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Production pénitentiaire et réinsertion de délinquants
Publié le vendredi 23 octobre 2015  |  Sidwaya




Pour ceux qui les ont connus il y a une dizaine d’années, leur réussite tient du miracle. Car, ils n’ont pas toujours été des modèles. Hier délinquants et prisonniers, aujourd’hui, ils sont des citoyens exemplaires qui font la fierté de plus d’un dans leurs localités respectives. Dans les villes de Léo et de Gaoua où nous les avons rencontrés, ces anciens détenus nous livrent le secret de leur succès post-carcéral.

Dari Joseph Kambou fait partie des commerçants qui gagnent bien leur vie dans la ville de Gaoua. Son chiffre d'affaires mensuel est estimé entre 2 et 3 millions de francs CFA. Sa boutique, garnie de pagnes, de mèches et de produits cosmétiques importés du Ghana, de la Côte d’Ivoire et du Mali ne désemplit pas. Dans la cité de Bafuji, il jouit d’une grande renommée en bien et en mal. En bien, c’est un commerçant modèle. En moins bien, il traîne derrière lui une réputation sulfureuse. Car, avant d’être un commerçant qui fait la fierté de son entourage, Joseph Kambou a été membre d'un puissant gang qui opérait jour et nuit à main armée dans les zones frontalières du pays. En 2004, il participe à une opération de braquage à la frontière Mali-Burkina. Le quarteron de bandits aguerris dans la manipulation des armes d'assaut "ferment" la route à la frontière. L'intervention de la Police judiciaire (PJ) occasionne la mort de deux de ses coéquipiers. Lui et un de ses compagnons prennent la poudre d’escampette. Mais sur les lieux de l'attaque, ils laissent un indice, une Carte nationale d’identité burkinabè (CIB) qui permet à la police de retrouver l’identité des braqueurs. La pièce retrouvée porte le nom d'un certain Dari Joseph Kambou en cavale depuis le braquage. Après trois mois de recherches minutieuses, le braqueur des frontières est appréhendé. Jugé et condamné à 10 ans de prison, le gangster est placé par la suite par les responsables judiciaires sous liberté conditionnelle (sa peine va jusqu'en janvier 2016). Vite, il réalise des économies du fait du travail qu'il mène en milieu ouvert. Et se lance dans le commerce avec le soutien de ses proches et l'encadrement des gardes de sécurité pénitentiaires.

Mon patron, un ex-détenu

Comme Joseph Kambou, Abdoul Razak Zongo, 29 ans, de teint noir et mesurant environ 1m 70, inculpé et condamné en 2008 à 5 ans de prison pour trafic international de stupéfiant, bénéficie de la part de la Maison d'arrêt et de correction de Léo, d'un placement à l'extérieur après avoir purgé la moitié de sa peine. A sa sortie de prison, le jeune homme qui manie bien la langue de Shakespeare va se tourner vers le business. Il ouvre dès sa libération en 2013 une mini alimentation dans la ville de Léo, commercialise des motocyclettes et des chevrons venus du Ghana voisin. Son bénéfice net par mois, pour ce qui concerne sa boutique, est évalué à plus de 500 mille francs CFA. Il emploie deux jeunes garçons dont l'un nous a confié que son patron est une référence. "Je sais que mon patron est un ancien prisonnier. Mais, je vous assure que la prison a changé sa façon de vivre depuis sa sortie", a déclaré le gérant de l'alimentation, Assane Ouédraogo. Toujours sur les traces des détenus repentis, nous avons rencontré Fausphin Nessao, 25 ans, impliqué en 2008 dans une affaire de vente illicite de carburant et de produits lubrifiants. Après enquête et jugement, il écope d'une peine de 2 ans, assortie d'une liberté conditionnelle. Aujourd'hui, M. Nessao, célibataire sans enfant est propriétaire d'un kiosque à café situé au cœur du marché de Léo. Selon lui, ses affaires marchent bien et même très bien. Il reconnaît que ce sont la mauvaise fréquentation et le désir du gain facile qui sont à l’origine de son incarcération. Comme lui, son voisin dans le même marché, Soumaïla Walbéogo est, lui aussi, un ancien prisonnier. Le chemin de ce père de 8 enfants croise celui de la prison le jour où il achète un mouton volé. Inculpé pour recel de petit ruminant, il est jugé et condamné en 2012 à 1 an de prison. Après avoir passé 8 mois derrière les barreaux, il est placé auprès d'un privé où il est rémunéré mensuellement à environ 30 000 CFA avec l’engagement de son patron de passer périodiquement émarger devant les autorités pénitentiaires pour attester de la présence effective du détenu. Toujours dans ce top 5, il y a Boureima Sakandé, 44 ans marié et père de 3 enfants. Trafiquant de drogue, il a été arrêté par les agents de la police en décembre 2012. Jugé et envoyé en prison, il a purgé sa peine dans la discipline. La liberté recouvrée, il ouvre, lui aussi, un kiosque à café et renoue avec la confiance des membres de sa famille, des voisins et des amis. Cet échantillon d'une longue liste d’anciens détenus qui réussissent à merveille leur "amendement" c'est-à-dire leur resocialisation explique le possible changement de comportement grâce aux conseils reçus en prison.

Le condamné est astreint au travail

Mais ces exploits ne sont pas le fruit du hasard. Ils résultent d'une série d'efforts conjugués par les services pénitentiaires alliant détention, sécurisation, production et resocialisation. C'est de cette alchimie qu'est née la production pénitentiaire. Mais qu'en est-il au juste? Selon le directeur de la production pénitentiaire, l'inspecteur de sécurité pénitentiaire Joseph Compaoré, les prisons autrefois faisaient recours à la brimade, au châtiment corporel pour éduquer les prisonniers. Mais très vite, ces méthodes se sont montrées inhumaines et caduques. Citant le pape Clément IX en visite dans la prison Saint Michel de Rome en 1703, il affirme que: "soumettre les individus malhonnêtes par le châtiment n'est rien si on ne les rend pas honnêtes par l'éducation". Pour signifier à quel point les prisons doivent se tourner vers la formation des détenus. Mieux, les textes internationaux prônent les droits de l'Homme et demandent à ce que les détenus soient traités avec humanisme. Ce qui justifie l'entrée en vigueur de la production pénitentiaire. Pour le directeur Compaoré, la production en milieu pénitentiaire est incontournable. Car elle permet d'occuper utilement les détenus, car seul le travail fait l'Homme. "Nous voulons susciter chez les délinquants, le goût du travail. Comme le disait Voltaire, le travail éloigne l’homme de trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin. La prison, c'est pour méditer sur ses erreurs», a soutenu M. Compaoré. Au Burkina Faso, le Centre de production agricole de Baporo (CPAB) situé à 175 km de Ouagadougou sur la nationale n°1 dans la province du Sanguié est une référence en matière de production pénitentiaire. Le CPAB, est une prison à ciel ouvert qui couvre une superficie de 100 hectares. Il est porté sur les fonts baptismaux en 1986. Il reçoit des détenus ayant purgé la moitié de leur peine en milieu fermé, et dont le comportement a été jugé bon pour intégrer le centre. La vocation du CPAB est la formation professionnelle des détenus pour une meilleure réinsertion sociale. Selon le directeur du CPAB, l'inspecteur de sécurité pénitentiaire, Eric Batiéno, le centre héberge 47 détenus pour une capacité d’accueil de 80 personnes. Une trentaine de gardes de sécurité pénitentiaire, tous grades confondus y travaillent. Ils assurent la sécurité et l’encadrement des prisonniers. Les objectifs assignés au CAPB consistent, entre autres, à former les prisonniers bénéficiant du régime de semi-liberté, à l'agriculture, à l'élevage, à l'artisanat, etc. Ce centre que nous avons visité en début septembre était en partie envahi par des eaux débordant le lit du fleuve Mouhoun. C'est à la rame dans une pirogue métallique que nous nous sommes rendus dans les champs. Silencieusement, le kayak a slalomé entre les fleurs de maïs encore visibles pour nous permettre de toucher du doigt les 20 hectares confisqués par l'eau. Sur plus d'une quarantaine d'hectares sont produits du maïs, du sorgho, de l’arachide etc. Mais aujourd'hui, du point de vue du chef de sécurité du CPAB, le contrôleur Demba Sangaré, le centre a besoin d'une extension d’environ 400 hectares afin de réaliser sa véritable capacité opérationnelle de production.

Mieux budgétiser la production pénitentiaire

Les détenus qui travaillent au CPAB sont des pensionnaires qui ont déjà effectué un temps d'épreuve carcérale. Il s'agit de ceux qui étaient en semi-liberté et qui se sont illustrés par leur bonne conduite. Ces derniers ont dû adresser une demande à la commission de l'application des peines de leur établissement qui valide leur aptitude à servir dans le centre. "Ce ne sont pas des détenus dangereux, leurs comportements ont été étudiés avant de les envoyer ici", a indiqué M. Batiéno. Pour la campagne 2015, ce sont au total 47 détenus qui vivent sur le site. Ils vont y parachever leur peine et pouvoir rejoindre sans autre forme de procédure leurs familles. A Gaoua, le représentant du directeur de la maison d’arrêt et de correction, le contrôleur Mazou Sawadogo, indique que la production carcérale aide à sustenter les détenus et à faire face à certains besoins des pensionnaires. Plus d'une dizaine d'hectares de maïs est produite cette année par les détenus de Gaoua. Dans le cadre de l’humanisation des prisons du Burkina Faso, d’importants efforts sont consentis par l’Etat pour améliorer le quotidien des détenus notamment par l'accompagnement budgétaire de leurs activités, reconnaissent les directeurs d'établissements pénitentiaires rencontrés. Par ailleurs, ils ont égrené un chapelet de préoccupations. Il s’agit, parmi tant d’autres, de l’irrégularité des décaissements de la dotation du budget national qui ne couvre pas toujours les besoins, la vétusté des équipements et des infrastructures, etc. Pour ce faire, ils formulent des doléances financières et espèrent que des partenaires financiers sauront tourner le regard vers les activités carcérales en vue de permettre aux maisons de correction de produire efficacement et favoriser la récupération et la réinsertion des fautifs dans le tissu social.

La réinsertion par le suivi post carcéral

Outre ses missions d'exécution des décisions et des sentences pénales et de maintien de la sécurité publique, l'administration pénitentiaire a pour rôle de favoriser la réinsertion sociale des personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire. Et la direction générale de la garde de sécurité pénitentiaire s'attache à analyser les conditions dans lesquelles l'administration pénitentiaire s'acquitte de cette double mission dans les domaines de la sécurité, du travail, de la santé, de l'hygiène de l'alimentation et dans le cadre des dispositifs tels que le placement sous surveillance ou encore la semi-liberté. Souvent appelée reclassement social, ou insertion sociale, la resocialisation se veut un processus au terme duquel un individu qui a commis un délit dans le passé cesse d'en commettre. Pour le directeur de la maison d'arrêt et de correction de Léo, l'inspecteur de sécurité pénitentiaire, Etienne Kagambèga, le processus demande des moyens et beaucoup de rigueur. Citant le physicien Albert Einstein, M. Kagambèga a affirmé qu' "il est plus facile de casser des atomes (invisibles à l'œil nu) que de changer des mentalités". Pour dire à quel point le processus est exigeant. La mission de réinsertion, selon l'inspecteur, consiste a priori à éviter les effets désocialisant de l'incarcération par le maintien des relations du détenu avec l'extérieur. C'est pourquoi, à son avis, il est plus que jamais nécessaire d'instituer un comité de suivi post-carcéral dans chaque établissement pénitentiaire pour accompagner le processus au-delà du séjour carcéral. A Léo un comité pilote est déjà fonctionnel. L'objectif du comité de suivi, selon l'inspecteur Kagambèga, est d'accompagner les détenus en vue de les aider à réinsérer la société.

Wanlé Gérard COULIBALY
gerard_coul@yahoo.fr
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Sidwaya N° 7229 du 8/8/2012

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