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L’Observateur N° 8367 du 6/5/2013

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Cité Trypano de Bobo : Une journée avec les lépreux
Publié le mardi 7 mai 2013   |  L’Observateur




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Un «village de lépreux» à Bobo-Dioulasso ? Peu d’habitants de la capitale économique du Burkina Faso en savent l’existence. Même la plupart des taximen, pourtant réputés être de fins connaisseurs des coins et recoins des villes où ils exercent, ne peuvent en piper mot. Pourtant…

Les derniers rayons du soleil s’éclipsaient peu à peu dans le ciel en cet après-midi du vendredi 19 avril 2013. Les bureaux de la Direction régionale de la Santé des Hauts-Bassins au secteur 1 de l’arrondissement de Dô se sont vidés de leurs occupants. Sur le seul espace qui n’abrite pas encore de bâtiment, une dizaine de jeunes garçons jouaient au ballon. Curieusement, une équipe compte six (06) joueurs pendant que l’autre n'en compte que cinq (05). Mais cela ne semble pas préoccuper ceux qui se font déjà appeler Messi, Ronaldo, Eto’o ou Drogba, encore moins un supporter tout excité sur le bord de l’aire de jeu. La vingtaine, sa tenue scolaire sur lui et son sac toujours en bandoulière, Salif Koné observe ses camarades jouer aux «petits poteaux», comme on surnomme ce football non encore conventionnel. Ce jour-là, il ne s’était pas préparé pour courir derrière le ballon. Mais ce n’est pas pour autant qu’il ne participait pas à la fête. Entre deux phases de jeu, Salif se lance dans des commentaires qui irritaient par moments les acteurs sur le terrain. Il semble être l’interlocuteur indiqué pour présenter ce petit monde. «Ils viennent de la cité Trypano», lance-t-il, les yeux rivés sur la boule de cuir. Cité Trypano ? Notre curiosité est aiguisée et nous nous approchons de lui pour en savoir davantage. «Ce sont des gens qui mendient», ajoute-t-il en guise de précision. Peu prolixe, il nous contraint à suivre le match avec lui, motus et bouche cousue. A la fin de la partie, les joueurs du jour ne se dirigent pas vers la porte ; c’est à la queue-leu-leu qu’ils disparaissent au fond de la cour. «Ils vont escalader le mur», lâcha notre interlocuteur pour couper court à l’étonnement qu’il lisait sur notre visage, indiquant au passage qu’il a déjà mordu sur le temps qu’il consacre à préparer son baccalauréat.

Cité Trypano donc ! Nous y voilà aux environs de 20h, juste le temps de sortir de la Direction régionale de la Santé et de faire le tour du mur d’enceinte. Deux types de constructions existent ici. Des maisons en matériaux définitifs construites en respectant un tracé d’une part, et d’autre part des bicoques en banco, enchevêtrées les unes dans les autres. Notre arrivée coïncide avec le retour du petit monde qui y vit, parti dès les premières heures de la journée à la recherche de la pitance quotidienne. Cette nuit-là, seule une des deux composantes des habitants est disponible : les bras valides.

A les écouter, le site aurait été aménagé dans le temps pour accueillir des malades de la lèpre. C’est ainsi que des gens sont venus des quatre (04) coins de la Haute-Volta, et même des pays voisins pour se soigner. Après guérison, ils devaient céder leurs maisons à d’autres patients. Mais au lieu de rentrer au bercail, ils sont plutôt restés sur le site. Pierre après pierre, maison après maison, leur village a ainsi vu le jour et compte aujourd’hui environ 400 personnes dans une quarantaine d’habitations. Comment le désignent-ils ? Trypano. Eux, la descendance des anciens malades, ont un coin fétiche : Faso Yiriba. C’est la place occupée en grande partie par ce caïlcédrat dont la plantation remonte à la construction des premières maisons. En 2001, la Direction régionale de la Santé, en décidant de mettre une clôture à ses différents services, a répondu favorablement à la demande de ses désormais voisins, en y installant deux ampoules néon. Depuis lors, la nuit venue, tout le monde s’y agglutine pour discuter de tout et de rien. «Ici, c’est notre capitale, c’est le centre ville», clame d’ailleurs avec fierté le quadragénaire Aboubacar Sidiki Ouattara. C’est donc tout naturellement que leur hôte du jour, l’auteur de ces lignes, y a été reçu. En un temps record, bancs, chaises et matériel de thé sont installés autour de cet invité qui s’est annoncé 24h plutôt. Et pendant que le fakir* déballe son dispositif, les confidences fusent de tous les côtés. Entre les autochtones et l’allogène, les échanges sont souvent ralentis par une barrière linguistique : les premiers ne s’exprimant uniquement qu’en Jula et le second sachant à peine dire bonjour dans cette langue. N’empêche ! A l’aide de gestuelle, an bi na débrouillé*.



Fils de lépreux : tout sauf une sinécure



A Trypano, il n’y a que des problèmes. Les uns plus graves que les autres, et tous découlant de la même source : le statut de rejetons d’anciens malades de la lèpre. «Quand on s’approchait des autres, on nous traitait d’enfants de lépreux. Personne n’osait nous fréquenter. Cette situation a fait que nous ne sommes pas allés à l’école». A 41 ans révolus, Ousmane Loué trouve dans cette stigmatisation l’origine de leur malheur d’aujourd’hui. Faute d’instruction, le voilà contraint à vivre des miettes qu’il gagne comme «débrouilleur dans la maçonnerie et la brousse».

L’inscription «Chauffeur» sur sa carte nationale d’identité, il la doit seulement à son permis de conduire. Selon ses dires, il a fallu attendre 1987 pour voir le premier d’entre eux prendre le chemin de l’école. Une dizaine d’enfants lui ont emboîté le pas en 2000 «grâce au soutien d’une Blanche». Au total, moins de 40 personnes ont fait les bancs aujourd’hui par différents canaux. Malheureusement, ils ne sont pas seulement privés d’instruction. Leurs logis n’échappent pas non plus à la ségrégation et la situation de quartier non loti dans la ville traîne son lot de désagréments. «Nous sommes considérés comme un petit village ; donc on ne peut pas avoir d’électricité. A chaque fois que nous avons approché la SONABEL, elle nous demande des références de parcelle», confie, dépité, Mamadou Traoré. Pour lui qui est né il y a plus de quarante ans, disposer de son lopin de terre relève du rêve et c’est injuste. Dans de telles conditions, ne serait-il pas plus sage pour eux de déménager aujourd’hui au lieu d’attendre que d’autres générations viennent encore s’ajouter à eux ? «Chacun de nous rêve d’avoir sa propre parcelle. Je ne peux pas avoir 50 000 F CFA d’épargne annuelle alors qu’une parcelle coûte des millions. Comment pourrais-je acquérir ma portion de terre dans ces conditions ?», rétorque Tchèkoura Diarra, jurant, la main sur le cœur, que sa charrette à traction asinienne ne peut pas lui permettre d’espérer mieux. Si le besoin de parcelles a fait l’unanimité, la manière de les obtenir, cependant, divise. Certains souhaitent que leur site actuel soit loti et réparti par famille. D’autres désirent que tous les habitants soient relogés ensemble sur un autre site viabilisé. Beaucoup sont prêts à prendre des parcelles qui seront dégagées dans les différents secteurs de la ville pour eux. Ce débat, aussi important que particulier, apporte une animation particulière et empêche ainsi la tranquillité des élèves du coin. En effet, Faso Yiriba sert également d’Amphi A 600* aux rares «étudiants» du village. Mais avec une telle ambiance, entre deux coups d’œil dans leurs documents, les quatre élèves alors présents promènent leur rétine sur l’assemblée extraordinaire qui leur dispute leur monde.

Les minutes s’égrènent. Les échanges devenaient de plus en plus riches. «Eh Allah» ! s’exclama soudain Tchèkoura. Il fait remarquer à ses camarades qu’ils ont commis un crime de lèse-majesté : leur invité n’a pas encore dîné. De cette règle de l’hospitalité, l’intéressé même s’en serait passé, avec la complicité de levures qui lui gratouillent les boyaux depuis plus d’une semaine. Il faudra pourtant sacrifier à ce djatiguiya. Rapidement, un jeune est dépêché en ville. Des assiettes en verre sont sorties pour la circonstance. Elles n’attendront pas longtemps avant d’être utilisées. Aboubacar Sidiki, en y vidant le contenu du sachet, fait une petite précision, mais tout de même assez grande : «Habituellement, ce que nous mangeons ici là est dur. Mais on ne peut pas vous donner ça même si on n’a pas les moyens». L’assiette est bien pleine. Son contenu, du couscous arabe avec de la sauce tomate grasse : un mets qui donne toujours à son consommateur une envie de rendre… Allez, il faut fermer les yeux et serrer les dents pour ne pas décevoir ceux qui se sont donné tant de peine pour faire plaisir à leur visiteur du soir.

Quelques minutes s’étaient écoulées après 23h à Trypano. Le petit Hamidou Kabré, malgré ses 18 mois, refuse toujours d'être dans les bras de Morphée. Dans une course folle dont lui seul détient la raison, il passait d’une concession à l’autre, en donnant des coups à ce qu’il trouvait comme clôture. Lorsque sa mère réussit à lui mettre la main dessus, ses paupières ne tardèrent pas à devenir lourdes. Du dos de sa génitrice, il lance à plusieurs reprises «Bye ! Bye !» à l’endroit de tous ceux qui les observent. Cette salutation a sonné comme une invite. Juste après lui, le petit monde du Faso Yiriba leva alors l’ancre. Il était 00h 05 mn.

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