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Julienne Somé, ancienne serveuse de buvette :" C’est difficile d’être... sérieuse"
Publié le lundi 2 novembre 2015  |  Sidwaya




Elle fait partie de l’histoire collective de ces filles qui, à force de servir les clients assis de part et d’autre d’un débit de boissons, marchent des kilomètres en une seule nuit. Arrivée à Ouagadougou en 1996, elle fut obligée de rentrer à Dissin, son village, en 2007 lorsque son oncle décède alors qu’elle était en 3e. Dans sa tête, l’idée de retourner affronter son destin à Ouagadougou d’où elle est partie l’obsédait. C’est de bonne guerre que Julienne Somé revint sur ses pas, pour d’abord vivre l’expérience amère de ‘’boyesse’’ avant de basculer dans la vie de fille de bar. Six mois plus tard, elle ne trouva pas son compte et rentra au village pour se marier. Aujourd’hui animatrice dans un projet, elle prépare aussi du dolo chaque samedi et vit avec son mari et ses deux enfants.

C’est par un long silence que Julienne Somé aborda la première question qui lui a été posée avant de s’ouvrir comme au confessionnal par un « Je suis une ancienne fille de bar ». Un silence révélateur de son calvaire vécu avec deux patronnes, « pas bonnes », et son passage dans la buvette « Le petit Balé », sa vie avec les autres…La suite des échanges fut comme au téléphone où, avec une voix masculine, elle disait ‘’oui’’ à tout ce qui lui était demandé, prête à partager sa vie d’il y a des lunes. Si certaines partent en ville juste pour être serveuses de bars ou de maquis, Julienne avoue avoir été prise au piège de ces réalités qu’elle a été obligée de faire avec.

Dagara et native de Dissin, Julienne Somé vivait chez son oncle depuis son arrivée à Ouaga en 1996. Tous ses rêves de lycéenne se brisèrent à la mort de celui-ci, intervenue de façon brutale en 2007. Sa scolarité prenait fin là sans qu’elle ne l’ait réalisé, puisqu’elle nourrissait encore l’espoir de revenir après les funérailles pour travailler et financer ses études. C’est alors qu’après les dernières funérailles, elle revint à Ouagadougou malgré les oppositions des parents et amis qui n’ont pas réussi à la dissuader. Sa nouvelle vie, elle l’entama comme aide-ménagère dans une famille à Pag-la-yiri. Ce fut le début de son calvaire car elle ne resta pas dans cette famille au-delà de 6 mois. Cette partie de sa vie, Julienne la garde comme un trésor et la raconte avec des « humm » qui en disent long et un sourire de temps à autre pour dissimuler son amertume. En effet, julienne dit avoir passé tout ce temps sans salaire avant d’être mise à la porte sans aucune explication sous une grande pluie dans la nuit.


Dans la jungle de la vie

Chassée par sa patronne en pleine nuit alors qu’elle ne connaissait personne ni le quartier, Julienne confie : « j’ai dormi ce jour-là sous un hangar ». Bien qu’elle ait tourné cette page de l’histoire de sa vie, elle rappelle quand même qu’elle fut « une lève-tôt et une couche-tard » avant de se défendre : « tu vas faire comment ? ». Rien, surtout lorsqu’on a des ambitions et pas les moyens pour réaliser ses rêves. De cette famille, celle qui est aujourd’hui dans son foyer, n’est partie qu’avec un simple sachet qui contenait tout ce qu’elle possédait. Comme un crapaud qui vient de sortir d’une eau chaude, Julienne venait ainsi de se rendre à l’évidence que la vie n’est pas toujours ce qu’elle pensait. A la belle étoile sous le hangar d’un cabaret, elle passa sa première nuit seule pour se rendre, le lendemain, à Gounghin qu’elle connaissait. Mais au lieu de marcher puisqu’elle n’avait rien sur elle, elle dit avoir « emprunté un taxi sans argent ».

L’adversité était en train de gonfler le courage de l’aventurière qui ne craignait plus rien. Ce que Madame Somé a appelé chance lorsqu’elle descendit du taxi ce jour-là, c’est de tomber sur une connaissance dagara mariée qui a payé le taxi et l’a logée quelques jours. C’est aussi cette dernière qui trouva du travail à Julienne dans la 2e famille où sa situation ne fut guère meilleure à la première. Elle mit fin à sa vie d’aide-ménagère pour retrouver et emménager chez ses sœurs dagara qui l’introduisirent dans leur monde : le service dans les débits de boissons. Bien qu’elle ne veuille pas travailler dans un maquis, elle soutient n’avoir pas eu le choix car sa nouvelle famille ne comptait que des serveuses de bars. Retourner dans son village n’était pas aussi à l’ordre du jour car elle n’avait rien pour rappeler son passage en ville ni les moyens financiers pour son transport.


Tantie la conseillère

Convaincue qu’avec la volonté on peut faire ce travail sans tomber dans la prostitution, Julienne se lança en « victime résignée » dans le service de la boisson avec comme point de chute la buvette « Le petit Balé » sise à Pissy près du château. Selon ses dires, le patron était bon et l’appréciait pour son bon comportement. Un comportement qui se traduisait par ses bons rapports avec les clients parmi lesquels certains même remboursaient les pertes de factures et les bouteilles et verres cassées.

La nouvelle famille de Julienne comptait environ 7 membres et elles partageaient toutes, une maison chambre-salon de 10 000 F CFA le mois. Au début, selon elle, elles s’organisaient pour acheter des sacs de riz, de la farine pour préparer elles-mêmes. Mais derrière cette entente si fragile, il y avait des moments où elles se frappaient. Les mobiles de ces palabres étaient que « certaines accusaient les autres de sortir avec leurs gars, d’autres ne voulaient pas payer le loyer, sans oublier les cas de vols… », révèle Julienne. Bien qu’étant ensemble, elles n’avaient pas les mêmes ambitions et Julienne dit avoir fait usage de son instruction pour se démarquer des comportements déviants de ses co-locatrices. « Je les conseillais de sortir avec un seul homme et non plusieurs à la fois parce qu’on ne sait jamais », affirme-t-elle. D’après son témoignage, plusieurs des filles de ce temps-là ont perdu la vie pour cette vie désordonnée. Elles ne manifestaient leur solidarité envers les autres que lorsque la maladie s’invite : « on cotisait, indique-t-elle, pour les faire retourner au village et il y a eu deux comme ça qui sont revenues mourir ». Si Julienne n’affirme pas sa fidélité, elle soutient n’avoir pas fait ce que les filles de bars faisaient sous ses yeux. Au contraire, les conseils qu’elle ne cessait de leur prodiguer lui auraient valu le nom de ‘’tantie conseillère’’.

Six mois passèrent avant que Julienne ne réalisât enfin que tout espoir de poursuivre ses études était vain. Avec un ardent désir de se marier, Julienne se débrouillait pour acheter quelques effets d’habillement, des plats chaque fin de mois sur sa paie mensuelle de 20 000F CFA. Aussi, s’arrangeait-elle pour envoyer de temps en temps 2 500, 5 000 F CFA à la famille parce qu’elle savait leurs conditions de vie difficiles.


La difficile intégration au village

Depuis la capitale, Julienne ne renonçât pas à son idée de s’unir à un Dagara, ce qui l’a conduit dans les bras d’un à Ouagadougou sans que cela ne fasse long feu. Revenue au village, elle dût faire face aux regards et critiques des uns, les condamnations et malédictions des autres, et le complexe des hommes qu’elle désirait pourtant. Ce rejet est né de l’expérience de certaines des filles du village qui retournaient malades et mourantes ou avec des bébés. Julienne certifie à propos : « lorsque nous arrivons, certains disent que nous avons le Sida, d’autres disent que nous avons tellement avorté qu’il nous est impossible de concevoir ». De tout ce qui se dit les concernant, Julienne reconnaît humblement qu’il y a du vrai et du faux. La preuve en est que certaines étaient rentrées malades, d’autres ont perdu la vie tandis que les plus chanceuses comme elle, sont en bonne santé mais peinent à avoir un mari.

Pour ce qui est du cas précis de Julienne, les hommes, à son avis, avaient peur de l’approcher, raison pour laquelle elle a fait plus d’un an sans copain. « Ils pensent que tu vas les rejeter alors que toi aussi tu attends qu’un homme vienne vers toi », tranche Julienne. L’attente fut longue mais elle finit par rencontrer un qui était à Ouagadougou sans qu’ils ne se soient vus. Ce serait après un séjour en Côte d’Ivoire que le destin de son futur mari le conduirait vers elle. « Les gens ont dit beaucoup de choses sur moi, rapelle-t-elle, mais ça ne l’a pas découragé et on est aujourd’hui ensemble ». Les secousses de la vie conjugale ont entre-temps contraint Julienne à repartir à Ouagadougou pour 6 autres mois. Elle profita alors pour s’initier à l’informatique avec l’aide d’un ami avant de rejoindre son mari et le projet qu’elle avait quitté. Julienne est mère de deux filles de 7 et 5 ans, prépare et vend du dolo parallèlement à son job à VARENA ASSO, le projet qui l’a engagée.


En personne avertie, Julienne conseille

Même sans le titre d’expert, Julienne est une personne avertie du travail dans les familles comme dans les bars et maquis. Tout comme le proverbe «si jeunesse savait, si vieillesse pouvait», Julienne doit souffrir en voyant ses sœurs mourir d’envie de partir en ville. «Aujourd’hui, on ne peut plus conseiller n’importe quelle fille», dit-elle, lasse de devoir dire les mêmes choses chaque jour. Toutefois, elle confirme avoir réussi à convaincre d’autres à renoncer à leur projet mais beaucoup auraient fait la sourde oreille. Mme Somé est convaincue que Ouagadougou de leur temps est totalement différente de celle d’aujourd’hui si bien qu’« avec les hommes, si tu n’ouvres pas, tu ne manges pas».

Elle conseille celles qui se donnent la peine de l’écouter à rester au village même si c’est pour préparer du dolo. Pour elle, toute nouvelle qui arrive en ville peut facilement basculer dans la prostitution pour joindre les deux bouts en attendant la paie. En clair, Julienne croit que « c’est difficile de nos jours d’être dans ce domaine-là et être sérieuse ». Elle ouvre le voile sur un autre problème qui est le manque de solidarité entre elles. «C’est lorsque l’on se rend compte que tu es entre la vie et la mort qu’on pense vraiment à te faire rentrer chez toi. A notre temps, nous avons fait partir une des nôtres un samedi et le lundi elle est morte. Aujourd’hui, même si je dois repartir à Ouagadougou, ce sera juste pour autre chose, pas pour travailler dans les bars en tout cas », affirme-t-elle. Sa lutte pour retenir ses sœurs à Dissin tient au fait que sur place de nos jours, il y a des opportunités pour les filles d’apprendre un métier avec le service de l’action sociale, la Sœur Blanche, les ateliers de couture, de tissage, les salons de coiffures…Avec un peu de regret, elle affirme qu’il y en a qui, malgré l’apprentissage, s’entêtent et finissent par aller en ville. Soit par curiosité parce que ceux qui y ont été en parlent ou juste pour fuir les dures conditions de vie ou les coutumes et traditions.


Tielmè Innocent KAMBIRE
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Sidwaya N° 7229 du 8/8/2012

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