Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Femmes    Pratiques    Le Burkina Faso    Publicité
aOuaga.com NEWS
Comment

Accueil
News
Économie
Article
Économie

Roger Nord, directeur adjoint du département Afrique du FMI
Publié le lundi 18 mai 2015  |  Sidwaya
Roger
© aOuaga.com par Atapointe
Roger Nord, directeur adjoint du département Afrique du Fonds monétaire international (FMI)




L’économiste néelandais, Roger Nord est le directeur adjoint du département Afrique du Fonds monétaire international (FMI). En séjour au Burkina Faso pour le lancement du rapport Perspectives économiques, il a répondu aux questions de Sidwaya: coup de mou dans la croissance africaine, baisse des prix du pétrole... et bien sûr, situation économique du Faso. Sans détour, M. Nord livre sa lecture.


Sidwaya (S): La baisse récente des cours des matières premières a impacté le vent de croissance que connaît l’Afrique subsaharienne depuis dix ans, selon les Perspectives économiques régionales que le FMI vient de publier. Quels défis ce léger ralentissement de la croissance, revue à 4,5 % en 2015 posent-ils au continent?

Roger Nord (R.N.) : L’Afrique subsaharienne a connu en 2014, une croissance économique de 5 %, grâce surtout à la vigueur de l’investissement (secteur minier, infrastructures) mais aussi grâce au niveau soutenu de la consommation privée, en particulier dans les pays à faible revenu. Cependant, la croissance économique de 2014 s’était déjà inscrite légèrement en retrait par rapport à 2013 du fait que les pays exportateurs de pétrole avaient commencé à s’adapter à la baisse des cours internationaux, que la croissance a nettement ralenti en Afrique du Sud, et que les pays à l’épicentre de l’épidémie de la fièvre Ebola en ont durement pâti.
L’activité devrait continuer de ralentir en 2015, encore qu’avec un taux de croissance de 4,5 %, l’Afrique subsaharienne continuera d’enregistrer une croissance solide et restera la deuxième région la plus dynamique au monde derrière l’Asie émergente. Toutefois, il importe de souligner que la baisse des cours des matières premières a un impact très différentié, en particulier suivant que les pays sont exportateurs ou importateurs nets de pétrole. Ainsi, si l’on fait abstraction de l’Afrique du Sud, la croissance dans l’ensemble des autres pays importateurs de pétrole, y compris bon nombre de pays à faible revenu, devrait rester soutenue, parfois au-delà des 6%. Ceci dit, depuis l’été 2014, la conjoncture économique mondiale à laquelle est confrontée la région a profondément changé. Les cours du pétrole ont chuté d’environ 50 % depuis juin 2014 ; même si dans la période à venir, ils devraient remonter quelque peu, ils devraient rester inférieurs à leur niveau de ces dernières années. Les cours d’un grand nombre des principaux produits de base exportés par l’Afrique subsaharienne ont également diminué depuis juin. Ces évolutions affectent bon nombre de pays exportateurs de produits de base. Toutefois, gardons à l’esprit que les prix mondiaux de ces produits de base sont exprimés en dollar, et que le dollar s’est fortement apprécié ces six derniers mois, ce qui amortit en partie l’ampleur de ces chutes une fois le prix des produits convertis en monnaies nationales (c’est notamment le cas pour la zone CFA). Dans une large mesure, l’action menée par les autorités aux plans budgétaire et monétaire pour contrer ces chocs détermine grandement l’impact sur la croissance économique. Ainsi, les pays exportateurs de pétrole ont commencé à resserrer leur politique budgétaire et dans certains cas, durcir la politique monétaire, ce qui devrait permettre de contrebalancer en partie les effets du choc pétrolier sur les positions budgétaire et extérieure, mais aussi avoir un effet négatif sur la dynamique de croissance. Parallèlement, dans les pays touchés par l’épidémie de la fièvre Ebola, les efforts déployés pour combattre la maladie ont lourdement pesé sur les finances publiques.

S : La baisse des prix met à nu le paradoxe africain: d’un côté ceux qui peinent comme le Nigeria ou le Gabon drogués par le pétrole avec à côté le Liberia, la Guinée et la Sierra Leone meurtris par Ebola, et de l’autre, ceux qui en profitent comme la Côte d’Ivoire, le Mozambique ou encore le Sénégal. Comment expliquez-vous ce contraste?

R.N. : Les pays qui dérivent des revenus importants de l’extraction pétrolière sont actuellement affectés très durement. D’un point de vue conjoncturel, dans la mesure où ils sont très dépendants de ces revenus à la fois pour le financement de leur budget et du point de vue des exportations, et où ils ne disposent pas de beaucoup de marge de manœuvre, la baisse des prix du pétrole nécessite qu’ils fassent un effort substantiel en terme d’ajustement budgétaire afin de ne pas trop augmenter la dette ni son coût (les marchés sanctionnent par des taux plus élevés, les déficits mal maîtrisés). D’un point de vue structurel, le choc actuel souligne la nécessité de faire davantage d’efforts pour diversifier les sources de croissance au-delà des ressources naturelles.
Pour les pays qui importent du pétrole, en revanche, la baisse des cours du brut a un effet favorable, car elle allège la facture énergétique, et là où les baisses de prix sont répercutées aux consommateurs, peut aussi soutenir le pouvoir d’achat des ménages et les investissements des entreprises. Pour autant, pour ceux qui exportent d’autres matières premières, la baisse du cours de ces matières premières va souvent en partie contrebalancer les effets de la baisse du prix du pétrole, et donc en atténuer l’impact positif sur la croissance.
Pour ce qui est du Burkina Faso, qui est en passe de devenir un pays où les ressources naturelles (notamment issues des mines) deviennent prépondérantes, le programme soutenu par la Facilité élargie de crédit (FEC) du FMI a justement mis l’accent sur la capacité à réaliser les investissements publics dans les délais, sur la transparence et sur la bonne gouvernance des finances publiques, afin que ces ressources bénéficient au pays sur le long terme.

S : Le FMI appelle à faire des ajustements budgétaires et donc à faire des économies. Pourquoi?

R.N. : Pour l’année en cours, face à la chute des cours du pétrole et des matières premières, et à un redressement qui s’annonce relativement modeste, et des réserves relativement faibles, la priorité doit être accordée à l’ajustement budgétaire. La chute des cours entraîne une diminution des revenus de l’Etat, et donc un déficit et un besoin de financement accrus. L’ajustement budgétaire est une mesure souhaitable et importante, aussi compte tenu des conditions de financement difficiles auxquelles sont souvent confrontés certains de ces nombreux pays, des pressions auxquelles certains d’entre eux sont soumis par les marchés, et de l’augmentation considérable des projections de dette publique pour d’autres. Dans la mesure du possible, les réductions de dépenses devraient porter sur les dépenses récurrentes, mais des coupes importantes dans les investissements publics sont parfois inévitables. A cet égard, il sera indispensable d’améliorer l’efficacité des dépenses publiques, notamment en supprimant les subventions aux carburants, qui sont largement inefficientes. Et comme je le soulignais précédemment, à moyen terme, les pays exportateurs de pétrole et d’autres ressources naturelles auraient intérêt à encourager une diversification plus rapide de leur économie.

S: Le FMI a finalement revu sa prévision de croissance au Burkina à 4%. Six mois après le départ de Blaise Compaoré, comment se porte l’économie burkinabé ? Que préconisez-vous au gouvernement de Transition pour relancer l’économie ?

R.N. : Dans le cas particulier du Burkina Faso, le pays a subi ces derniers mois, plusieurs chocs simultanés : baisse des cours du coton, baisse des cours du pétrole, maintient des cours de l’or à un niveau relativement bas depuis leur chute en 2013, impact indirect de la crise Ebola qui a durement touché les pays voisins, et incertitude liée aux évènements d’ordre politique. Le renforcement du dollar a en partie amorti la chute des cours du coton, mais a aussi absorbé une partie des gains potentiels liés à la baisse du pétrole. Globalement, l’impact reste plutôt négatif, mais les autorités de transition ont adopté le budget en conséquence tout en sauvegardant les dépenses prioritaires. Cependant, la croissance du Burkina, bien qu’inférieure à sa tendance historique, reste dans la moyenne de la région, et supérieure à la croissance de la population. Au-delà des échéances politiques qui provoquent un certain attentisme et affectent donc l’activité, il faudra que le pays renoue rapidement avec des taux de croissance plus élevé, si l’on souhaite faire baisser durablement la pauvreté. La poursuite de certaines réformes essentielles doit rester l’objectif prioritaire. Il s’agit notamment d’accroitre la capacité du pays à réaliser ses investissements dans les délais. Il s’agit aussi de poursuivre les réformes en matière de transparence des finances publiques, et de gérer au mieux le virage vers une économie où les ressources naturelles (minières) prennent une place de plus en plus prépondérante. Les retombées en matière d’emplois du secteur minier formel sont assez faibles (quelques milliers d’emplois directs, quelques dizaines de milliers d’emplois indirects) et le principal canal de distribution de la rente minière vers la population reste la fiscalité et le budget de l’Etat.
Il est essentiel de tout faire pour éviter les gaspillages, les retards, les facteurs d’inefficience et limiter les risques de dépenses imprévues liées à la situation difficile de certains secteurs comme celui de l’énergie.

S : Le gouvernement de Transition envisage de réviser le code minier, jugé par certains bailleurs de fonds et la société civile comme trop généreux. Comment réagissez-vous à cette volonté de modifier le code minier dans un contexte de baisse des prix internationaux de l’or?

R.N. : Le remplacement du code minier de 2003 par un nouveau code plus proche des standards internationaux est un débat qui a lieu au Burkina depuis maintenant plus de trois ans. Sa révision fait l’objet d’un consensus assez large chez les bailleurs et la société civile pour ce qui est des grands principes : assurer un partage de la rente minière qui soit similaire à ce qui se pratique déjà dans d’autres pays comparables, autrement dit qui accorde à l’Etat une part plus importante que dans le régime fiscal existant, sans pour autant affecter les coûts de production ni décourager l’investissement privé.
Il est vrai que les prix de l’or ont baissé par rapport à leur plus haut niveau historique de 2011-2012 (autour de 1800 dollars l’once en juillet 2011 puis en août 2012), mais ils sont relativement stables depuis la mi-2013 (autour de 1200 dollars l’once). Si le cours actuel peut paraître faible par rapport à son plus haut niveau, il faut le considérer dans un contexte historique: quand un grand nombre des mines burkinabè ont été mises en exploitation durant la période 2007-2008, les cours de l’or se situaient encore sous la barre des 800$ l’once. Ce retour à des cours plus modérés n’est donc pas un élément nouveau dans le débat sur la fiscalité minière au Burkina Faso. La fiscalité minière est un exercice délicat, qui doit trouver un juste milieu entre, d’une part, verser au pays une partie de la rente minière, autrement dit de la richesse du sous-sol des Burkinabè, et, d’autre part, garder suffisamment d’attractivité pour les opérateurs privés. De plus, la fiscalité minière ne dépend pas uniquement du code minier, mais aussi du code des impôts, de la loi sur les sociétés, et de l’environnement fiscal en général. Au cours des deux dernières années, les prospections dans diverses régions du pays se sont révélées extrêmement prometteuses, avec des teneurs et des réserves potentielles très intéressantes, sans compter les autres minerais dont l’exploitation ne fait que commencer.
Le nouveau code actuellement en examen au CNT n’a donc pas à faire de la surenchère dans l’attractivité du secteur.

Interview réalisée par
Saturnin N. Coulibaly
Commentaires