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Le serpent n’est pas mort, vive le droit!
Publié le mardi 29 septembre 2015  |  L`Observateur Paalga




Le bouillonnement politique en cours au Burkina Faso offre l'occasion de mesurer la forte prégnance du droit dans la difficile marche de la Nation sur le chemin de la liberté. Le droit ouvre une belle fenêtre pour décrypter l'état d'esprit dans lequel la Nation burkinabè se prépare à faire face à son douloureux passé, hanté par tant de peurs, pour oser enfin réinventer l'avenir.

LE SECOURS DU DROIT CONTRE LA PEUR DE LA RETORSION
Si le régime renversé par l'insurrection populaire et le régime issu du coup d'Etat ont appelé le secours de l'amnistie pour se déterminer à quitter le pouvoir et permettre l'alternance, le régime de la Transition est resté habité par une autre peur, celle d'une contre-révolution.

La peur de l'alternance: le secours de l'amnistie
On se souviendra que dans le débat suscité par le projet de modification de la Constitution en vue de faire sauter le verrou de la limitation du mandat présidentiel, un argument faisait valoir qu'il fallait accorder l'amnistie au Chef de l'Etat d'alors afin de le convaincre de partir. C'est dans cet esprit qu'il faut lire la disposition constitutionnelle, qui parlait au pluriel pour désigner la même personne : « une amnistie pleine et entière est accordée aux chefs de l'Etat du Burkina Faso pour la période allant de 1960 à la date d'adoption des présentes dispositions». Mais l'alternance étant finalement survenue par la voie d'une insurrection populaire, on peut juger que cette amnistie n'a pas suffi à rassurer son premier bénéficiaire.

On ne se doutait donc pas que, moins d'un an après, un débat sur l'amnistie referait surface, comme on n'a pas non plus prédit un coup d'Etat contre le régime de la Transition. Le recours à l'amnistie comme monnaie de change politique est bien connu en Afrique, particulièrement dans les négociations de sortie de crise. Au Burkina Faso, cette question soulève les mêmes objections qu'ailleurs, à savoir que l'amnistie serait une violation des droits des victimes et constituerait une prime à l'impunité. Il faut dire que la réussite de toute négociation d'amnistie est largement tributaire de l'équilibre des forces militaires et politiques en présence ainsi que du risque d'aggravation du conflit.

La peur de la Rectification: la neutralisation par le droit

La première révolution burkinabè ayant été interrompue par une contre-révolution baptisée du nom de « Rectification », le régime de la Transition est resté habité par la crainte de connaître le même sort, crainte que le coup d'Etat est venu justifier. Dans la psychose d'un possible retour de la manivelle, le droit devait aider à la reddition des comptes : poursuites contre les hauts dignitaires du régime déchu pour détournement de deniers publics et corruption, et déchéance élective contre ceux qui ont «ouvertement soutenu une modification de la Constitution portant atteinte au principe de l'alternance, et ayant abouti à une insurrection populaire». Mais on sait que la loi n'est jamais politiquement neutre. On ne peut nier que la loi électorale visait aussi une neutralisation politique et une redistribution des cartes.

LE SERPENT N'EST PAS MORT, VIVE LE DROIT!

« Le serpent n'est pas mort, ne jetons pas les bâtons », tel fut l'appel à la vigilance lancé par les insurgés. Ce serpent de la tentation n'est pas à rechercher dans les rangs d'un quelconque parti politique mais dans l'esprit des hommes. Il possède trois têtes : le culte de l'infaillibilité du Chef, l'unanimisme de la pensée et la bipolarisation de la rancoeur.

Le premier serpent: le culte de l'infaillibilité du Chef

C'est toute notre conception de la vie en République qu'il faut questionner qui consacre l'infaillibilité du Chef - « le Chef ne ment pas», dit un proverbe de chez nous. Cette vision monarchiste se retrouve jusque dans la Constitution. Le Chef de l'Etat est politiquement irresponsable. Il garde la haute main sur l'Armée, au point que les soldats ont désappris de servir la République pour mieux le servir. « Merci papa », tel était le surnom attribué au pécule versé aux soldats affectés à la sécurité de l'ancien Président. Le Chef de l'Etat garde aussi la haute main sur la Justice dont le fonctionnement est tributaire de son bon vouloir. La course effrénée aux hautes fonctions publiques cache ainsi une véritable ruée vers l'or de l'impunité et les «privilèges de juridiction ». Il a fallu attendre une alternance politique pour réhabiliter la Haute Cour de Justice et voter les premières mises en accusation contre les barons de la République.

Mais l'alternance ne marquera pas non plus la fin de l'histoire, car

tout régime est prompt à juger ses «ennemis politiques» mais rechigne à s'essayer à soi-même les armes de la Justice.

Le deuxième serpent: l'unanimisme des consciences

En s'attaquant aux médias, les auteurs du coup d'Etat ont montré à quoi peuvent ressembler les jours sombres de la pensée unique, en même temps qu'ils ont rappelé l'urgence de réhabiliter les opinions dissidentes dans l'espace public et de vaincre le « Toukguili» de la pensée. Une société où tout le monde applaudit est une société décadente, car elle ne voit jamais venir le péril. Les opinions réservées, nuancées ou dubitatives sont les meilleurs ferments de l'intelligence humaine et de la démocratie. On a attribué à Voltaire ces mots qui résument bien la valeur de la tolérance: «Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ».

Le troisième serpent: la bipolarisation de la rancoeur

Le Burkina Faso est sorti de sa première révolution avec une bipolarisation de la vie politique. Ce serait une grave erreur de dupliquer cette vision manichéenne du triomphe d'un camp sur un

autre. Le travail de réconciliation nationale ne fait donc que commencer. Et la Justice institutionnelle étant mal armée pour exorciser la bipolarisation de la rancoeur et panser des plaies aussi profondes, toutes les solutions alternatives seront les bienvenues. Il est heureux de constater que les institutions religieuses et coutumières demeurent, au côté des institutions étatiques, des béquilles solides pour aider à renouer le fil du dialogue. Tout l'avenir repose dans les tréfonds de nos coeurs. Ce n'est qu'à la seule condition d'un ultime sursaut vers l'autre que « rien ne sera plus comme avant ».


Maître Arnaud Ouédraogo

Avocat

Auteur du manuel juridique de la vie quotidienne
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