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L’Observateur N° 8340 du 26/3/2013

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Chefferie coutumière, article 37, alternance... : Le PoéNaaba parle
Publié le mercredi 27 mars 2013   |  L’Observateur




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Le temps a fait son œuvre et le Poé-Naaba, jadis grand inquisiteur de la cour royale de Ouaga, joue aujourd’hui le rôle de ministre de la Justice auprès du Moogh-Naaba (1). Poste qui ne l’empêche nullement de surfer sur d’autres sites, tels celui de la politique qui l’aura mené ces dernières années vers le navire battant pavillon UPC, parti de l’opposition prêchant l’Union pour le progrès et le changement.
Vous l’aurez deviné vous-mêmes, celui-là n’est autre que Justin Compaoré à l’état civil, honorable député depuis le 6 mars 2013 après la décision de ne pas siéger de son mentor, Zéphirin Diabré. Le Poé-Naaba devient également, sous la IVe République, le deuxième des ministres du Moogh-Naaba à siéger après le Larlé Naaba Tigré, élu CDP, qu’on ne présente plus.
Pour son Burkina natal, le jeune loup ne tarit pas d’ambitions. D’où son engagement aux côtés des chantres du changement et de l’alternance. Dans cette exclusivité qu’il nous a accordée, le Poé-Naaba ne fait aucunement mystère de sa position vis-à-vis de l’actualité nationale brûlante, y compris le débat sur le fameux article 37 de la Constitution burkinabè limitant à deux le mandat présidentiel. Pour ce coutumier, si le président Blaise Compaoré veut bien retourner à la monarchie, eh bien, qu’il nous retourne notre naam, notre pouvoir….
Lisez plutôt !




Pour le profane, qui est le Poé-Naaba ?

• A l’état civil, je suis Justin Compaoré. Je suis marié et père de trois enfants. Sur le plan formation, j’ai un bac A4 après lequel j’ai fait quelques années de droit. Ensuite, j’ai étudié la Logistique-Gestion des stocks. Je suis aujourd’hui chargé du suivi et de l’évaluation dans un projet de lutte contre le paludisme.


Depuis quand et dans quelles circonstances êtes-vous devenu Poé-Naaba, ministre du Moogh-Naaba ?

• Pour être chef coutumier, cela obéit à plusieurs étapes. Le candidat à la chefferie coutumière doit d’abord être de sang princier, c’est-à-dire du noyau de la famille princière.
Ensuite, il faut que sa candidature ait été proposée par la famille et que Sa Majesté le Moogh-Naaba l’ait acceptée.
Après quoi, la personne doit répondre à un certain nombre de critères physiques et moraux : il doit être physiquement apte et de moralité irréprochable. Ainsi, le souverain reçoit la candidature, l’accepte ou la rejette. En tant que fils de Poé-Naaba, ministre du Moogh-Naaba, j’ai suivi ce processus après le décès de mon papa en juillet 2001. Et j’ai été intronisé en septembre 2001 par Sa Majesté le Moogh-Naaba Baongho, dont je suis le ministre de la Justice.


Quel est le rôle exact du Poé-Naaba dans la cour royale ? Et quel rang y occupez-vous?

• Je suis tenté de remonter le temps pour expliquer certaines choses. Il faut savoir qu’il y a eu des tentatives de réécrire l’histoire depuis la colonisation. Et malheureusement, cela s’est souvent fait au profit des forts du moment. Lorsque le colon est arrivé en Haute-Volta, il a utilisé les chefs coutumiers comme des collaborateurs. Bien sûr, certains ont résisté et d’autres ont accepté. Evidemment, le Blanc a fait la promotion de ceux qui l’ont suivi au détriment des “rebelles”. Cela dit, pour répondre à votre question, sachez que le Poé-Naaba était le grand inquisiteur du Moogh-Naaba. C’est lui qui avait le pouvoir de déceler ce qui était caché, ce que l’on voulait cacher à Sa Majesté. Il officiait tous les jeudis et dévoilait toutes les affaires qui s’étaient déroulées au cours de la semaine dans le palais. Vous savez bien que quand on parle d’inquisition, c’est une fonction qui a toujours été combattue et qui a toujours suscité à la fois crainte, respect, suspicion et jalousie. Il y a par exemple le cas de la lutte de Jeanne d’Arc en France qui a été une martyre de cette pratique. Voilà ce qui explique un peu le fait que le Poé-Naaba n’était pas aimé. C’était l’un des personnages les plus craints du royaume, car il avait des pouvoirs mystiques. Mais aujourd’hui, avec la modernisation, cela va changeant ; et ma fonction correspond à celle de ministre de la Justice.
Pour revenir à la place du Poé-Naaba dans la cour royale, il faut savoir que dans le cas coutumier, nous parlons de préséance. On en est arrivé là parce qu’avant, les ministres de Sa Majesté parlaient en même temps, et le souverain ne pouvait évidemment pas écouter tout le monde à la fois. C’est pourquoi à l’époque, il a été établi l’ordre selon le droit d’aînesse, et cela est demeuré. Ainsi, le Poé-Naaba, dans cette préséance, est le 6e ministre de Sa Majesté.


Pourquoi vous surnomme-t-on LIK KOOMEN YEEL YEELLE (celui qui voit l’avenir dans l’eau) ? Et aussi NAAB POUG KIEMA (première épouse du roi) ?

• (Rires) Comme je le disais tout à l’heure, le Poé-Naaba officiait tous les jeudis. Et le Poé décelait ce qui était caché dans une jarre remplie d’eau et il y avait d’autres éléments qui entraient en compte, lesquels permettaient à l’inquisiteur d’entrer en communication avec le monde de l’invisible. Quand la cour est réunie et que vous arrivez, vous constaterez que le Poé-Naaba est assis à côté du Benda Naaba, et il est face à la case des morts.
Il est en ce moment en communion avec les morts. Ces pouvoirs mystiques consistaient donc à regarder dans l’eau pour déceler ce que les gens cachaient et à communiquer avec les morts. C’est pourquoi on l’appelle LIK KOOMEN YEEL YEELLE, littéralement “REGARDE A TRAVERS L’EAU ET DIS CE QUI SE PASSE”. Et le Poé-Naaba officiait seulement dans la cour du Moogh-Naaba. Vous savez qu’on ne peut pas parler de la cour sans parler des femmes. C’est lui qui assurait aussi la sécurité des épouses de Sa Majesté ; et pour cela, c’était l’un des ministres les plus appréciés du Moogh- Naaba. D’où le surnom NAAB POUG KIEMA.
L’opinion publique vous a découvert à la faveur de votre engagement en politique dans les rangs de l’Union pour le progrès et le changement (UPC). Pourquoi votre choix s’est-il porté sur ce parti ?

• C’est fort de mon idéal de développement et animé du souci d’apporter ma modeste contribution à l’édification de ma nation. Par ailleurs, sur le chemin de la quête du savoir, j’ai été amené à intégrer un groupe dans lequel je pouvais m’épanouir, partager mes idéaux et une vision pluraliste commune du développement de mon pays et à l’intérieur duquel il peut y avoir un débat contradictoire. A l’avènement donc de l’UPC, j’ai vu en ce parti la formation qui répond le plus à mes aspirations. Voilà pourquoi je m’y suis engagé. En plus, sa politique est de chercher à préserver les acquis tout en améliorant ce qui doit l’être.


Quelle fut la réaction du Moogh-Naaba à votre décision de militer ouvertement dans l’opposition ?

• Il est normal que je puisse me référer à Sa Majesté chaque fois que de besoin sur des questions vitales et existentielles. Et lorsque je voulais m’engager, j’ai été comme tous les matins dans la cour du Moogh-Naaba, après j’ai demandé une audience avec lui. C’est ainsi que je lui ai fait part de mon ambition de m’engager en politique, et dans un parti d’opposition de surcroît, ce qui était une première parmi ses ministres. Même si d’aucuns ne se sont pas engagés mais apportent néanmoins leur part très importante dans la construction de ce pays. Sa Majesté s’est réjouie de ma décision mais a aussi eu des appréhensions, car, comme vous le savez, il y a un débat sur l’engagement des chefs coutumiers en politique qui n’est pas encore terminé. Elle a aussi souhaité que cet engagement puisse apporter quelque chose à la chefferie coutumière traditionnelle. Nous avons également échangé sur des questions importantes et Sa Majesté finalement m’a donné ses bénédictions et les conseils nécessaires pour réussir ma mission qui est d’apporter une pierre à l’édification de la Nation.


Lors des élections, on entend souvent de grands chefs coutumiers, ou de simples chefaillons, affirmer que le Moogh-Naaba a dit de voter le parti au pouvoir. Est-ce vrai ou faux ?

• J’ai toujours pensé qu’il est insensé pour nous d’aller sur notre chemin comme sur des béquilles alors que nos propres membres valides sont inutilisés. Au niveau de la chefferie coutumière, nous avons des compétences et j’ai toujours dit qu’il ne faut jamais abattre l’arbre auquel nous nous adossons. Il est important pour ceux qui utilisent de tels arguments de savoir que Sa Majesté le Mogh-Naaba est le garant de nos traditions. Si son nom est mis à mal, s’il est jeté en pâture, c’est nous tous qui allons récolter les pots cassés. Je souhaite que chacun se mette à une certaine hauteur pour prouver nos propres capacités. C’est donc pour dire que c’est faux, Sa Majesté n’a jamais donné de consigne de vote à qui que ce soit, elle n’est ni vert ni rouge ; Sa Majesté n’a pas d’ambition politique. Elle veut juste à chaque fois apporter sa contribution au développement du Burkina Faso et dans l’unité de tous ses sujets. Nous les chefs coutumiers devons faire très attention et protéger Sa Majesté, il y va même de la survie de la chefferie traditionnelle.


Maintenant que vous êtes de l’opposition, quelles sont vos relations avec les autres ministres du Moogh-Naaba, en particulier le Larlé Naaba qui milite, lui, au CDP ?

• C’est une question que j’appréhende sur deux niveaux. D’abord sur le plan humain et ensuite sur le plan politique. Au niveau politique, il faut savoir que ce n’est pas le Larlé Naaba seulement qui milite au CDP, il y a d’autres chefs coutumiers qui y sont tout comme dans des partis de la mouvance. La chefferie coutumière devrait être une force de propositions ; elle ne devrait y avoir au-delà de ça que des ambitions de sortir nos populations de la précarité. Aussi, je n’ai pas l’intention de coopter systématiquement les chefs coutumiers dans mon parti. Je veux juste que ces leaders coutumiers appréhendent juste leurs rôles, en essayant de leur donner une éducation civique et politique. Je n’ai pas l’intention de chasser sur des terrains qui ne sont pas adaptés à ma conception. Maintenant, sur le plan humain, sachez que le Larlé Naaba est mon oncle, même si c’est de façon un peu éloignée. De plus, il est arrivé que des gens nous confondent parce qu’à ce qu’on dit, il y a des traits de ressemblances entre nous. Par dessus tout cela, c’est mon aîné ; je le respecte et il me le rend bien. Nous avons des relations chaleureuses. Bien sûr, nous pouvons avoir des débats contradictoires, nous avons souvent parlé de sujets importants ; certes nous n’avons pas la même façon de voir les choses mais cela nous enrichit mutuellement. Je n’ai absolument aucun problème ni avec lui ni avec un autre chef coutumier.


On dit pourtant que pendant la dernière campagne électorale, des propos peu amènes ont été tenus contre vous par certains de vos collègues coutumiers de la majorité ?

• C’est vrai, j’en ai entendu parler moi aussi, et je ne sais pas si c’est la rumeur ou pas. En tout cas, aucun propos de la sorte n’a été tenu directement contre moi ou si vous voulez, personne ne m’a tenu des propos peu amènes en face. J’ai ouï dire aussi que j’ai fait l’objet de certaines attaques personnelles, mais je n’ai pas eu l’occasion de vérifier.
Toujours est-il que la politique ne se pratique pas de la sorte. Il y a des gens qui ont basé leur politique sur le dénigrement, mais pour moi la politique doit être une force de propositions constructives, des débats d’idées et non s’ériger en système de dénigrement. Si cela est vrai que des gens s’en sont pris à moi, c’est vraiment dommage, car la chefferie coutumière est une et une seule.
Je pense qu’au-delà de nos idées de nos propositions, au-delà de notre appartenance politique, nous avons le devoir d’être exempts de beaucoup de reproches, donc nous devons faire la politique autrement.


L’opinion publique reste critique vis-à-vis de l’engagement des chefs coutumiers en politique parce qu’en tant qu’autorités morales, ils devaient être au-dessus de la mêlée. Votre position ?

• Comme je le disais, le débat sur ce sujet n’est pas encore clos et je pense que je ne suis pas assez outillé pour apporter une réponse définitive à cette question. Mais en tant que citoyen et chef coutumier, nous avons les mêmes droits et devoirs que les autres Burkinabè. Nous avons donc le devoir de donner notre avis sur la marche de la cité et si nécessaire de travailler à consolider cette démocratie. Certains choisissent la voie de la société civile et d’autres, comme moi, choisissent la politique. Je ne me réfugie pas derrière la loi mais pour le moment, il n’est pas interdit aux chefs coutumiers de faire de la politique. Cependant, le chef qui s’engage doit faire très attention dans son engagement politique et savoir faire la différence entre les ambitions de son parti et les siennes propres ainsi que le devoir sacré que lui confère le titre de chef coutumier. Même si ce n’est pas toujours évident.

On a vu lors des dernières élections que des chefs coutumiers ont donné des consignes très fermes de vote, souvent accompagnées de menaces et de représailles. Il faut travailler à jouer correctement son rôle. Mais il est sûr que nous devons continuer la réflexion pour voir quelle place donner à nos chefs coutumiers au-delà du statut que nous allons certainement avoir dans les mois qui suivent et au-delà aussi de la constitutionnalisation de la chefferie coutumière. Et je profite de l’occasion pour dire que cette constitutionnalisation ne nous donne pas plus de droits qu’aux autres Burkinabè, mais nous oblige à travailler pour donner le meilleur de nous-mêmes. Je reste d’ailleurs ouvert à tout débat sur le sujet. J’ai déjà participé à d’autres organisés par le Pr Loada et le CGD, et à chaque fois, nous n’hésitons pas à donner notre avis et nous n’hésitons pas non plus à dire à nos concitoyens de mener des débats objectifs et constructifs dans ce sens.


La vérité est que pour beaucoup de chefs coutumiers, faire de la politique est devenu un gagne-pain comme un autre…

• C’est une affirmation intéressante. C’est vrai, la politique permet de s’accomplir, de se réaliser ; mais elle doit être un point de convergence d’idées. Nous devons nous retrouver dans une pensée commune, dans un idéal commun. C’est en cela qu’il y a d’ailleurs l’intérêt du groupe, du parti politique auquel j’appartiens, dans lequel on partage. Donc je ne vois pas en quoi l’idéal de mon groupe va être l’intérêt particulier que le Poé Naaba a ou devrait avoir pour faire de la politique. Je dirai même au-delà de cela que je suis travailleur, un cadre et j’aime mon travail qui me permet de me réaliser. Donc je ne pars pas en politique pour chercher mon pain. C’est vrai que des chefs coutumiers, qui croulent sous le poids de la misère, cherchent à en sortir ; car vous n’êtes pas sans savoir que la faim est vraiment avilissante. Quand on a faim, tout devient difficile pour soi. Il faut donc faire le distinguo. En général, ce ne sont même pas des gens qui sont dans la politique, mais ce sont des personnes qui côtoient des leaders politiques et qui ramassent un peu ce qui tombe. Je ne dirai pas que ce sont des gens qui y gagnent leur pain, mais tout simplement des gens qui essaient de se tirer de la misère, et ce n’est pas mon cas.


En faisant le choix de l’opposition, que reprochez-vous au régime de Blaise Compaoré ?

• Je ne vois pas les choses en termes de griefs contre le pouvoir en place, non. Nous sommes un parti d’idées, un parti d’opposition et nous pensons qu’il y a des domaines prioritaires auxquels nous devons apporter des réponses adéquates. Il y a la santé, l’éducation, les finances, l’emploi, la sécurité, etc. Mais vous savez que depuis l’adoption de la Constitution de 1991, nous avons plus d’un quart de siècle de démocratie. Nous reconnaissons qu’un travail a été fait, fût-il insuffisant, mais nous voulons apporter un plus à des questions qui n’ont pas été suffisamment traitées, apporter des réponses à des questions qui n’ont jamais été abordées. Mieux, nous voulons instaurer une véritable démocratie, car nous observons, avec la plupart de nos concitoyens, qu’il y a beaucoup d’insuffisances dans la gestion démocratique, dans la gestion économique, dans la gestion sociale de ce régime-là. Voilà pourquoi nous nous sommes engagés en politique. Il y a aussi la liberté d’expression qui est bafouée, car nous vivons une forme de pensée unique, et même que des membres de ce régime n’épousent pas ce qui se fait. C’est tout ça qui doit être revu. Bien que nous constations une gestion clanique, familiale de la chose publique, ce n’est pas contre des personnes ou des groupes que nous nous opposons mais un système, une manière de faire.


Quelle analyse faites-vous du scrutin du 2 décembre 2012 ?

• Je vois ces joutes à deux niveaux. Il y a d’abord que c’est une avancée significative dans notre démocratie. Vous avez constaté sans doute la faible participation des Burkinabè à la présidentielle de 2010. Mais avec les élections couplées, vous avez vu un engouement certain des populations pour la chose politique, avec l’arrivée de nouveaux acteurs et leur soif de changement. Ce qui fait qu’à certains endroits, le taux de participation avoisinait les 95%. Pour moi, c’est juste que les populations renouent avec la chose politique, il y a un début de confiance qui commence à refaire surface.
La deuxième chose que je constate, c’est l’arrivée par effraction de certains acteurs à l’Assemblée nationale. Il y a eu de mauvaises candidatures avec des dossiers viciés, des tentatives de confiscations de certains résultats comme à l’arrondissement 5 dont nous avons tous été témoins. Même au niveau des conseils municipaux, il y a des gens qui devaient être sanctionnés mais qui ont reçu une certaine promotion. Je veux parler de ce qui s’est passé à l’arrondissement 4 (2) et de la mise en place des bureaux de la commune. Je considère cela comme une promotion de la mal gouvernance et donc un recul de la démocratie. Voilà les deux aspects que je tire de ces élections qui ont été pour l’UPC et pour moi une belle expérience qui va nous permettre de capitaliser nos acquis et de participer à la réalisation d’un vrai débat politique.


A la faveur de ces élections, votre parti, l’UPC, a fait une véritable percée. A quoi cela est-il dû ?


• Je profite de l’occasion pour dire merci à nos militants, à nos sympathisants et à nos électeurs pour avoir placé leur confiance en nous. Cela est sans nul doute dû à la confiance que les populations ont placée en nos premiers dirigeants, en nos candidats. Et cela est le résultat d’un travail sérieux de notre part et d’un leadership national affirmé de certains de nos responsables.
La plupart de nos élus aujourd’hui sont des gens qui sont très proches de la base. Il y a aussi la force de nos propositions qui sont référencées dans notre manifeste où nous avons décrit notre politique générale, et je pense que cela aussi a contribué à avoir cette adhésion-là. D’ailleurs, la force et l’expérience politique de notre président ont beaucoup apporté à notre fulgurante émergence. En deux ans et demi, ce n’est pas une autocongratulation, mais nous avons su bousculer une hiérarchie qui est là depuis des décennies.


L’UPC prône l’alternance. Est-ce toujours possible dans ce pays, quand on voit que malgré les déchirures au sein du CDP, cette formation reste un mégaparti largement majoritaire dans les urnes ?

• Le changement est encore plus possible aujourd’hui qu’hier. Je disais que j’ai eu une belle expérience avec les élections du 2 décembre, parce que n’eût été le musellement de certains acteurs, au sein même du CDP, n’eussent été les fraudes massives que nous avons constatées çà et là, les achats de conscience, je ne pense pas que le CDP aurait fait le résultat qui est le sien aujourd’hui. Je suis encore plus convaincu aujourd’hui qu’hier, car nous n’avons que deux ans et demi d’existence et un travail de maillage, de fidélisation très pointu a été fait par nos responsables. Et c’est un travail qui est toujours en cours au sein de notre parti. Je pense que pour nous, il s’agira de faire en sorte que nos militants puissent s’approprier ces réponses que nous voulons apporter à leurs problèmes.

Et nous allons continuer ce travail de maillage, non seulement en apportant des arguments, mais aussi en nous impliquant directement dans le travail sur le terrain même. Le CDP n’est pas un parti démocratique, surtout avec ce que nous avons vu lors de ces dernières élections. Voilà des gens qui ont occupé de très hauts postes au sein du parti et des militants chevronnés qui se sont battus pour ce parti qui ne peuvent pas avoir une autonomie de penser. Cela me dit que nous avons beaucoup de chance d’arriver au changement et peut-être plus vite qu’on ne le pense. Certains pensaient qu’en 2015 nous n’aurons aucune chance d’accéder au pouvoir, mais avec ce qui s’est passé, nous pensons avoir plus de chances que jamais. Je ne pense pas que les déchirures au sein du CDP soient de nature à amener son implosion, mais nous y avons des gens qui nous disent leur sympathie et qui nous soutiennent énormément. Nous comptons sur la jeunesse qui, vraiment, a cette soif du changement.



Avec la démission de Zéphirin Diabré de l’Assemblée nationale, vous êtes devenu député. Comment voyez-vous votre rôle dans l’hémicycle ?

• Encore une fois, je voudrais dire merci à toutes les personnes qui m’ont permis d’arriver à l’Assemblée, d’abord à nos militants et sympathisants qui nous ont donné leur confiance. Etre député pour moi est une tâche exaltante mais difficile. Représenter le peuple, c’est toujours s’élever en hauteur pour atteindre un certain niveau de pensée. Je pense que ce qui est plus important à promouvoir, c’est la nourriture de l’esprit. Cela m’amène toujours à me remettre en question et en me disant que je dois aller encore plus haut pour répondre aux aspirations de la population et mériter sa confiance. Il nous faudra être toujours près de la base pour pouvoir recueillir ses propositions afin de formuler des propositions de lois qui répondent vraiment à leurs attentes. Je vais commencer d’abord par écouter pour apprendre, car vous savez que c’est la première fois que j’arrive à l’Assemblée ; je suis un bleu, beaucoup sont arrivés avant moi, mais je ne vais pas hésiter à parler avec mes camarades, à faire des propositions d’amélioration.


Il y a des rumeurs sur une possible modification de l’article 37 par la voie d’un référendum. Quelle est votre position par rapport à la question ?

• Quand je fais une analyse de la présidentielle de 2010 et des élections couplées de décembre dernier, je ne pense pas que le pouvoir en place passe par la voie référendaire. Ils se sont rendus compte qu’ils n’ont pas la confiance de la population, bien qu’ils aient été élus à plus de 2/3 des électeurs. Je pense plutôt que, comme je le disais tantôt, des gens sont arrivés à l’Assemblée par effraction et c’est par eux qu’on va vouloir passer pour sauter le verrou de l’article 37 à l’Assemblée nationale. Si cela arrivait là-bas, bien sûr ça passerait comme une lettre à la poste, puisqu’ils ont la majorité. C’est peut-être des spéculations qui n’engagent que moi, mais je pense que le chef de l’Etat tire sa force des populations, et nous avons tous accepté le jeu démocratique qui veut qu’un président ne fasse pas plus de deux mandats successifs quel que soit son charisme.

Je profite de l’occasion pour dire à mes collègues chefs coutumiers que le pouvoir moderne et celui traditionnel sont différents. Si le président Blaise Compaoré veut retourner à la monarchie, eh bien, qu’il nous retourne notre naam, notre pouvoir. C’est à nous chefs coutumiers de travailler à protéger cette constitution-là qui est l’égale de notre tinkougri (NDLR : le fétiche).
Sur l’autel, quand on dit que c’est un coq blanc que l’on égorge, c’est un coq blanc et rien d’autre. Le chef coutumier n’a pas, six mois après, à dire qu’à la place du coq blanc il va égorger un coq rouge. Je lance un appel aux chefs coutumiers à défendre la Constitution, car cela est une question de dignité et de grandeur d’esprit. Je pense que Blaise Compaoré, même si par certaines actions, on peut penser le contraire, est un patriote. Au-delà de l’amour qu’il peut avoir pour son pays, c’est un militaire, un officier, donc il a le sens de l’honneur, de la dignité, de la grandeur. J’en appelle donc à ses valeurs-là afin qu’on puisse éviter à notre peuple ce que l’on voit ailleurs.


Que pensez-vous de la guerre au Mali et de la position de notre pays sur cette question?

• Je voudrais d’abord dire à nos frères et sœurs du Mali notre sympathie et notre compassion pour ce qui leur arrive, et leur dire tout notre soutien. Il n’y a pas une bonne guerre et nous avons le devoir de combattre l’intégrisme où qu’il soit. Ce qui est dommage, c’est qu’il n’y a pas une véritable politique d’intégration des peuples, des nations. Et nos présidents devraient travailler beaucoup plus à arriver à l’intégration des peuples, des politiques sécuritaires, car ce qui s’est produit au Mali n’a pas connu une réaction prompte. Il faudra que nous puissions laisser nos égoïsmes pour voir une Afrique, une et une seule. Ce qui est arrivé au Mali ne serait pas arrivé s’il y avait une vraie intégration des peuples, des armées. Il faut que nous nous sentions Africains et non Burkinabè ou Maliens. La participation du Burkina est à deux niveaux. Les négociations d’une part et d’autre part, il y a que nous y avons envoyé un contingent, et moi j’approuve cela. Nous devons travailler à ce que lorsqu’un Malien ne dort pas, que son frère Burkinabè ne dorme pas non plus, et puisse être solidaire de sa cause. Voilà comment je sens la chose. Malheureusement, il y a les germes de cet intégrisme qui se manifestent chez nous également et nous devons nous réveiller. Il y a de cela quelques semaines, de jeunes musulmans s’étaient plaints des visites de courtoisie que les leaders musulmans rendaient à la communauté chrétienne. C’est dommage. Il faut que nous travaillions à éradiquer l’expression violente de nos pensées.



Entretien réalisé par Bernard Zangré & M. Arnaud Ouédraogo

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