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Initiation Turka: les moments où les filles sautent nues par-dessus les flammes
Publié le dimanche 19 juillet 2015  |  Sidwaya
Initiation
© Sidwaya par DR
Initiation Turka: les moments où les filles sautent nues par-dessus les flammes




Seins nus naguère, les jeunes filles turka en phase d’initiation, étaient astreintes à des règles coutumières strictes. De nos jours, si elles sont autorisées à cacher certaines parties intimes de leurs corps, elles doivent encore affronter des périodes austères qui les préparent à la vie en couple. Durant cette phase, elles ne doivent plus s’asseoir sur un tabouret ou un mortier, ni lever les yeux sur un cadavre, ni utiliser une monture, encore moins sortir avec un garçon.

Torse nu, un pagne traditionnel de couleur vert-bleuté, noué autour de la taille et descendant jusqu’aux pieds; un soutien-gorge en résille pour cacher sa poitrine. Voilà apparue Adjata Hié, fraîchement purifiée, c’est-à-dire dénudée et lavée selon le rituel pratiqué par les Turka à Golona, quartier situé à l’ouest de Douna, commune rurale de plus de 10 000 âmes dans la province de la Léraba. Adjata arbore des tresses traditionnelles et du henné aux pieds. Les maîtresses lui portent sous forme de ceinture, un chapelet de cauris blancs reliés par un fil. Puis elles en ajoutent un autre, puis un autre encore jusqu’à couvrir le bas-ventre. Avant la purification, elle a été soumise à des actes d’invocation et de bénédiction. C’est le premier jour de l’initiation qui va durer une «semaine turka», correspondant à cinq jours du calendrier grégorien. A la fin, elle devra sauter nue au-dessus de petites flammes avant d’être considérée apte à fonder et gérer un couple et à poursuivre la vie, en dépit du feu qui ne manquera pas dans tout foyer.

En attendant, Adjata Hié est surveillée et soumise à des astreintes. Même si sa mère venait à disparaître, elle n’aurait pas le droit de voir le corps. En outre, elle est autorisée à s’asseoir uniquement sur une natte ou à terre. Et l’abstinence est la moindre des choses à recommander. C’est ainsi que commence l’initiation pour toutes les jeunes filles turka de Douna.

Les Turka forment un peuple établi principalement dans la région des Cascades, à l’Ouest du Burkina Faso, notamment dans les localités de Douna, Tourni, Wolokonto, Toumousséni, Bérégadougou, Malon, Moussodougou... Pour préparer les jeunes à entrer dans la vie d’adulte, les Turka, en particulier ceux de Douna, organisent chaque année, généralement dans le mois de mars, des rites initiatiques réservés uniquement aux filles. Les candidates à l’initiation, dont l’âge est désormais d’environ 18 ans, étaient bien moins âgées dans le temps. «Dans un temps reculé, elles étaient initiées à partir de 15 ans», souligne Bakjéhouya Soura, notable coutumier.

C’est la mère qui enclenche le processus en informant son époux que leur fille est en âge d’être initiée. Prosaïquement, elle signale que sa fille est prête à quitter le cocon familial pour fonder son propre foyer. Le père peut refuser, s’il est d’avis contraire ou si les récoltes ne sont pas suffisamment bonnes pour supporter les festivités. Sinon, le couple en informe leur fille qui a la possibilité de demander le report de son initiation, avec le risque d’énerver sa mère. En principe, la doyenne dans la famille d’origine de la mère, est aussi mise au parfum du projet.
Se purifier et se protéger des forces maléfiques


A Douna, petite ville en formation à une quarantaine de kilomètres de Banfora l’initiation des jeunes filles reste vive et constitue un événement annuel phare de réjouissance pour les populations. Depuis la mi-mars, période post-récolte propice aux rituels, les opérations initiatiques se sont succédé. Plusieurs filles y ont été soumises dont des élèves en majorité.
Ce vendredi 17 avril 2015, jour de marché, Barakissa Son et sa voisine, Adjata Hié, ont rompu avec le cercle des «profanes». Barakissa Son, 18 ans, résidant au quartier Golona, a subi avec succès l’épreuve d’initiation. Tôt le matin, conduite par trois femmes, tous membres de la famille élargie, elle est allée recevoir les bénédictions et les invocations du doyen paternel, à cinq kilomètres de la résidence familiale, en toute discrétion. Cette étape si essentielle dans l’initiation, est généralement couverte du sceau du secret. Mais l’une des maîtresses, Kjièkoula Hié, âgée d’environ quarante ans, a voulu en parler davantage. Selon elle, c’est un moment où la future initiée est soumise à plusieurs gymnastiques.

Elle indique qu’assise à même le sol et quelquefois accroupie, Barakissa est restée embastiller dans un espace circulaire tracé de cendre en guise de protection contre les forces nuisibles invisibles.
Puis, le notable paternel, tenant dans sa main droite, un caillou sauvage, a invoqué la clémence de Dieu et les mânes des ancêtres afin qu’ils puissent accepter la candidate dans sa nouvelle posture d’initiée, lui accorder la santé et un bon et paisible foyer dans le futur.
«C’est un acte fondamental qui conditionne la suite de l’épreuve d’initiation», a laissé entendre la maîtresse Kjièkoula, accompagnante de Barakissa au domicile du grand-père. C’est par là que prend fin la première étape.

Les invocations et bénédictions prononcées, les accompagnantes, en chœur, lancent un cantique d’honneur en langue locale turka ponctué par: «Ahéé! nonnon hooo Ayaa!». Ce qui, littéralement traduit, donne: «Notre fille est acceptée dans le cercle des initiées». Barakissa vient donc de faire son entrée dans le cercle des initiées. A partir de là, elle amorce une autre vie qui l’a conduira vers un foyer. Initiée, elle ne peut plus cheminer avec les non-initiées lors des travaux, des promenades, mais avec d’autres initiées ou alors avec les femmes mariées.
Ointe de bénédictions, elle effectue le retour à la maison paternelle. Le long du chemin, depuis le domicile du grand-père, le cantique d’honneur est repris en refrain. A l’approche du domicile paternel, les refrains et cris des accompagnantes sonnent l’alerte. Un accueil triomphal est réservé à la nouvelle initiée.


L’épreuve du saut en tenue d’Eve

A l’entrée, des femmes qui exultent, lui portent un van sur la tête. Elle a l’air de porter un grand chapeau. Confiée à la protection divine et aux mânes des ancêtres, l’initiée n’a qu’à observer plus les règles et les interdits prévus, durant cinq jours. «Elle ne doit pas s’assoir sur un tabouret, ni voir le corps d’un mort, ni avoir un rapport sexuel, ni monter sur une monture. Elle doit toujours dormir avec un fil de cauris noué à la hanche, symbole de la protection maternelle», confie Mihilédaba Kara, l’une des doyennes maternelles.

A l’intérieurDE LA MAISON, Barakissa est installée sur une natte tissée de feuilles de rônier, arbre jouant un rôle important dans la culture turka. Pieds tendus en avant, les mains sur les genoux, elle observe le cercle de femmes qui se dressent autour d’elle. A l’aide d’un bâtonnet de fer qu’elles frottent contre de petits instruments métalliques en dents de scie, ‘’Kogokjiè’’ en langue locale, elles s’adonnent au tintement musical et dansent à la ronde autour de l’initiée. «C’est la danse de l’honneur et de la gloire pour la famille», indique la cantatrice, Vouladjo Soura, une sexagénaire. L’épreuve de purification s’y invite. Comme l’exige la coutume, ce premier jour, l’initiée est lavée par Kjièkoula.

Après la purification, Barakissa noue un pagne multicolore dominé par le rouge. Autour d’elle, deux femmes lui placent habilement, un à un, les fils de cauris sur le bassin.Au soir du cinquième et dernier jour de l’initiation, Barakissa doit subir des rituels plus exigeants qui s’accomplissent hors de la vue des hommes. Ces rituels impliquent des scènes de nudité. Alima Soura, 19 ans, initiée deux semaines auparavant s’est confiée. Selon elle, les derniers rites s’accomplissent au croisement de deux ou plusieurs voies, à la tombée de la nuit, à l’abri des regards. Pour ces rites, l’initiée est d’abord dénudée. Puis, à l’aide de feuillage autour de la hanche, elle devra sauter par-dessus de petites flammes. Ces flammes prennent naissance dans des feuilles séchées d’une plante aux vertus spéciales. Le saut est exécuté à quatre reprises.
Au dernier saut exécuté, à l’aide d’un pied, les choses s’accélèrent selon les confidences de Mlle Soura.

Il faut, en effet, fracasser un morceau de calebasse et le réduire en débris puis d’un geste de la main, se détacher de son cache-sexe et regagner la maison en courant. Dans sa course non-stop, l’initiée ne jette aucun regard, ni à gauche ni à droite, ni par derrière. Accroupie, front contre sol, lorsqu’elle atteint la maison, elle est aspergée d’eau fraîche sur le corps, une épreuve au cours de laquelle elle ne doit pas greloter. Symbole d’endurance, de courage et de vitalité, c’est l’acte qui met fin aux cinq jours d’interdits et d’épreuves.

Passage forcé et non mariage forcé


Le notable coutumier, Bakjéhouya Soura, descendant de la lignée du chef du village, gardien des coutumes et traditions explique que l’ornement autour de la hanche est une marque qui distingue les nouvelles initiées des autres. «Pour les personnes instruites, quelqu’un qui voit ces cauris autour de la taille d’une fille sait directement qu’elle a subi l’initiation. Et qu’elle est coutumièrement apte à fonder un foyer», précise le notable coutumier. Les cauris sont aussi le symbole de la protection et de la manifestation de la richesse de la lignée.

Cependant, il n’y a qu’à Douna que l’initiation comporte le port des cauris à la hanche. «Si tu vois une photo dans un musée où une jeune fille porte des cauris sur les hanches, cette photo représente Douna. C’est une identité culturelle propre aux Turka de Douna», révèle Dounifalmy Son, 47 ans, respecté à Douna pour ses connaissances en matière de coutumes et traditions.
De l’avis de Dounifalmy, l’initiation est un passage du stade de petite fille à celui de future épouse, même si l’initiée n’a pas de prétendant. Mais aussi fondamentale soit-elle, elle n’est plus ou moins une condition sine-qua-non pour les jeunes filles candidates au mariage. On trouve des filles initiées mais non mariées (si elles n’ont pas encore rencontré de prétendants, si elles sont occupées par les études ou si elles demeurent physiquement fragiles) et des femmes mariées, mais non initiées. Toutefois, une femme légalement mariée ou vivant en concubinage et ayant des enfants, tant qu’elle n’a pas encore porté les cauris de l’initiation, demeure une «petite fille». Aucune de ses filles ne peuvent prétendre à l’initiation avant elle. Pour se mettre en règle, des étudiantes et élèves viennent accomplir cette coutume et continuent leurs études. Cette année, il y en a eu….

Des modifications et des assouplissements ont été apportés au rituel pour tenir compte de l’évolution du temps. L’âge d’initiation est aligné sur l’âge de la majorité légale au Burkina Faso, qui est de 18 ans. La cérémonie initiatique et les rites se tiennent aujourd’hui officiellement en une semaine; parfois en un ou deux jours, selon un calendrier souhaité par la famille initiatrice. A une certaine époque, c’était quatre semaines. Et chaque jour qui passait, la famille dépensait plus pour l’accueil des invitées et des visiteurs. Tenue à la réclusion, l’initiée encourait pour sa part le risque d’enfreindre à la loi.
Les assouplissements ont sans doute permis de pérenniser cette pratique pour sauver le caractère symbolique et préserver un pan de la culture turka, mise en mal par la modernité.

Par Bakary SON
sonbakary@yahoo.fr
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Sidwaya N° 7229 du 8/8/2012

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