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Art et Culture

Littérature burkinabè : solitude et vibrations de Denis Dambré
Publié le jeudi 23 avril 2015  |  L`Observateur Paalga




Denis Dambré vit en France depuis plus d’une dizaine d’années. Il a publié Solitude et vibrations (2015) aux Editions L’Harmattan. Ce recueil s’inscrit dans un mouvement de balancier entre ici et là-bas. On y découvre un poète qui décline dans une écriture subtile et épurée les joies et les peines du quotidien. C’est une éphéméride poétique.

Faut-il quitter le Burkina Faso pour l’aimer plus fort et le chanter plus haut ? Cette question se justifie quand on remarque que la plupart des poètes intéressants de ces dernières années le deviennent quand ils mettent de la distance - l’immensité d’un océan - entre eux et leur terre natale. Comme si après avoir franchi les limites géographiques du natal, il ne reste que le chemin des mots pour retrouver le pays perdu. Après Etienne Songré qui a publié son recueil de poèmes, voilà Denis Dambré qui s’amène avec une centaine de poèmes écrits en presque deux décennies. La poésie burkinabè fleurit-elle mieux à l’étranger que sur le sol natal ? Et l’éloignement serait-il le ferment poétique de l’homo poeticus de cette terre ?

« Partir c’est mourir un peu », écrivit Edmond Haraucourt dans le Rondel de l’Adieu. Cela ne vaut pas pour les poètes burkinabè, pour qui partir c’est bien au contraire être plus présent au pays quitté. Partir c’est par conséquent ne plus habiter la terre natale mais être habité par celle-ci, comme l’a dit Tchicaya U’ Tamsi, le poète congaulois qui chantait le fleuve Congo tout en arpentant la Seine.

Burkinabé de naissance, Français d’adoption, Denis Dambré livre un recueil de poèmes, Solitude et vibrations, qui vibre d’une grande présence au Pays des hommes intègres, celui du royaume de l’enfance. Sa démarche poétique se place sous le magistère de Goethe qui conseille de faire de la poésie de circonstance. « Il faut que la réalité fournisse l’occasion et la matière », conseille l’écrivain allemand. Aussi, beaucoup de poèmes sont des réminiscences des moments vécus dans le pays-sien dont le limon entre dans la composition de son sang. Et d’autres sont nés des sentiments ressentis du vivre en Europe. Ainsi les souvenirs d’Afrique et les instants vécus en Europe sont-ils les deux hélices de l’ADN d’Afropéen qu’est devenu le poète franco-burkinabè. Les poèmes d’ici et de là-bas dialoguent, se répondent parfois, se distinguent quelque fois. Ainsi les poèmes Petite reine (p.22), où une enfant d’Europe se blottit entre ses parents morts pendant plusieurs jours à l’insu du voisinage et Traînée d’étincelles (pp.62-63) sur une vieille femme d’Afrique accusée de sorcellerie sont des critiques de deux sociétés où le tissu social se fissure. Passent les interrogations sur l’histoire coloniale, sur l’amour, sur le vivre-ensemble, sur le temps qui passe et les être qui trépassent.

Le charme de l’écriture de Dambré réside dans l’apparente facilité des vers ; apparente, car ils sont très ouvragés comme un tissu appliqué dont on aurait caché des points de couture. Il use des mots de tous les jours mais comme si on en usait pour la première fois. En effet, on ne croisera pas de mot rare ni d’expression recherchée dans ce recueil, seulement la cohorte des mots du quotidien palpitant d’une sonorité et d’un lustre nouveaux.

A poésie de circonstance, poète de l’intime. Dans ce recueil, le poète Dambré touche à la réussite quand il reste dans la circonférence de l’intime. Ce qui donne de petits poèmes en prose lumineux et étranges comme des haïkus. De ceux-ci sont les poèmes Vous Revoir (p.40), Toutes cassées (p.41). Mais dès qu’il en sort, la magie s’évapore comme la rosée au soleil. Par exemple Ma demeure (A la mémoire de Césaire) (P.32) et Aux souvenirs de l’immonde (p.33), deux poèmes dans la veine de la Négritude, sont, pour nous, trop maniérés. Et quel paradoxe de dédier un poème rimé au Nègre fondamental qui implosa les chaînes de la rime pour chanter le Nègre brisant celle de la sujétion ! Par ailleurs les longs poèmes (pp.67-72) sur Yennenga (Nédéga et Yennenga, la guerrière sentimentale) ont moins de souffle poétique que les petits poèmes qui évoquent le poète au contact du quotidien. En somme, Dambré joue bien la petite musique de chambre, ses vers perdent de leur virtuosité quand il fait sonner les grandes orgues de l’engagement ou de la communauté. En tout cas, qu’on le suive ou pas, Denis Dambré est un poète heureux. Car réussir à trouver une niche de solitude et à faire vibrer sa lyre ou son bendré est une gageure dans le monde actuel, saturé de bruits et de fureurs. Et réussir à le faire sentir au lecteur est un bonheur. Cependant on ne sort pas de ce recueil guilleret, il y a un air de tristesse qui vous flotte autour. Normal, il reflète le monde tel qu’il est. Toutefois on en sort un peu moins désespéré du monde. Car on y croise «Des mots qui passent/Un baume apaisant sur des cœurs/

[… ]

Des mots, rien que des mots/Au cœur des maux du monde. »

Saidou Alceny Barry
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