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Sidwaya N° 7370 du 6/3/2013

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Journée internationale de la femme 2013 : Recentrons-nous sur les vrais enjeux !
Publié le jeudi 7 mars 2013   |  Sidwaya




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Dans la tribune qui suit, Dr Lydia Rouamba, demande de revoir la célébration de la Journée internationale de la femme au Burkina Faso. Elle propose de rester concentré sur le projet politique – amélioration des conditions de vie des femmes- qui sous-tend l’organisation de cette journée, au lieu de s’investir dans des djandjoba.

Communément appelée le 8-Mars, la Journée internationale de la femme est célébrée dans nombre de pays dont le Burkina Faso. Plusieurs activités sont, à cette occasion, développées par des structures tant publiques que privées en vue de l’amélioration du statut et de la condition des femmes. C’est un jour où les avancées dans ce domaine sont fêtées, mais nous assistons, au Burkina, à une dérive festive qu’il conviendrait de contenir pour nous concentrer sur les vrais enjeux sociopolitiques de cette journée.

La Journée internationale de la femme : bref historique

La Journée internationale de la femme puise ses racines dans diverses manifestations de femmes en Amérique du Nord et en Europe, au tout début du 20e siècle, pour réclamer de meilleures conditions de travail (dans les usines), le droit de vote et l’égalité entre les hommes et les femmes. Certains écrits font remonter l’origine de cette journée à une manifestation d’ouvrières américaines du textile en 1857 (BIT, 2011), mais cet événement ne fait pas l’unanimité. D’autres personnes le classent dans le domaine du mythe en se basant sur le fait qu’il n’est relaté nulle part. Une autre date également « oubliée », est le 3 mai 1908 où des femmes socialistes de Chicago, auraient organisé une manifestation pour dénoncer l’exploitation économique et la dépendance politique des femmes. Cette date serait, selon Renée Cotés (1984), la première Journée nationale de la femme (« Le woman day ») aux Etats-Unis.
Plusieurs autres évènements historiques plus consensuels sont contés. Entre autres, des grèves et des répressions qui ont eu lieu dans l’usine textile Triangle Shirtwaist de New-York en 1909. Cette année-là également, le Comité national de la femme du Parti socialiste américain, organisa une manifestation pour le droit de vote des femmes. Cette Journée nationale de la femme que certaines sources (Conseil du Statut de la femme, 2009) considèrent comme le premier « woman day ») fut célébrée sur l’ensemble du territoire des Etats-Unis, le 28 février 1909. Deux ans après, soit le 25 mars 1911, un évènement tragique s’est produit dans la même usine de Triangle Shirtwaist où 146 personnes, en majorité de jeunes femmes et filles, meurent dans l’incendie de l’usine, enfermées par les patrons. Cet évènement malheureux est rappelé dans la mémoire historique des luttes des femmes (BIT, 2011).
En Europe, Clara Zetkin, alors présidente du Secrétariat international des femmes socialistes, propose, en 1910, lors de la Conférence internationale des femmes socialistes à Copenhague, « l’instauration d’une journée des femmes qui serait célébrée chaque année pour servir la propagande en vue de l’obtention du droit de vote des femmes » (Conseil du Statut de la Femme Canada, 2009). Cette proposition fut approuvée à l’unanimité par les déléguées des pays qui étaient présentes. Et donnant suite à cette résolution, la Journée internationale de la femme fut célébrée pour la première fois, le 19 mars 1911, en Allemagne, en Autriche, au Danemark et en Suisse où plus d’un million de femmes et d’hommes ont participé à des rassemblements (ONU, 2013 ; Conseil du Statut de la femme Canada 2009).
Il convient de dire que la Journée internationale de la femme nous rappelle qu’à toutes les époques, et sur tous les continents, des voix de femmes se sont élevées pour dénoncer l’ordre inégalitaire qui présidait à l’organisation de leur vie. Pensons, en Afrique, au combat des femmes Ibo et des femmes de Lagos du Nigéria contre, respectivement, l’impôt et la taxe sur les marchés. La marche des militantes ivoiriennes du PDCI-RDA sur la prison de Grand Bassan en 1949 pour faire libérer les hiérarques de leur parti, ainsi que celle des militantes ghanéennes du Convention People Party sur la Maison d’arrêt de James Fort d’Accra après l’arrestation le 22 janvier 1950 de Kwame N’Krumah peuvent aussi être citées, etc. (Coquery-Vidrovitch, 1994).
L’Organisation des Nations unies, pour sa part, a célébré la première Journée internationale de la femme le 8 mars 1975, lors de l’année internationale de la femme. Deux ans plus tard, en 1977, elle a officialisé cette journée par l’adoption d’une résolution invitant chaque pays membre, à proclamer une journée pour les droits des femmes et la paix mondiale.

La Journée de la femme au Burkina

A l’image de nombre de pays dans le monde et spécifiquement en Afrique, le Burkina Faso a adhéré à la résolution des Nations unies pour une Journée internationale de la femme. Communément appelée journée du 8-Mars, le pouvoir révolutionnaire d’août 1983, l’a consacrée fériée.
Ces deux dernières années, le gouvernement de Blaise Compaoré a mis l’accent sur la lutte contre la mortalité maternelle. En 2012, à travers le thème "Mobilisation sociale pour la réduction de la mortalité maternelle : le rôle des hommes", il a invité les hommes à jouer leur partition pour le recul de ce fléau. Ainsi, selon les objectifs poursuivis, plusieurs activités sont initiées par le pouvoir en place : marche officielle, panels sur des sous-thèmes liés au thème national, course cycliste, campagne de don de sang, décoration de personnes morales et physiques travaillant à la promotion des femmes, opération ville propre, dépistage du cancer de l’utérus et du sein, etc.
A côté de ces activités, il y a également un côté festif…

Le côté festif trop important, est en train de gommer la substance du 8-Mars

Dans son article intitulé « Nestorine Sangaré dévoile le programme des activités » (Journal Sidwaya du 26 février 2012), Nestor Baki fait remarquer que, lors du point de presse que Mme Sangaré-Compaoré Nestorine, ministre de la Promotion féminine, a animé le samedi 25 février 2012, à Ouagadougou pour faire le point des préparatifs de la Journée du 8-Mars 2012, « elle a fustigé le comportement de la presse qui caricature la fête du 8-Mars comme celle des "djandjobas ». Cette réaction de la première responsable du département ministériel en charge de la Promotion des droits des femmes, est légitime et est même à saluer pour au mois deux raisons. La première est que ce département fait un travail de fond inestimable – à travers notamment les panels de réflexion sur divers thèmes- lors de cette journée pour faire reculer les idées et pratiques machistes dans notre pays et l’on ne saurait ignorer ces efforts pour retenir uniquement le côté festif. La deuxième raison est que la fête fait partie du 8 mars. Il convient, en effet, de fêter les victoires et les avancées en matière des droits des femmes. Toutefois, le constat sur le terrain est que le festif, le folklorique est en train de prendre trop de place, or il faudrait rester concentré sur le projet politique – amélioration des conditions de vie des femmes- qui sous-tend l’organisation de cette journée.
Outre la dérive festive, il est important de souligner qu’au Burkina, la Journée du 8-Mars est devenue un fonds de commerce et un instrument de marketing politique insoupçonné. En effet, il ressort d’enquêtes de terrain sur « Femmes et politique » que j’ai réalisées en 2007 et 2009, qu’en plus de la surenchère sur les pagnes, un des rituels de cette journée, est un flux important de pagnes des candidat-e-s politiques vers les électrices et les électeurs. Les témoignages recueillis soulignent que la grande majorité des politiciennes et des politiciens - surtout les candidat-e-s au niveau local- se plie au rituel de peur d’un suicide politique. Ceux et celles qui ne peuvent pas - en raison de la modestie de leurs moyens - faire des cadeaux, doivent au moins s’assurer de la disponibilité des pagnes à un coût raisonnable pour leur électorat. Dans les services, une violence symbolique pèse sur plusieurs responsables qui se sentent obligé-e-s d’offrir des pagnes du 8-Mars à des employées ; dans des foyers, les pagnes sont source de disputes : les femmes qui n’arrivent pas à avoir de pagnes s’en prennent à leur époux, etc. Entre autres, de tels faits peuvent rendre compréhensibles, la remise en cause de cette journée, et même sa suppression qui était envisagée – information ressortie de l’enquête- sous la deuxième législature de la quatrième République. Ainsi, c’est bien de fêter, de nous « défouler », mais il faut rester vigilent et garder bien en vue, les enjeux sociopolitiques de la Journée du 8-Mars.

Le personnel est politique, restons (con) centré-e-s sur le politique !

A côté de tout le travail que mènent les structures publiques incluant les Organisations de la société civile à l’occasion du 8-Mars, un autre travail peut être aussi réalisé au niveau personnel par chacun - e de nous, car en effet, le personnel est politique. Plusieurs auteurs-es dont les féministes, ont relevé ce fait. Faisant mienne cette analyse, j’ajoute que tout est politique et je définis la politique comme l’organisation sociale dans une société, dans une communauté. En effet, dire/décider/légiférer par exemple, que telle personne, en raison de la couleur de sa peau ou de son sexe, n’a pas le droit de faire telle ou telle chose, de poser tel acte, de fréquenter tel lieu, etc. est politique. Ce « règlement intérieur de vie » n’est pas le simple fait de comportements individuels, mais puise dans l’idéologie qui sous-tend l’organisation sociale. Cela est bien visible au niveau de la race quand on interdit aux personnes de race noire, l’accès à tel ou tel service, à tel ou tel espace, etc. C’est cependant moins visible en ce qui concerne les rapports hommes-femmes. Décider par exemple, que les femmes n’ont pas le droit de conduire une auto, n’ont pas le droit de sortir à l’extérieur sans être accompagnées d’une personne de sexe masculin, de travailler, d’égorger une poule, d’aller au cimetière, etc. est politique. Travailler donc, au niveau individuel, au sein de sa famille à lever des interdits, des non-droits injustifiés dont sont victimes les femmes, est un combat politique et participe des objectifs du 8-Mars, à savoir l’amélioration du statut et de la condition des femmes. J’invite chacun et chacune d’entre nous, à mener ce combat. Ainsi, pour les femmes, cette journée ne doit pas constituer uniquement quelques heures - je caricature - où elles reçoivent trois pagnes et réclament « laisse-moi faire aussi » ou « toi aussi tu n’as qu’à faire » ou encore « les gros morceaux de viande, c’est pour moi aujourd’hui car c’est ma journée », mais doit, au contraire, être une occasion pour mener des réflexions profondes en vu de faire prendre en compte notre parole, c’est-à-dire, notre participation aux différents sphères et niveaux de prise de décision. Cette journée devrait être une occasion pour les pères et les mères de familles, de faire le bilan de la santé physique, psychologique, financière et éducative de leur famille. Dans quelle mesure, nous avons fait preuve de respect, de considération mutuelle dans notre foyer ? Dans quelle mesure avons-nous donné les mêmes chances et les mêmes espaces de réalisation à nos filles et à nos fils ? Dans quelle mesure n’avons-nous pas fait de Timpoko, Fati et Sandra des servantes de Tenga, Ali et Hugues ?
Comme chacune et chacun de nous peut l’observer, les gains dans le domaine des droits des femmes sont précaires et doivent, de ce fait, être défendus en permanence. Pour exemple, nos sœurs tunisiennes et maliennes avaient conquis un certain nombre de droits, mais sont, à présent, en proie à la charia. Au Burkina, des femmes continuent de vivre des discriminations systémiques qui sont préjudiciables à l’ensemble de la société au nom de valeurs culturelles ou religieuses : violences sexuelles, violences domestiques, mariages forcés, interdiction d’accès à des espaces publiques, etc. Qu’on me comprenne bien : Il ne s’agit pas d’une lutte entre « nous-femmes » contre « vous-hommes », « vous-hommes », nos pères, nos frères, nos époux, nos fils que nous aimons. Oui, l’amour, l’affection ; il/elle s’y invite, rendant la lutte compliquée et complexe ! La lutte est contre un système, un système fait d’exclusion et de discrimination à l’encontre d’un sexe, le sexe féminin et non contre des individus, c’est-à-dire les hommes à titre individuel.

Conclusion

A l’instigation des Nations unies, nombre de pays dont le Burkina Faso ont consacré le 8-Mars, Journée internationale de la femme. La célébration de cette journée est un acte politique fort qui rappelle la lutte permanente des femmes pour l’obtention de leurs droits économiques et sociaux, et qu’il convient de rappeler chaque année, pour chercher des solutions en vu d’améliorer la condition féminine.
C’est un moment fort où femmes et hommes du Burkina, nous pouvons mener des réflexions, des négociations pour établir un contrat social plus équitable et égalitaire entre nous pour le bien-être de la famille et de la société toute entière !

Bonne fête à toutes et à tous !

Dr Lydia ROUAMBA

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