirme-t-il, lui qui s’apprête à acheter une voiture dont il souhaite avoir les vitres «un peu teintées».

Vendeur de véhicules, à la sortie-Est de la ville de Ouagadougou, Djibril Ouattara ne veut même pas de cette mesure qu’il trouve «abusive, disproportionnée, improductive, inapplicable et anti-économique».
Le commandant de la police municipale de Ouagadougou, Clément Ouongo tempère toutes ces récriminations contre la mesure et montre qu’«elle n’est pas appliquée sans discernement par ses hommes», même s’il estime «que toute loi doit être appliquée et observée par les citoyens».

Somborigna Djélika DRABO

Des actions à venir

Selon une source concordante, le ministère des Infrastructures, du désenclavement et des transports va introduire un projet de décret en conseil des ministres pour donner plus de directives concernant la mesure d’interdire de circulation «sur toute l’étendue du territoire national » toute voiture non immatriculée ou ayant des vitres teintées ou fumées. Selon ce texte, seuls les véhicules à vitres teintées à 25% seront admis à circuler après l’acquisition d’un document délivré par le CCVA. Les exceptions seront accordées aux véhicules de ministres, du président, des corps diplomatiques etc. Et toute personne désirant fumer ses vitres doivent faire la demande auprès du ministère en charge des transports.
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