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Le Pays N° 5314 du 12/3/2013

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Arrestation d’un journaliste au mali : le pouvoir se trompe de cible
Publié le mercredi 13 mars 2013   |  Le Pays




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La presse privée est en grève depuis hier mardi au Mali. Elle proteste contre l’arrestation cavalière du journaliste Boukary Dao, Directeur du journal « Le Républicain ». Il a osé publier une lettre ouverte critiquant l’octroi de sommes faramineuses au capitaine Amadou Aya Sanogo, chef de l’ex-junte, et à certains de ses proches, ayant désormais en charge la réforme de l’armée. L’on est sidéré devant les sorties de certains officiels, dans cette affaire. A la limite, ils semblent se féliciter de la répression qui s’abat sur la presse malienne. Le président Dioncounda Traoré, lui-même, déçoit par sa prise de position. Elle tend à faire valoir que notre confrère a outrepassé ses droits en matière de liberté de presse.

Or, l’alibi reposant sur la démoralisation des troupes ne tient pas. C’est plutôt le fait d’octroyer aux missionnaires de la réforme, des avantages, et des plus inattendus, qui dérange. En outre, les pouvoirs publics n’ont pas tant respecté les normes : étant donné le contexte si délicat, au niveau de l’Etat, on aurait dû donner l’exemple au citoyen lambda, par la manière, en respectant les normes. Mais, on a préféré soustraire le confrère et l’embrigader comme un individu auquel on voulait bien transmettre un message : celui du plus fort auquel le plus faible doit se soumettre. Est-ce ainsi que l’on ambitionne de construire un Etat de droit réellement démocratique au Mali, défendre les libertés, et faire du citoyen de demain un homme avisé et responsable ?

Voilà plus d’un an que dirigeants civils et militaires du Mali nous ont habitués à des dérives et à des bavures scandaleuses. Dans ce pays comme nulle part ailleurs, l’on s’est amusé à « corriger » le chef de l’Etat himself : président par intérim, Dioncounda Traoré, a dû se faire soigner pendant longtemps en France après avoir été sérieusement malmené et blessé à la tête. Quelles leçons a-t-il donc tiré de cette expérience ? Après avoir longtemps indexé la CEDEAO qui aurait bloqué des cargaisons d’armes, les ex-mutins de Bamako, une fois ravitaillés et apparemment ragaillardis, sont curieusement aux abonnés absents à l’appel du front. En revanche, toute honte bue, ils se sont lancés dans des actions belliqueuses, allant jusqu’à agresser des compagnons d’armes, sans oublier les violences multiformes dont sont victimes les femmes et les jeunes. Pour les récompenser de ces hauts faits, à prix d’or, on les charge de restructurer l’armée comme ils l’ont exigé. Si le ridicule pouvait tuer !

La réalité apparaît aujourd’hui dans toute sa cruauté au Mali : le régime Dioncounda Traoré est aux ordres de quelques intouchables qui ne souffrent point la contradiction. Le capitaine Sanogo et son groupe n’attendent de la presse que des écrits dithyrambiques. Une vraie injure à la mémoire collective ! Et une méconnaissance réelle de la démocratie républicaine, qui repose aussi bien sur la séparation des pouvoirs, que sur le dynamisme d’une presse plurielle. Mais en s’attaquant aux faibles, et en ciblant la presse qui refuse de se laisser caporaliser, les tyrans embusqués de Bamako ne feront que susciter du dégoût dans les rangs des démocrates d’Afrique et d’ailleurs. Au-delà de ce qui est officiellement reproché à notre confrère, c’est la liberté de choix, de ton et d’écrire qui est visée. En s’en prenant au journal et à son premier responsable, c’est bien à l’expression libre d’idées contraires que l’on s’attaque. Mais, en aucun cas, ce penchant liberticide ne saurait militer en faveur de ceux qui en sont les commanditaires.

Le jeune capitaine Sanogo, qui dissimule à peine ses ambitions de piloter le Mali dans le futur, devrait donc réfléchir par deux fois avant de laisser ses partisans commettre des exactions. Dans tous les cas, Dioncounda Traoré et Haya Sanogo étalent, encore une fois de plus, au grand jour, leurs faiblesses dans la gestion des affaires de l’Etat et de l’armée : ou ils n’ont pas la maîtrise de leurs éléments, ou ils sont eux-mêmes des inconditionnels du bâton et de la kalachnikov, autrement dit des adeptes de l’anti-démocratie. Si, par un hasard quelconque, ils avaient été induits en erreur, la preuve serait faite qu’ils n’ont point l’étoffe de dirigeants démocrates. Car, il leur faut aussi savoir distinguer le bon grain du mauvais. D’autant qu’en la matière, en dépit des insuffisances qu’on pourrait relever dans la presse malienne, il y a que les pouvoirs publics ont encore des efforts à déployer afin de la promouvoir, tant au plan de la formation que des ressources.

A l’heure où en Afrique, la démocratie rythme avec les projets de dépénalisation des délits de presse, ce qui nous parvient du Mali est déconcertant. Ce pays a trop d’expériences en matière de lutte démocratique et de journalisme responsable dans la sous-région, pour qu’on accepte aussi facilement les arguments des antidémocrates qui pavoisent aujourd’hui à Bamako. La presse y lutte pour éviter d’être complètement verrouillée. Mais les faits récents annoncent des jours sombres pour le processus démocratique et la préservation d’une opinion plurielle au Mali en reconstruction. Derrière Sanogo, se profile un régime d’exception. La répression des journalistes qui s’intensifie, constitue un véritable avant-goût du type de gouvernance qu’il compte offrir aux Maliens.

Pourtant, il ne faut pas être naïf au point de croire que barrer la route à l’expression d’opinions contraires, donc, museler la presse, aidera le Mali à surmonter ses contradictions et à avancer. Cette lecture de la situation nationale est biaisée. Elle permet à des individus embusqués de profiter de la moindre occasion pour vouloir mettre la presse au pas. C’est donc avec juste raison que la presse malienne, légitimement jalouse de son indépendance, se mobilise pour défendre ses droits acquis de haute lutte.

En octroyant des avantages scandaleux aux membres du comité chargé de réformer l’armée, le gouvernement lui-même a fait preuve de faiblesse. A moins que certains acteurs politiques, ne cherchent, par ce biais, à isoler davantage le capitaine Sanogo et ses compagnons. Qu’il est triste de constater qu’en dépit des difficultés que traverse le pays, les autorités maliennes, se permettent de telles saignées financières ! S’ils aiment tant leur pays et non pas l’argent, les bénéficiaires de ces subsides de l’Etat devraient volontairement renoncer à ces sommes qui fâchent. Ils devraient reverser leurs émoluments aux soldats mobilisés au front et à leurs familles, sans oublier tous les déplacés et autres victimes de cette malheureuse crise du Nord-Mali.

Voudrait-on nous faire croire que la presse doit fermer les yeux sur les travers de l’Etat et de l’armée, et qu’elle ne doit s’ouvrir à aucune opinion contraire au capitaine et à ses proches ? Ne serait-ce pas justement faire preuve de lâcheté, étant donné le contexte du Mali actuel ? C’est pourquoi, il faut féliciter les journalistes maliens d’être entrés en grève pour compter d’hier, jusqu’à la libération du confrère Dao. Il est même heureux qu’ils songent à déposer plainte contre l’Etat du fait des abus constatés.

Au Mali, il n’est pas vraiment sûr que tout le monde ait une claire compréhension de la démocratie républicaine, et des libertés qui en découlent. A preuve, on y devient coutumier des séquestrations de journalistes. Outre les arrestations arbitraires, de nombreux confrères sont tabassés, sans que leurs torts soient réparés. En multipliant les dérives et les bavures, les dirigeants civils et militaires confirment bien qu’ils se trompent de cible. Le combat qu’ils croient mener, en s’attaquant régulièrement aux professionnels des médias, et cette fois à un journal qui est une icône, donne autant de raisons aux journalistes maliens de rester mobilisés. Il est temps, en effet, que s’arrête cette barbarie au sommet de l’Etat et de l’armée.

« Le Pays »

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