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Santé reproductive de la femme: à l’épreuve du veto masculin
Publié le vendredi 26 juin 2015  |  Sidwaya




Pendant longtemps, les campagnes de santé de la reproduction se sont concentrées presque exclusivement sur les femmes. Alors que, dans de nombreuses sociétés africaines, les hommes demeurent les juges de l’opportunité pour elles de fréquenter les établissements sanitaires et de contrôler leur maternité. Constat à Poullalé, un village du Centre-Nord burkinabè.

Au nombre des causes de la non-utilisation, de manière efficace, des services et soins de santé par les femmes, il y a, dans certaines localités, le veto des hommes. En effet, certains hommes empêchent, subtilement ou de façon explicite, leurs épouses de fréquenter les centres de santé. C’est ce que vit dame S. Ouédraogo. Elle est femme au foyer à Poullalé, l’un des villages de la commune rurale de Pissila, dans la région du Centre-Nord, à plus de 140km de Ouagadougou. Son récit est digne d’une scène théâtrale : « A chaque fois, c’est au moment où je m’apprête à aller au CSPS (Centre de santé et de Promotion sociale) qu’il (le mari) me trouve toujours des travaux domestiques à faire. Je ne bronche pas, m’exécute, avant de sortir pour le centre de santé. Face à ma témérité, mon époux a fini par me demander un jour : mais, si tu ne pars pas au CSPS, ça fait quoi-même ? ». Ces scènes conjugales que Mme Ouédraogo décrit sont vécues par de nombreuses autres femmes dans cette partie du Burkina Faso. L’Enquête démographique et de santé (EDS 2010) a révélé cette réalité de la domination masculine, même sur des questions concernant la santé de la femme. Selon ces statistiques, seulement 18% des femmes participent aux décisions relatives à leurs soins de santé, dans le Centre-Nord. La région n’affiche pas le pire des tableaux (ndlr : au Sahel, à peine 5% des femmes ont voix au chapitre au sujet de leur propre santé). Néanmoins, la prise en compte des hommes paraît essentielle dans le Centre-Nord afin de faciliter l’accès des femmes à la santé en général, et celle de la reproduction en particulier. « C’est une société où le pouvoir de décision de la femme est très faible. Lorsqu’il faut se rendre dans une formation sanitaire ou adopter une méthode de planification familiale, il faut toujours se référer à l’homme », explique Baguima Bakouan, sociologue et chargé de Programmes à l’ONG Mwangaza action, intervenant dans la zone. C’est dire que dans les faits, le choix du nombre et de l’espacement des naissances, du suivi régulier des consultations pré et post-natales, de l’accouchement dans une formation sanitaire, entre autres, incombe au « mâle ». En plus des facteurs socioculturels qui font de l’homme le chef de la famille, il y a qu’il demeure, dans bien de cas, l’argentier du foyer. Souvent, il est sollicité par la femme, pour honorer les frais d’accès à la santé de la reproduction.

Placer l’homme au cœur de la santé de la femme

Au vu de ces évidences implacables, la nouvelle problématique est de savoir comment convaincre les époux à permettre à leurs épouses, sinon à les encourager, à fréquenter davantage les centres de santé. Un début de réponse est venu du Niger, avec la stratégie « Ecole des maris ». Sous l’impulsion de l’UNFPA, cette stratégie a fait ses preuves chez les voisins nigériens, selon des témoignages. Elle est reproduite au Burkina Faso, précisément dans le district sanitaire de Kaya, depuis 2013. La phase-pilote en cours, exécutée par l’ONG Mwangaza action, a permis d’installer dix écoles dans dix villages, situés dans l’aire sanitaire de trois CSPS, dont celui de Poullalé. Nous avons rencontré les membres de l’école de Poullalé-Centre, l’une des quatre écoles du CSPS. Ils sont 12 « maris modèles », choisis par la communauté. « Nous avons été sélectionnés parce que nous sommes convaincus des bienfaits de l’utilisation des services de santé pour les femmes et les enfants, et déterminés à partager nos convictions avec d’autres hommes plus réticents », justifie le catéchiste du village, Philippe Sawadogo, la trentaine, membre du groupe. La mission de cette « école des maris », comme toutes les autres, est d’amener la communauté à adopter des comportements favorables à la promotion de la santé maternelle. Comment les maris modèles s’y prennent-ils ? « Nous faisons du porte-à-porte ou organisons des regroupements dans les quartiers du village pour sensibiliser sur la Santé de la reproduction », répond Antoine R. Ouédraogo, un sexagénaire, lui aussi membre de l’école de Poullalé. Il poursuit en assurant que leurs interlocuteurs se montrent toujours courtois à leur égard. Même si les causeries ne sont pas toujours suivies de changements escomptés, reconnaît le vieux Antoine. Mais, dans l’ensemble, il soutient que leurs interventions ont produit des résultats. Comme preuve, il nous présente deux « amis modèles », c’est-à-dire des époux que l’école a su convaincre. L’un s’appelle Paul Ouédraogo. Ce dernier avance qu’avant sa rencontre avec un « mari modèle », il ignorait tout des avantages de la planification familiale. Persuadé il y a trois mois, il dit savoir désormais que des grossesses espacées contribuent à préserver la santé de la femme et de l’enfant ; toute chose qui permet aux parents de travailler et d’économiser de l’argent. Paul Ouédraogo d’ajouter avec un brin de fierté : « Ma femme est sous contraception. Quand nous serons prêts pour un quatrième enfant, elle va arrêter ». D’autres « amis modèles », il y a en dans le village, affirme Antoine R. Ouédraogo. Mais courent-ils les rues de Poullalé ?

« Me reposer, avant de faire un dernier »

Pour apprécier l’impact de la stratégie « école des maris », nous nous rendons au CSPS du village. Ce centre de santé de base, composé d’un dispensaire et d’une maternité, dans deux bâtiments distincts, est tenu par trois agents, toutes des femmes. Nous y sommes un mercredi. Ce n’est pas un jour de consultations prénatales (ndlr : qui se déroulent les mardis et les jeudis), informe la sage-femme du CSPS, Azéto Tao. Néanmoins, une quinzaine de femmes, presque toutes avec un bébé au bras ou au dos, sont à la maternité. Certaines assises dehors sous des arbres, d’autres, à l’intérieur. C’est un jour de consultation pour les nourrissons. Les mères, qui bavardent entre elles, tombent, subitement, dans un mutisme. Elles ne veulent pas parler à un homme autre que leur mari, de leur santé sexuelle et reproductive. Avec les assurances de la sage-femme, deux d’entre elles acceptent de briser la barrière avec l’inconnu que nous sommes. Coïncidence ! Elles s’appellent, toutes les deux, Awa Sawadogo. Awa n°1, on va la nommer ainsi, est d’un teint ébène, d’une taille moyenne et d’une corpulence relativement forte. Elle a 30 ans et est mère de cinq enfants vivants (ndlr : un de ses enfants est décédé). Le tout dernier, au dos, a 1 an. Avec un sourire honteux, elle déclare avoir opté, pour la première fois, pour une méthode contraceptive. C’est l’injectable qu’elle a choisi, afin de «me reposer, avant de faire un dernier (enfant)». Awa n°1 déclare que la décision de la contraception a été prise en accord avec son mari qui, précise-t-elle, est un « ami modèle ». Elle confie, en outre, qu’elle a toujours fait les consultations pré et post-natales et a régulièrement accouché dans un centre de santé. D’autres femmes n’ont pas sa chance d’avoir un conjoint compréhensif sur les questions de SR, surtout en ce qui concerne la planification familiale.
La sage-femme Azeto Tao partage l’histoire d’une veuve contrainte, par la belle-famille, à se remarier à un jeune cousin de son défunt mari. La dame en question, la quarantaine révolue, n’entend plus faire d’enfant. C’est dans la discrétion la plus totale que la veuve a dû recourir à une méthode contraceptive de cinq ans. Elles sont nombreuses les femmes qui se soumettent, en secret, à la contraception. « Certaines prétextent emmener leurs enfants en consultation pour demander le service de la PF. Si bien que nous sommes obligées d’offrir la contraception au dispensaire et non à la maternité comme d’habitude. Ensuite, nous gardons les carnets dans nos locaux, pour éviter que les maris ne les voient… », confie la sage-femme. Pour elle, il n’y a pas de doute que des hommes continuent de s’opposer à l’accès des femmes aux soins de SR, surtout la planification familiale. Les « maris modèles », eux, pensent plutôt que celles qui se cachent, ont plus peur du regard de leurs camarades femmes, que du courroux des maris.
Par ailleurs, Azéto Tao reconnaît que les défis de l’accès des femmes à la SR ne se conjuguent pas seulement au masculin. Il y a, en plus, l’obstacle financier. Les Consultations prénatales (CPN), les accouchements, les méthodes contraceptives, ont un coût. Pour les CPN, par exemple, la femme a besoin de 550 F CFA, selon les indications de la sage-femme : gants (200 F CFA), fer (3 plaquettes à 150 FCFA pour un mois), carnet (200 F CFA).

Jadelle, le mal-aimé
Pour le Burkinabè moyen, cette somme peut paraître dérisoire. Mais en milieu rural, chez des paysans qui n’ont pas eu une bonne récolte à la campagne agricole 2014-2015, cela peut constituer une fortune, contextualise Mme Tao. C’est par cette autre réalité qu’elle s’évertue à expliquer la baisse des CPN dans le CSPS. « Avant (en mars 2013, quand elle déposait nouvellement ses valises à Poullalé), on pouvait recevoir 200 CPN par mois, alors qu’actuellement, nous sommes à moins de 100 CPN par mois », atteste-t-elle. Au fait, les bons chiffres des CPN datent d’une période où ces soins étaient gratuits.
En sus des limites financières, la sage-femme Azéto Tao pointe un doigt accusateur sur les préjugés qui ont «gâté le nom » de la contraception. L’implant contraceptif Jadelle, semble être le mal-aimé. Les a priori les plus surréalistes sont véhiculés concernant ce produit. Awa Sawadogo n°1 égrène quelques uns dont elle entend parler ça et là : l’implant fait grossir, entraîne des douleurs lombaires et pelviennes, disparaît dans le corps avec le temps, rend stérile, etc.
De façon générale, les défis liés au respect des droits à la SR sont multiples et multiformes. Aussi, les méthodes de planification familiales ont été longtemps perçues, si elles ne sont encore, comme des stratégies pour limiter les naissances. Ce qui fait que le changement de comportement recherché, ne s’obtiendra pas en deux ans, prévient le sociologue Baguima Bakouan.

Objectif, 6 enfants
Awa Sawadogo n°2, à bien des égards, est l’opposée de son homonyme citée dans le texte. Elle est élancée et ne veut pas entendre parler de contraception. En tout cas, pas pour le moment. Elle fait partie des femmes qui croient, dur comme fer, aux rumeurs selon lesquelles les produits contraceptifs peuvent compromettre la fertilité. Or, la maternité est un plaisir que Awa n°2 affirme vouloir savourer encore longtemps. Elle explique qu’après son mariage à l’âge de 12 ans, elle a dû attendre son 18e anniversaire pour goûter aux délices d’être maman. Aujourd’hui, à 29 ans, cette mère de 3 enfants (2 filles et 1 garçon) veut en avoir 3 autres. Sans être Dieu, Tout-puissant, Awa n°2 espère que ces prochains enfants seront deux garçons et une fille. En fait, son rêve est d’avoir 3 garçons et autant de filles. Pourquoi ce casting ? Dame Sawadogo pense déjà à ses vieux jours. Elle simule que les filles vont se marier et appartiendront à d’autres familles. Dans son scénario, un ou deux garçons iront « se chercher » en Côte d’Ivoire, donc loin de la famille. Elle espère pouvoir compter sur au moins un fils qui restera à côté de la famille pour la soutenir. Ce raisonnement de Awa n°2 a droit de cité dans bien d’autres couples au Burkina Faso. Ceci expliquerait-il l’indice de fécondité de 6 enfants par femme ?
K.A.K

La fierté d’être un mari modèle
Ferdinand Ouédraogo est un cultivateur de 61 ans, vivant dans son Poullalé natal. C’est un homme au visage aminci par l’âge, et certainement par le dur labeur du quotidien pour survivre. Il porte une chemise délavée estampillée « Joyeux noël » et un pantalon pagne. Il est le plus prolixe de l’ « école des maris » du village quand il faut s’exprimer dans la langue de Molière. Pourtant, il affirme n’être jamais allé à l’école. Le vieux Ouédraogo a été choisi par la communauté comme « mari modèle » non pas pour sa prouesse linguistique, mais parce qu’il a toujours fait de la SR de ses femmes, une priorité. Il est reconnu par ses pairs comme quelqu’un qui ne ménage pas son énergie et son temps pour sensibiliser les hommes de sa communauté sur les bienfaits de la SR. Pendant nos échanges, sa gestuelle témoigne de ses convictions dans ce qu’il défend. Avec huit enfants issus de deux mariages (3 avec sa première épouse décédée et 5 avec celle qu’il a remariée), l’on peut dire que Ferdinand Ouédraogo n’a pas une « très grande » progéniture. Il ajoute que ses enfants sont espacés de 3 à 4 ans. M. Ouédraogo dit avoir fait ce choix pour mieux s’occuper de ses enfants et permettre à sa femme (l’actuelle) de tenir, plus sereinement, son restaurant au marché du village. « Tous mes enfants, à l’exception de la dernière qui n’a que 3 ans, ont eu la chance d’aller à l’école », assure-t-il, le doigt dirigé vers le ciel, comme pour jurer. Aussi, cet homme, réputé être de bonne moralité, soutient, sans ambages, que la cherté de la vie impose la planification des naissances.


Koumia Alassane Karama
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