Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Femmes    Pratiques    Le Burkina Faso    Publicité
aOuaga.com NEWS
Comment

Accueil
News
Société
Article
Société

21 ans après leur expulsion de Folembrey (France) : « Nous sommes oubliés, jetés et maltraités », Ahmed Simozrag
Publié le mercredi 2 septembre 2015  |  Le Quotidien




Les expulsés de Folembrey ou les déportés comme, ils aiment eux-mêmes à le dire, sont au Burkina Faso depuis le 31 août 1994. 21 ans après cette déportation de Folembrey, une ville française où se trouve une caserne, rien n’a en réalité changé dans la situation de ces déportés. Même pas de jugement pour en finir avec les accusations de terrorisme qui fusent contre eux ou leur permettre de purger leur peine, déplorent les expulsés. Pis encore, ils disent être oubliés, maltraités, plongés dans la galère quotidienne lorsque le doyen des expulsés, Ahmed Simozrag, nous a accordé un entretien dans la matinée du 31 août 2015. Cet homme était avocat du Front islamique (Algérie) résidant en France lorsqu’il a été pris dans une rafle de la police française avec ses camarades. Il revient sur les circonstances de leur arrestation et de leur déportation de Folembrey à Ouagadougou. Sur certaines questions d’actualité notamment sur le terrorisme, il condamne les actes terroristes contre Charlie Hebdo en France et ceux de Boko haram et autres.

Le Quotidien : Pouvez-vous rappeler la genèse des faits de l’affaire des expulsés de Folembrey ?

Ahmed Simozrag l’un des doyens des expulsés : J’ai déjà fait à plusieurs reprises la genèse des faits. Néanmoins, je vais faire un bref rappel. En réalité, il y a eu deux rafles, une en 1993 et une autre en 1994. A l’époque la police française a procédé à l’arrestation de 88 personnes. Je faisais partie des personnes arrêtées et parmi elles, huit personnes ont été assignées à résidence en France. En 1994, la deuxième rafle a eu lieu. Les personnes qui ont été arrêtés au cours de cette rafle cumulés avec les personnes assignées à résidence ont été regroupés dans une caserne qui est dans la ville de Folembrey. Suite à un mois de regroupement, personne n’a pensé à une déportation puisqu’on se disait que l’affaire est en justice. En rappel, nous avons été accusés d’appartenance à un mouvement terroriste. Un matin du 31 août 1994, de bonne heure, nous avons été précipitamment embarqués en interrompant une séance de prière. On se croirait à un tremblement de terre comme pour paraphraser un frère. Nous n’avons même pas eu le temps de préparer nos bagages. Nous avons été embarqués dans des bus et nous nous sommes dirigés vers l’aérogare militaire de Reims. Là, un avion, nous attendait. Nous avons dû embarquer dans cet avion. Nous ne savions même pas quelle était notre destination. Par la suite, l’avion a atterri à l’aéroport de l’île de Las Palmas. Nous avons été informés que l’avion devrait se ravitailler en kérosène. Pourtant, il n’en était rien parce que des appels étaient multipliés en direction de plusieurs pays pour trouver notre destination. Dès que l’avion a décollé de là-bas, nous nous sommes retrouvés à Ouagadougou au Burkina Faso. Nous ne connaissions pas à l’époque le Burkina Faso. C’était comme un cauchemar, de se retrouver, de Paris à Ouagadougou avec un changement total. Nous avons laissé derrière nous nos familles respectives. Nous nous sommes retrouvés dans une nouvelle situation avec des difficultés. Nous ne mangions pas et nous ne dormions pas bien. Nous ne disons pas que Ouagadougou n’est pas bien mais il faut dire que c’est une situation brusque. Par conséquent, nous nous posions des questions. Qu’avons-nous fait pour mériter cela ? Nous avons cru que cela va durer une semaine, un mois, un an jusqu’aujourd’hui.

Des années plus tard, combien vous êtes maintenant au Burkina ?

Au départ, nous étions 20 personnes mais il ne reste aujourd’hui que 6. 14 sont partis en France, Suisse, au Royaume-Uni. En ce qui me concerne, je suis assigné à résidence par deux ou trois militaires. Il y a au moins deux des nôtres qui sont devenus presque fous. J’écris beaucoup de livres et des articles sinon, il est difficile de tenir.

Comment vous commémorez cette date du 31 août ?

Nous essayons de nous rencontrer entre nous. Mais, nous ne sommes pas nombreux. Nous nous verrons d’ici ce soir. « Pour nous, la Transition n’existe pas ».

Etes-vous bien traités par l’Etat burkinabè ?

Depuis 21 ans, les choses n’ont pas beaucoup changé. Nous connaissons Gilbert Diendéré et ses hommes. Nous n’avons pas d’interlocuteur civil. Alors que le contact avec Diendéré est très difficile. Nous n’avons aucun contact avec les civils. Nous trouvons cela illégal que de déporter des gens et leur couper le contact. S’il y a quelque chose d’urgent, nous ne savons qui contacter. Pour nous, la Transition n’existe pas. Nous n’avons pas de contact ni d’interlocuteur. En ce qui me concerne, mon contact c’est le militaire qui me surveille. L’Etat burkinabè a dit que nous avons été pris en charge à titre humanitaire. Nous lançons un SOS. Nous sommes oubliés et jetés et maltraités. Il n’y a aucune considération des autorités envers nous.

Qu’en est de votre prise en charge alors ?

C’est un militaire qui vient nous donner des miettes. Pour ce mois, il n’est même pas encore venu. Le bailleur de ma maison m’a contacté, je lui ai même dit que je n’ai rien reçu et que j’attendais les militaires. Celui-ci m’a répondu que le contrat de bail a été signé par moi et non par quelqu’un d’autre.

Le régime de Blaise Compaoré sous lequel vous avez pu fouler le sol burkinabè est déchu. Quels sont vos rapports avec la Transition. Vos préoccupations sont-elles prises en compte ?

Nous ne connaissons personne. Nous connaissions Zida qui a été notre interlocuteur, une année. Egalement Kéré et Diendéré . Depuis que Isaac Zida est aux affaires, nous n’avons eu aucun contact avec ceux-ci. Il y a aussi Salif Diallo qui nous a accueillis à l’aéroport à notre arrivée, le 31 août 1994. A l’époque, il y avait également Ablassé Ouédraogo qui était le ministre des Affaires étrangères du Burkina. Nous n’avons aucune information mais c’est l’Etat burkinabè qui nous apporte des subsides pour payer notre loyer et le pain. Nous sommes mal vus parce qu’on dit de nous que nous sommes des déportés. Nous n’avons aucun contact, ni aucune sympathie.

Quel appel lancez-vous ?

Nous invitons les organisations de défense des droits de l’homme et à la justice s’il existe une justice nationale et internationale. Je ne comprends pas pourquoi, la France ne s’est pas occupée de mon dossier alors que la loi oblige la France a examiné le dossier, tous les cinq ans. La France ne veut pas reconnaître ses responsabilités alors qu’il s’agit d’un acte illégal. Notre expulsion est une mesure illégale qui a entrainé des dommages et des pertes énormes. Si nous sommes coupables, nous voulons maintenant qu’on nous juge.

Que fait l’Etat algérien ?

Nous n’avons aucun problème contre l’Etat algérien. Peut-être que c’est l’Etat algérien de l’époque qui est à l’origine de notre éloignement. Je dis bien peut-être. Je ne dois pas cacher, on m’a demandé de rentrer en Algérie. Il s’agit de quelqu’un de l’ambassade.

Cette proposition est donc la bienvenue pour vous ?

Je ne peux pas rentrer en Algérie. Je ne suis pas une pierre qu’on pose et après 21 ans, on lui dit de rentrer. Pourquoi m’avez-vous amené au Burkina ?

Quid des accusations qui pèsent sur vous ?

Je ne reconnais aucunement des accusations et je veux une indemnisation. Quel que soit le montant de l’indemnisation, cela ne pourrait pas suffire pour réparer ce que j’ai subi comme dommages.

N’est ce pas une chimère que vous soyez indemnisé ?

C’est vrai que c’est une chimère mais cela n’en est pas une dans le droit. Selon le droit, des gens ont été déportés et indemnisés par la suite.

Comment vous appréciez l’attentat terroriste contre Charlie hebdo qui a défrayé la chronique en France ?

Je condamne le terrorisme.
C’est vrai que Charlie Hebdo a entrepris des choses qu’il ne devrait pas faire mais cela rentre dans le cadre de la liberté d’expression quoique cette liberté ait des limites.
Quoiqu’il en soit, l’acte dont Charlie hebdo a été victime est un acte déplorable et condamnable que je condamne fermement. Ce n’est pas comme cela qu’il faut s’en prendre à celui qui parle ou critique, avec des armes. C’est une violence inouïe qui n’a rien à voir avec l’Islam. Le prophète a été mille fois critiqué, dénigré pendant sa vie et Dieu lui a demandé dans le Coran de patienter et d’oublier. Ceux sont des gens qu’on ne connaît pas qui disent agir comme des musulmans.
Commentaires